« N’en déplaise à l’ingrate postérité, la célèbre Sonate à Kreutzer n’a pas été composée pour le violoniste Rodolphe Kreutzer, qui d’ailleurs ne l’a jamais interprétée, mais pour un jeune musicien tombé dans l’oubli. Comment celui-ci est devenu l’ami auquel Beethoven a dédié l’un de ses morceaux les plus virtuoses, voilà l’histoire qui est ici racontée.
Au début de l’année 1789 débarquent à Paris le violoniste prodige George Bridgetower, neuf ans, et son père, un Noir de la Barbade qui se fait passer pour un prince d’Abyssinie. Arrivant d’Autriche, où George a suivi l’enseignement de Haydn, ils sont venus chercher l’or et la gloire que devrait leur assurer le talent du garçon…
De Paris à Londres, puis Vienne, ce récit d’apprentissage aussi vivant qu’érudit confronte aux bouleversements politiques et sociaux – notamment la mise en cause de l’esclavage aux colonies et l’évolution de la condition des Noirs en Europe – les transformations majeures que vit le monde des idées, de la musique et des sciences, pour éclairer les paradoxes et les accomplissements du Siècle des lumières. »
La quatrième de couverture ci-dessus est très fidèle au contenu du roman d’Emmanuel Dongala. Nous nous retrouvons plongés dans le foisonnement des idées qui précèdent tout juste la révolution française, mais aussi dans la façon dont le talent des très jeunes musiciens était exploité par leur père, Wolfgang Amadeus Mozart étant le parfait représentant de cette réalité. En l’occurrence il s’agit de George Bridgetower, et nous allons le suivre à travers l’Europe, le regarder grandir depuis son départ d’Eisenstadt en Autriche. L’enfant joue divinement du violon à l’âge de neuf ans, mais ils sont un certain nombre à pouvoir être exhibés ainsi par leur paternel ; George possède quelque chose que les autres prodiges n’ont pas : il est métis, et il est très beau. L’exotisme fait vendre, et l’auteur décrit avec beaucoup de subtilité le racisme qui peut devenir un avantage lorsqu’on sait l’exploiter. Frederick de Augustus, le père de George, les met tous les deux en scène avec de somptueux habits exotiques, l’originalité flamboyante magnifiant le talent du fils.
Le roman est mené tambour battant ; à chaque page ou presque George rencontre une personne importante soit dans le milieu musical, soit dans le milieu politique, et cet enfant qui rencontre un peu trop de monde – têtes couronnées, révolutionnaires célèbres, écrivains, musiciens, etc – finit par lasser, parce que invraisemblable.
La scène n’avait pas échappé à Olympe de Gouges. Aussitôt que Frederick de Augustus et George eurent fini de faire leurs adieux à la marquise, elle s’approcha d’eux et, sarcastique, lança :
— Ainsi vous vouliez faire des amabilités à cet hypocrite de Jefferson ?
— Hypocrite ? s’exclama Frederick de Augustus. L’homme n’est certes pas amène, mais de là à le traiter d’hypocrite…
— Il est venu faire ses adieux à la marquise car il vient d’être rappelé pour assurer la fonction de secrétaire d’État dans son pays. Je suis sûr qu’il sera heureux de retrouver ses esclaves.
— Vous voulez dire qu’il possède des esclaves ?
— Oh oui, près de deux cents, m’a-t-on dit.
— Mais non, protesta Frederick de Augustus. Vous devez confondre avec quelqu’un d’autre. C’est lui qui a écrit que « tous les hommes sont créés égaux ».
— Oui. Sauf les Noirs, les Indiens et les femmes.
Il semble que l’auteur n’a pas su trancher la masse de sa documentation, ce qui nuit à l’identification aux personnages, et surtout au petit George. Les phrases sont trop parfaites, trop lisses, on aimerait un peu plus de vie et l’on s’ennuie parfois un peu. Cette incessante abondance de détails que l’on subodore forcément exacts lasse un peu.
Reste un ouvrage très consciencieux, très documenté, agréable à lire malgré certaines réserves, et qui sort de l’ombre un violoniste oublié du siècle des Lumières.
Emmanuel Dongala
Actes Sud, janvier 2017, 336 p., 22,50 €
ISBN : 978-2-330-07280-3