Billy Summers : Stephen King au pays de la tendresse et de la mort

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Cela démarre de manière classique : avant de se retirer, un tueur à gages accepte un dernier contrat sur un individu qu’il ne connaît pas, et le lecteur sait bien sûr qu’il n’aurait pas dû l’accepter.

Classique ? Pas vraiment. Les premières pages sont à enseigner dans les universités, tant elles indiquent en peu de phrases la complexité du personnage. Billy Summers offre à ses clients l’image d’un simplet surdoué du tir qui n’accepte de supprimer que des « méchants » tandis que son discours intérieur nous dévoile un connaisseur intime du roman de Zola, Thérèse Raquin. Deux extrêmes, l’idiot et le lettré réunis dans la même personne. C’est d’une telle fluidité, d’une telle simplicité, cette introduction aux deux moteurs du roman – d’un côté la cible à abattre, de l’autre la littérature — que j’ai été stupéfaite par une telle maestria. Une vraie leçon d’écriture, vraiment.

Il ne s’occupe que des méchants. Ça lui permet de dormir la nuit. […] Que des méchants le payent pour liquider d’autres méchants ne lui pose aucun problème. Il se voit comme un éboueur armé d’un flingue. (p. 12)

Pour tout avouer, les romans d’épouvante de Stephen King ne sont pas ma tasse de thé, mais là je me suis trouvée scotchée par la tension du texte et les contradictions que celui-ci provoque chez les lecteurs. Très vite on s’attache à Billy Summers, cet assassin vénal dont on aimerait tant, au fil des pages et de l’évolution du personnage, qu’il s’en sorte.

Billy ne sait pas qui est sa cible ni combien de temps cela lui prendra, il sait seulement qu’il devra l’abattre lorsque celle-ci montera les marches du palais de justice de la petite ville où son exécuteur doit prendre ses quartiers. On lui loue un appartement donnant sur le palais de justice où il est censé… écrire un roman. Il va loger dans un modeste quartier de la ville, se fondre dans la population en attendant la cible. Il sait que son contrat terminé il va disparaître sans laisser de traces, se faire oublier très vite, mais là, rien ne se passe comme prévu. Très vite il s’attache aux gens qui l’entourent, en particulier les enfants. Il développe des liens à son corps défendant.

Stephen King nous dépeint une Amérique dont on parle peu, avec ses travailleurs qui s’entraident, les difficultés et les modestes joies de ceux qui ne feront jamais les titres des journaux. Tout un monde attachant auquel Billy sait qu’il fera du mal lorsqu’ils découvriront que le gentil voisin était un dangereux assassin. D’un autre côté Billy fréquente les mafieux commanditaires, découvrira plus dangereux encore dans une Amérique où la puissance de l’argent fait perdre tout repère moral. Billy se révèle fragile, enfance traumatisante avec son lot d’horreurs, et puis la guerre en Irak où il devient tireur d’élite. Cette guerre qui revient d’une manière obsédante, les horreurs vécues, celles qu’il finit par écrire, ce fameux roman qui n’est plus une couverture mais qui lui devient nécessaire.

Le texte prend des virages que l’on n’attendait pas, et le destin de Billy Summers se précise. Il est plus difficile d’échapper à l’humanité lorsqu’on s’est fragilisé par l’écriture.

C’est un beau roman noir, un roman sur l’Amérique profonde, sur la guerre en Irak et ses conséquences ; sur l’écriture également, avec la libération qu’elle apporte, mais aussi les dangers qu’elle comporte. Un roman plein de tensions, de tendresse et de douleur que l’on dévore en espérant que Billy s’en sorte. Jusqu’au bout.

Billy Summers
Stephen King
Traduit de l’anglais (américain) par Jean Esch
Albin Michel, septembre 2022, 560 p., 24,90 €
ISBN : 978-2226460332

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3 réflexions sur « Billy Summers : Stephen King au pays de la tendresse et de la mort »

  1. alainx

    Lorsque j’ai vu la couverture « Stephen King » en-tête de l’article, j’ai tout de suite pensé : ah bon ! Nicole est une passionnée de Stephen King !… Mais en fait non ! Comme c’est dit après…
    Personnellement, sans être fanatique, j’ai lu un certain nombre de ses livres. Et même relu certains comme « minuit 2 » par fascination. Mais cela fait quelques années.
    Alors ce que tu dis de « Billy Summers », ça me donne drôlement envie de m’y remettre !
    Et donc un grand merci de nous en avoir parlé.

    (Petite remarque technique : ton blog n’offre pas de mémoriser les coordonnées du commentateur. C’est un peu dommage de tout retaper à chaque fois. N’est-ce pas possible techniquement ? Comme sur la plupart des plates-formes ?)

    1. Nicole Giroud Auteur de l’article

      Je ne connais pas le livre dont tu parles, je vais me mettre en quête! Au sujet du problème que tu mentionnes, mon mari a résolu le problème, tu me diras la prochaine fois si ça marche!
      Merci pour ces échanges toujours constructifs…

      1. Alainx

        Je viens de voir la nouvelle possibilité pour les commentaires.
        Merci à ton mari.
        Je vais donc entrer mes coordonnées et cocher la case et on verra la prochaine fois…

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