De l’art de se laisser piéger par la quatrième de couverture… J’avais beaucoup aimé Avec joie et docilité de la Finlandaise Johanna Sinisalo, je me suis donc réjouie de découvrir Norma de Sofi Oksanen, également Finlandaise. La quatrième de couverture promettait le meilleur roman de l’année, j’aurais dû me méfier.
Anita Ross s’est jetée sous le métro d’Helsinki, mais absolument rien ne laissait prévoir un geste désespéré, et sa fille Norma se lance dans la recherche de la vérité.
Un polar finlandais ? Un roman fantastique ? Un roman de société ? Un peu de tout cela à la fois. Le polar, c’est évident : une mort suspecte, des gens menaçants qui rôdent et la fille de la victime, Norma, qui enquête.
Norma est victime d’un hirsutisme très particulier : non seulement ses cheveux poussent à toute allure, l’obligeant à les couper plusieurs fois par jour, mais ils sont vivants. Ils ressentent des émotions, repèrent les maladies graves. Ils empêchent Norma de mener une vie normale. Voilà pour le côté fantastique.
L’enquête de Norma la mènera du trafic de cheveux (les siens !) pour femmes en quête de beauté capillaire à des fermes d’enfants, où des femmes misérables louent leur ventre pour que d’autres femmes puissent satisfaire leur désir d’enfant. Voilà pour l’aspect sociétal.
Le substrat est riche, même si, dès le départ, cela semble un peu confus. J’ai failli arrêter la lecture, mais il y a eu ce passage, page 40 :
Une rame après l’autre passait en trombe devant Norma et le courant d’air lui balayait les chevilles. Les vigiles allaient et venaient matraques, gilets pare-balles et rangers, ouvert, fermé, entrer, sortir, signaux sonores annonçant la fermeture des portes, carrosserie des wagons couleur mandarine, pubs de saucisse, sourires de célèbres cuisiniers vus à la télé, bancs en bouleau sur le quai, bières à la main, dents gâtées par la méthadone, épaisses jupes en velours des Roms de Finlande, chassé-croisé des vacances, valises, ballots et sacs en plastique élimés des sans-abri, attaché-cases des employés pressés, foulées rapides, jupes sortant du pressing, vestons, collants neufs avec antidérapant, embouts de rechange des talons aiguilles, extensions en cheveux indiens et russes, quelques malaisiens, avec de la colle, des comprimés de mélatonine, des traitements hormonaux, du filet de bœuf et autres nutriments capillaires plus onéreux. Le dernier paysage de sa mère.
Cette magnifique description impressionniste du métro d’Helsinki mélangée au contenu du sac à main de la mère de Norma, Anita, cette façon de mêler deuil intime, détails triviaux et vie communautaire m’a suffoquée par sa justesse et sa beauté littéraire.
C’est cette page et la suivante qui m’ont poussée à continuer la lecture de ce roman embrouillé qui ne se décide jamais sur la voie à suivre. Il y a beaucoup de trouvailles, mais c’est comme si l’auteure n’avait pas su quelle piste suivre vraiment, et rien n’aboutit. Nous ne saurons jamais si la mère de Norma était une crapule ou une mère courage et le roman se termine par une queue de poisson, me laissant perplexe.
Le roman de Johanna Sinisalo ne faisait pas dans la dentelle, on voit bien que celui de Sofi Oksanen vient des mêmes sources féministes (exploitation du corps de la femme et quête aliénante d’une beauté formatée), mais Norma manque de clarté. J’avoue avoir continué jusqu’au bout ma quête du moment littéraire qui sauverait l’ensemble, mais rien : l’état de grâce a duré deux pages. Ce qui n’est pas rien mais pas suffisant pour vous recommander ce roman vraiment tiré par les cheveux.