Au début de ce roman à la très belle couverture, on ne saisit pas très bien ce que cette jeune femme Américaine vient faire à Paris, dans cet hôtel de passe plutôt sordide. Nous sommes dans les années cinquante, et Eliza Donnelley a abandonné son petit garçon pour fuir son mari. Elle se cache dans cet endroit improbable sous le nom de Violet Lee.
Eliza-Violet a tout laissé, sauf son Rolleiflex. Elle ère dans Paris, avec ce troisième œil qui lui tient d’élément vivant, de dignité aussi. L’exil est douloureux, l’abandon encore plus, même si nous comprenons que celui-ci était vital : une femme seule se fond dans une ville plus facilement qu’avec un enfant. Malgré la douleur, malgré l’incertitude des jours dans une ville qui se relève tout juste de la guerre, Eliza-Violet se sent enfin libre.
Il y a une forme d’ivresse à ne plus devoir rendre de comptes, décider de ses priorités, subvenir soi-même à ses besoins. Du plus loin que je me souvienne, la solitude m’a toujours manqué, comme on aspire à l’air des montagnes quand on grandit dans la trame serrée des villes.
La façon dont la jeune femme saisit les artistes et marginaux de l’après-guerre ou les prostituées évoque immédiatement Vivian Maier, la mystérieuse photographe dont on a découvert le travail après sa mort, quand on a ouvert le garde-meubles qui recelait des milliers de négatifs.
Eliza, Violet, Vivian, autant de femmes qui se mêlent, se fondent dans cette passion de la photographie, de la ville et de l’humain, dans la volonté de liberté et la solitude. Ce ne sont pas les seuls liens avec Vivian Maier, puisque celle-ci, comme Eliza, a longtemps habité Chicago.
Dans la première partie du roman, Eliza se trouve à Paris, découvre la ville et se laisse apprivoiser par un Américain séduisant et mystérieux, Sam, qu’elle abandonne lorsqu’elle apprend qu’il était chargé par son mari de la retrouver, puis par un jazzman noir aveugle, Horacio.
Tu m’avais recueillie sans poser de questions et aidée patiemment à me reconstruire. Tu m’acceptais avec tous ces morceaux brisés, tu devinais beaucoup et ne forçais rien, et peu à peu ta douceur m’avait réconciliée avec la vie. Entre nous, l’amour est venu lentement. Notre cohabitation respectueuse s’est muée en complicité, puis en intimité. Mais tu as respecté ma part d’ombre, tu n’as rien dérangé. J’ai appris à t’aimer, comme on se coule dans la musique en la laissant étirer le cœur et l’âme vers d’infinies métamorphoses.
Les années passent, la qualité de travail d’Eliza commence à être reconnue sous le nom de Violet Lee, et voilà qu’enfin une possibilité de rentrer aux États-Unis s’offre à elle : son mari vient de mourir.
Retour à Chicago, mais la ville a changé en vingt ans. Eliza retrouve son fils devenu adulte militant pour l’égalité des droits civiques des noirs. Elle le rejoint dans ce moment historique d’une extrême violence : Martin Luther King et Bob Kennedy viennent d’être assassinés, la jeunesse se révolte et la police charge. Eliza se trouve au milieu de ce maelstrom de violence. Elle doit se mettre en danger. C’est à ce prix qu’elle pourra retrouver son fils qui l’a crue morte, et qu’il puisse lui pardonner son abandon. Le prix à payer est toujours à la hauteur de ce que l’on fuit et de ce que l’on acquiert.
J’ai découvert l’écriture charnelle, douce et ciselée de Gaëlle Nohant grâce à Anne, libraire et lectrice passionnée de la librairie Birmann, à Anthy-sur-Léman. Je vous laisse découvrir son interview de Gaëlle Nohant.
J’ai un petit peu moins apprécié la fin du roman : les pirouettes d’Eliza entre les deux hommes qu’elle a aimés ne m’ont pas semblé très crédibles. Mais tout le reste se lit en état de tension, presque comme un roman policier. Si vous ne connaissez pas encore cette auteure, elle mérite amplement la découverte. La femme révélée touchera sans doute plus un public féminin à qui parlera cette difficulté de se libérer d’un carcan quel qu’il soit.