La liste de mes envies et celle de mes déceptions

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Comment ça, tu n’as pas lu La liste de mes envies ? Me demanda un de mes amis quelques mois après la parution du roman, en 2012. Cinq cent mille lecteurs s’étaient émus avant lui, et cela l’avait conforté dans son choix, puisqu’ils étaient si nombreux.

Non, je ne l’avais pas lu, et si la réaction mi-horrifiée mi-déçue de mon interlocuteur me fit comprendre l’importance de cette lacune je ne décidai de la combler que cet été en parcourant les étagères de la médiathèque de mon village.

Tout le monde connaît le thème de ce roman grand public très vite passé au théâtre et au cinéma. Ce n’est pas d’hier qu’un succès est adapté de multiples façons, parfois certains textes et auteurs en font les frais, comme Anne Frank, mais dans le cas présent cela ne semble pas être le cas. Je suis très heureuse que cette vague médiatique autour d’une mercière qui a gagné le gros lot de la Loterie Nationale soit devenue une sorte de prophétie autoréalisatrice pour son auteur, Grégoire Delacourt. J’espère seulement que le message un peu simpliste de son roman – « l’argent ne fait pas le bonheur » – ne s’est pas vérifié.

Jocelyne, mercière de son état, vit avec son mari Josselin à Arras ; elle est sans doute loin de ses rêves rose bonbon, son mari ressemble plus à un goujat macho qu’au prince charmant, mais bon, la femme entre-deux âges s’en accommode. Sa vie ressemble à un constat sociologique : les enfants partis qui mènent leur vie, un père vieillissant, un excès de poids, un mari qui s’éloigne.

J’ai vu ces années sur son visage, j’ai vu le temps qui nous éloigne de nos rêves et nous rapproche du silence.

Comment expliquer un tel succès ? La petite mélodie de Grégoire Delacourt, mode mineur, petite musique triste et désenchantée avec des préciosités dans son expression, ne cadre pas avec le milieu sociologique qu’il nous décrit. La vie de l’héroïne ne donne pas tellement envie de s’identifier à celle-ci, avouons-le. Tout change avec l’élément déclencheur : Jocelyne gagne le gros lot du Loto, une somme fabuleuse, mais elle n’en dit rien à personne, se contentant de rêver à de petits aménagements de sa vie. C’est là le coup de génie de l’auteur, publicitaire de son état. Il sait faire rêver les gens. Des centaines de milliers de lecteurs se sont identifiés à Jocelyne et à son dilemme. Bien sûr, ils ont peut-être rêvé plus grand que les modestes envies de cette gentille mercière dont nous découvrons petit à petit l’existence présente et passée, mais désormais l’identification marche à plein.

Jocelyne se rend à Paris encaisser son chèque et elle subit les recommandations d’usage destinées à lui éviter les catastrophes qui guettent la plupart des gagnants du Loto.

Vous l’avez annoncé à vos proches ? Non, réponds-je. C’est parfait, dit-elle ; nous pouvons vous aider à le leur dire, trouver les mots pour minimiser le choc, vous verrez. Vous avez des enfants ? J’opine. Eh bien, ils ne vous verront plus seulement comme une mère, mais comme une mère riche et ils voudront leur part. Et votre mari ; peut-être a-t’il un travail modeste, eh bien il va vouloir arrêter de travailler, s’occuper de votre fortune, je dis bien votre fortune parce que désormais elle sera à lui comme à vous puisqu’il vous aime, ah çà oui il va vous le dire qu’il vous aime, dans les jours et les mois qui viennent, il va vous offrir des fleurs, je suis allergique la coupé-je, des … des chocolats, je ne sais pas, moi, poursuit-elle, en tout cas il va vous gâter, il va vous endormir, il va vous empoisonner. C’est un scénario écrit d’avance, Madame Guerbette, écrit depuis bien longtemps, la convoitise brûle tout sur son passage.

La catastrophe est annoncée. Avec un peu plus de lourdeur que nécessaire, me semble-t-il… Désormais les lecteurs conservent dans un coin de leur tête que trop d’argent peut être une malédiction et se demandent ce qui va arriver à la gentille quinquagénaire. Une légère amertume empreinte de douceur permet une émotion facile. Une certaine gêne également. Quelque chose s’agite dans un coin de la tête : cette mercière s’exprime trop bien, peut-être. D’où lui viennent ces expressions policées, ces phrases Grand Siècle, cette culture ?

J’ai écrit le Boléro de Ravel en images, maman, pour que les sourds puissent l’entendre

Ce côté un peu kitch des phrases vides et des effets faciles ?

Il y a des malheurs si lourds qu’on est obligé de les laisser partir. On ne peut pas tout garder, tout retenir.

Comme si l’auteur n’avait pu résister à la tentation de faire de la dentelle, d’ourler son propos sociologique de fioritures qui abîment son propos.

Surtout, surtout, les personnages ne sont pas tous crédibles. Jocelyne qui avait accepté certaines humiliations de son mari (franchement, sa façon de lui faire payer la mort d’un enfant frise l’odieux) et son manque de considération avec amour et patience, change totalement lorsqu’il se sauve avec le chèque qu’il a trouvé dans une des chaussures de sa femme.

Aucune colère dans un premier temps, juste une femme malheureuse qui doit se reconstruire. Puis, virage à 180 degrés : la femme blessée se durcit, découvre un homme qui l’aime, mieux que dans ses rêves de Ken et Barbie, mais c’est trop tard. L’époux a emporté la gentille femme avec le chèque, et Jocelyne ne fait plus confiance à personne.

Le personnage de l’époux de son côté perd son côté odieux. Après s’être gavé avec l’argent de sa femme en concrétisant des rêves à sa mesure (grosse voiture, grand appartement etc), il se rend compte qu’il aime sa femme. Il mourra seul, bien fait pour lui. Une prostituée à qui il confiait son amour pour sa femme (!!!) informe cette dernière. Mais c’est trop tard, l’argent a tout détruit.

On est un peu gêné devant des revirements si artificiels. Certes dans la première partie on se laisse prendre par l’émotion, comme dans des chansons populaires; l’héroïne est si gentille, si banale, si naïve que nous attendons le malheur qui va la frapper et compatissons par avance. Mais la deuxième partie n’est pas crédible : Jocelyne maigrit, séduit un bel homme, achète une belle maison, mais elle est pleine d’amertume.

Il n’y a que dans les livres que l’on peut changer de vie. Que l’on peut tout effacer d’un mot. Faire disparaître le poids des choses. Gommer les vilénies et au bout d’une phrase, se retrouver soudain au bout du monde.

À lire si les évidences et les fioritures vous séduisent, si vous rêvez de gagner le Loto pour changer de vie, si vous aimez les phrases définitives enrobées de douceur et vite oubliées.

La liste de mes envies
Grégoire Delacourt
JC Lattès, février 2012, 220 p., 16 €
ISBN : 978-2-7096-3818-0

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