Dans son numéro 892 de juin 2021, en pages 78 à 81, Sciences et Avenir nous parle d’un programme de recherche destiné à comprendre et déterminer précisément l’origine et la fabrication d’objets de la collection d’objets d’Amérique du Nord du musée Quai-Branly-Jacques-Chirac.
Les résultats obtenus par les scientifiques sont stupéfiants, par exemple ils trouvent qu’un tomahawk des nations des plaines centrales était un cadeau diplomatique offert au roi Louis-Philippe, en 1845 offert par le guerrier Petit Loup qui tint ce discours au dernier monarque des Français :
J’ai entendu dire que la paix vaut mieux que la guerre, et j’enterre le tomahawk entre vos mains – je ne me bats plus.
L’article précise que la délégation indienne des guerriers iowa (des Ayouais ou Aiouez comme on les nommait en France, où on était un peu nostalgique du premier empire colonial du pays) avait apporté d’autres présents : un fouet, une pipe et une ficelle de wampum. Ce dernier objet, une sorte de broderie très fine de coquillages, était considéré comme précieux lorsqu’il était un collier ou une ceinture et servait de monnaie d’échange lors des rencontres diplomatiques. Dans le cas précis, il s’agissait d’une ficelle.
Le vieux roi des Français serra la main des fiers guerriers amérindiens et leur offrit à son tour, comme le voulait l’usage, des médailles d’or et d’argent ainsi qu’une somme d’argent.
Ce message de paix de guerriers venus d’Amérique rendre hommage à la nation qui avait conquis un temps leur territoire semblait très émouvant.
Mais…
L’article précise que les guerriers iowa sont en délégation avec le peintre américain Georges Catlin. De simples recherches sur Internet apprennent des choses très intéressantes et m’ont conduite à la découverte de ce qui ressemble fort à une supercherie.
Le peintre Georges Catlin est un curieux personnage, obsédé par les Indiens dont il devient le portraitiste obsessionnel. Il veut immortaliser les différentes tribus indiennes avant qu’elles disparaissent du fait de la variole, de l’alcool et de la pression des colons et peint le portrait d’un nombre impressionnant d’Indiens appartenant à de nombreuses tribus. Il veut livrer son témoignage à travers ses expositions de tableaux, expliquer la culture et l’univers des Indiens aux Américains d’abord, puis aux Européens. Avant qu’il ne soit trop tard pour les premiers habitants de l’Amérique, il veut les faire reconnaître.
En 1839 il part exposer son Indian Gallery en Europe, une sorte de wild west show avec un mélange de conférences et de mise en scène des Indiens qui l’accompagnent. Mais il a besoin d’argent, il doit rembourser les frais avancés pour l’organisation de ses expositions et le spectacle itinérant ne fait pas suffisamment recette. Alors Catlin est obligé d’accentuer le côté spectacle de ses conférences pour attirer le chaland et n’hésite pas à en rajouter dans son spectacle (scalps brandis, Indiens aux cris de guerre de plus en plus convaincants).
Des délégations d’Indiens Ojibwas et Iowas arrivent à Londres et à Paris, Catlin leur demande de reproduire leurs danses traditionnelles pour agrémenter ses conférences.
En 1845 le roi Louis-Philippe invite les Indiens Iowas mais catastrophe, ceux-ci ne sont pas disponibles. Qu’à cela ne tienne, Catlin se fait passer pour un Indien, le fameux Petit Loup, sans doute, et ses danseurs se produisent devant le roi, dans un salon des Tuileries. Leur meneur offre ses cadeaux rituels, un wampum (une petite ficelle au lieu d’une ceinture), un tomahawk, un fouet et une pipe. Tous objets qui figurent bien dans les collections du musée. Mais a-t-on vérifié l’identité de ce fameux guerrier dans une tribu plutôt pacifique et commerçante ?
L’événement du 21 avril 1845 est immortalisé par Girardet et se trouve en dépôt au château de Versailles.
Catlin repart avec l’argent et ses guerriers aux cris effrayants grassement récompensés par le vieux roi. Il a installé un tipi dans la salle Valentino, ses guerriers font peur aux spectateurs parisiens avec leurs cris de guerre. Une intention louable doublée d’un spectacle, il faut bien vivre.
Louis-Philippe a 73 ans et plus que trois ans à être roi des Français, lui qui est monté sur le trône de France entre deux révolutions. Il mourra en exil au Royaume-Uni en 1850.
Louis-Philippe n’a jamais beaucoup aimé la guerre, et ce que lui a offert le guerrier Petit Loup a dû lui sembler précieux, tout comme le discours de celui-ci. Discours gardé dans les archives, on n’avait aucune raison de contrôler l’identité de cet Indien plus vrai que nature.
Et le tout se retrouve dans un bel article de la revue scientifique, ce qui n’enlève rien au travail remarquable des chercheurs. Une archive peut transcrire des faits tels qu’on les a reçus à l’époque. Question de mentalité : un Européen aurait-il osé une telle supercherie ? L’Américain, plus pragmatique, donne au roi ce qu’il attend, peu importe les accommodements avec la réalité.
Sources principales :
L’indianité dans l’œuvre de George Catlin