Voici revenue la saison des prix, et Laurent Gaudé figure avec son roman Salina sur la liste de certains parmi les plus prestigieux. Nul doute qu’il sera récompensé par l’un ou l’autre, c’est un si bon candidat : une écriture superbe, un auteur sympathique, une histoire lointaine, entre mythe et mouture héroïque.
L’écriture se déploie avec une ampleur à nulle autre pareille. Je l’avais découverte, subjuguée, lors d’une représentation théâtrale de La mort du roi Tsongor. J’avais retrouvé ce souffle épique dans Pour seul cortège. Dans Salina on retrouve les mêmes ingrédients : la mort, la recherche de la paix, la cruauté.
Le narrateur va raconter l’histoire de Salina, sa mère adoptive, et les portes du cimetière sacré ne s’ouvriront qu’à l’aune de la sincérité et de la beauté de l’histoire du récitant.
Bien sûr, il y a le désert, la dureté de ses habitants, le sort des femmes. Bien sûr il y a Salina, ce bébé abandonné sans un mot aux pieds du chef de la tribu et qui sera nommée ainsi à cause de toutes les larmes qu’elle a versées et qu’elle versera.
Bien sûr il y a cette avancée lente, ce récit homérique.
Bien sûr il y a la colère et la haine de Salina, et la transposition de la colère d’Achille, il y a la magie. Lorsque Salina est bannie du clan :
Alors seulement, une fois seule, une fois au-delà des terres qu’elle connaît, lorsque les guerriers ont tourné le dos et sont repartis de leur pas lourd vers le village, alors seulement, elle peut crier. Mais elle ne le fait pas en ouvrant la bouche. Elle sent que sa colère ne peut sortir d’entre ses mâchoires. C’est plus grand, plus démesuré. Elle marche, pendant des jours et des nuits, laissant ce cri monter en elle. Elle ne se nourrit plus, ou que d’herbes volées au soleil. Elle boit seulement, en soulevant les pierres qui cachent des torrents minuscules. Elle lèche les cailloux pour en récupérer l’infime part de rosée et elle grossit, ne cesse de grossir. Quelque chose prend vie dans ces jours de solitude. Elle va et vient et son ventre grossit encore. Il ne lui faut pas neuf mois pour accoucher de ce qu’elle porte, mais neuf jours. […] Neuf jours de grossesse pour que naisse Koura Kumba. Il ne sort pas comme était sorti Mumuyé, petit comme un chiot, rougi de l’effort de vivre, il sort comme un homme déjà. […] Elle a un fils qui sera le bras armé de sa vengeance. (p. 96-97)
Impossible de ne pas penser à Athéna sortie casquée de la tête de Zeus. Pas plus qu’à la colère d’Achille, car la colère de Salina est terrible, tout comme sa vengeance. Elle demandera au fils-colère de tuer son frère aîné. Nous sommes en pleines références mythologiques, encore une fois ; impossible de ne pas penser au combat entre Rémus et Romulus ou à celui entre Étéocle et Polynice, le tout mâtiné de l’amour des jumeaux Castor et Pollux. Car les frères se reconnaissent et s’apprécient : le fils né du viol et le fils né de la colère vont apprendre à s’aimer durant leur long combat. Je n’en dirai pas plus, l’intrigue est mince, autant ne pas la déflorer.
Bon. On peut être fasciné par l’écriture de Laurent Gaudé et se lasser de toujours retrouver la même histoire. Salina pour ceux d’entre vous qui n’auraient encore jamais rien lu de Laurent Gaudé et qui seraient amateurs de prix littéraires, à moins qu’ils ne préfèrent un livre plus ancien qui ne sente pas le procédé…