Elle trône, coincée entre le bleu intense et sans nuage du ciel qui mange la moitié de la photo et les nuances de gris de la route à double voie : gris clair de l’îlot de granit, gris moyen de la route et du trottoir, gris sombre parce qu’opposé à la lumière du soleil du panneau un peu de guingois. Entre le bleu et le gris, les nuances tendres des champs vallonnés, et la voilà au milieu, avec ses couleurs sucrées et proprettes et ses touches de géraniums débordant aux fenêtres. On dirait un jouet posé dans la solitude, tenu par les fils électriques en triangle noir dans le ciel bleu ; un jouet qui en attend d’autres pour que le jeu s’anime. Le vert du garage rappelle celui des champs, à droite de la photo. Vert amande, pâtisserie léchée amoureusement par ceux qui l’habitent et que l’on ne voit pas. Où sont-ils, ceux qui doivent animer cette maison, où sont-ils ? Pas la moindre trace d’un jardinier, d’un piéton, d’un vélo ou d’une voiture : solitude, vide, silence. Même pas un moineau ou un corbeau pour trouer le silence du ciel.
C’est une icône, cette maison de Commercy en Lorraine photographiée par Raymond Depardon. On vient de loin pour la voir ; d’autres photographes la photographient sous le même angle, espérant ainsi aspirer un peu de la notoriété de leur aîné.
À la voir, on jurerait un tableau, impossible de ne pas penser à Edward Hopper, à la maison près de la voix ferrée, même solitude, l’inquiétante étrangeté en sus. Deux maisons coincées dans une modernité, dans un ciel vide, présentes, évidentes, insistantes. Mais là où Hopper a instillé l’angoisse de la maison abandonnée à coup de rouille et de verdâtre, Depardon a laissé le choix entre l’ennui d’une retraite à meubler et la nostalgie d’une enfance rêvée avec une pâtisserie délicate.