Les « sensitivity readers » infiltrent l’édition française

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Connaissez-vous les sensitivity readers, ce fléau insidieux du conformisme mou et de la peur des procès qui sévit aux États-Unis ?

Je vous ai parlé de la cascade d’ennuis (c’est un euphémisme) qu’a subie la malheureuse autrice d’American Dirt. Les sensivity readers avaient mal fait leur travail, eux qui doivent lire les manuscrits à paraître un stylo rouge à la main pour débusquer tout ce qui pourrait offenser des groupes de lecteurs et provoquer un scandale et surtout des procès.

Il ne faut blesser personne : gare aux minorités sexuelles prêtes à montrer les dents, les immigrés de tout bord (mais essentiellement intellectuels, capables de traquer l’adjectif coupable ou l’idée sous-jacente que l’auteur n’avait pas vue), tout ce qui pourrait laisser supposer un quelconque sexisme, et cela peut aller très loin. Voilà l’auteur traqué dans les recoins de son subconscient, de ses idées délétères et de son vocabulaire fautif.

Il y avait déjà le service juridique, il y a désormais les sensitivity readers ces relecteurs de la susceptibilité universelle.

Pauvres Américains, me direz-vous. Las, le service juridique a traversé l’Atlantique depuis un moment et les sensitivity readers ont suivi. Avis aux jeunes littéraires qui veulent travailler dans le monde de l’édition, ce nouveau métier est en plein boum. Spécialistes de susceptibilités en tout genre, précipitez-vous, mais préparez d’abord votre entretien d’embauche. Affichez un éventuel surpoids grâce à des vêtements très larges, rappelez que malgré votre bac plus cinq vous venez d’une banlieue chaude, montrez-vous à fleur de peau sur les questions raciales ou sexuelles, etc. Choisissez tout de même votre domaine de compétences, on ne peut pas tout cumuler, ce ne serait pas crédible. Rassurez-vous : vous êtes du genre mannequin d’une blondeur sidérante et votre accent trahit le XVIe arrondissement ? Pas de problème, vous êtes peut-être végétarien (enne) ou mieux vegan ? On trouve toujours un secteur qui pourrait se sentir offusqué par les écrits d’un auteur inconscient des dégâts qu’il s’apprêtait à commettre sans votre vigilance.

C’est la version éditoriale du « Tu n’offenseras pas ton prochain », « Tu n’offenseras pas le lecteur et l’éditeur évitera un procès ». Dans un article de France Culture, Christophe Rioux traduit sensitivity readers par « démineurs littéraires ».

L’idée serait de chercher des contenus qui pourraient poser problème, qui pourraient donner lieu à des polémiques et à une mauvaise publicité.

D’autres journalistes et écrivains donnent des traductions beaucoup plus péjoratives, mais je ne veux pas avoir d’ennuis en les transcrivant, n’est-ce pas. Tout est dit. Il ne faut offenser personne, ne déplaire à personne, mais vendre, bien sûr. Que deviennent les œuvres des auteurs, comment se trouvent-ils face à ces ayatollahs de la pensée consensuelle ? Pour ma part j’ai déjà eu affaire à un service juridique pour un roman, et ma susceptibilité naturelle n’a pas beaucoup apprécié les modifications que l’on m’a obligée à faire dans mon texte. Au fond, je me suis peut-être trompée de vocation, j’étais peut-être faite pour être sensitivity reader…

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