Photo Michal Huniewicz
Après la fiction, avec un roman dont les protagonistes réels sont à peine déguisés, une bande dessinée, la bande dessinée, relatant un témoignage personnel, voici un condensé d’articles de presse tirés de Courrier international pour tenter de comprendre comment la dictature la plus dure et la plus fermée du monde perdure malgré les sanctions internationales, les terribles famines récurrentes… et les prévisions de la chute du régime de Pyongyang depuis des décennies.
Une des explications possibles à l’incompréhensible est sans doute le fait que le régime nord-coréen réussit à se procurer les devises nécessaires à sa survie grâce aux travailleurs forcés qu’il envoie en Europe de l’Est et en Chine et dont il récupère la plus grosse partie des salaires.
D’après un rapport publié en octobre 2015 par l’équipe du rapporteur spécial sur les violations des droits de l’homme en Corée du Nord auprès du Conseil des droits de l’homme des Nations unies, le régime nord-coréen encaisse entre 1,2 et 2,3 milliards de dollars par an en exploitant ses ouvriers détachés. Ceux-ci n’ont aucun contrat de travail avec la société étrangère qui va les employer, ils sont gérés directement par l’entreprise publique nord-coréenne qui les envoie à l’étranger. Le régime conserve jusqu’à 90 % des salaires encaissés.
Cette exportation de travailleurs a commencé en 1967, quand la Corée du Nord a envoyé des ouvriers en Union soviétique, et depuis, à cause des sanctions internationales, ce système de « travailleurs détachés » n’a cessé de s’étendre. Les ouvriers rapportent à l’état dans tous les sens du terme. Par leur travail bien sûr, mais également lors de leur retour au pays en servant de « mules » pour rapatrier les devises ainsi gagnées, car les transferts de fonds bancaires sont limités par les sanctions internationales. De l’art de presser le fruit jusqu’à l’écorce.
Plus de 50 000 travailleurs forcés travaillent ainsi dans le bâtiment, les mines et l’industrie textile. Tous ont de la famille restée en Corée du Nord, et pris entre l’idéologie et leur famille, ils obéissent sans rechigner ; une surveillance incessante, jusqu’à vingt heures de travail par jour dans ce qu’il faut bien appeler des camps de travail, c’est ce qu’on appelle du trafic et de l’exploitation d’êtres humains.
Ces travailleurs forcés travaillent principalement en Chine et en Russie, mais aussi dans quinze autres pays d’Afrique, du Moyen-Orient et d’Asie du Sud. C’est ainsi qu’on trouve des bûcherons en Sibérie et en Chine, des maçons au Koweït et dans le sultanat d’Oman, en Libye et en Angola, des mineurs… et des ouvriers agricoles qui ramassent des tomates dans des champs polonais entourés de fil de fer barbelé ou des soudeurs sur des chantiers navals de Gdansk.
En Europe.
Comment est-il possible de contourner à ce point les réglementations européennes pourtant si tatillonnes pour leur propres ressortissants ? Tout simplement parce que les travailleurs nord-coréens employés dans l’Union Européenne sont soumis à la législation des états concernés ; or en Pologne, par exemple, il faut seulement prouver qu’aucun Polonais n’est en concurrence pour le poste, et l’administration donne son accord… Le sort des ouvriers forcés nord-coréens n’intéresse personne, ni les syndicats des pays concernés lorsqu’ils existent, ni, en définitive, la grande machinerie européenne.
Pour aller plus loin, lisez l’enquête sur le quotidien des serveuses des restaurants nord-coréens en Chine et les terribles conditions de travail en Pologne. Ou comment l’idéologie conjuguée à la peur et à l’obéissance entraîne un trafic humain dont la plupart des pays s’accommode fort bien. Et si vous aimez les polars financiers, lisez l’enquête sur la division 39, ou comment le régime nord-coréen se procure des devises ; un vrai classique du roman noir : financiers véreux, sommes colossales, drogue, hackers, tous les éléments d’un best-seller !
Photo David Guttenfelder
Ces trois éclairages sur la Corée du Nord servent à montrer que l’on peut multiplier les prismes pour appréhender une réalité si étrangère à notre monde, et que l’écriture, l’image et les faits se conjuguent pour donner de la consistance à l’impensable. Il faut ajouter bien sûr la photographie, avec les images que le photographe polonais Michal Huniewicz a mises en ligne après avoir participé à un voyage organisé par la dictature nord-coréenne, ou celles de David Guttenfelder qui a effectué une quarantaine de voyages en Corée du Nord. On peut aller plus loin dans sa propre réflexion, bien sûr, et se dire que si la bombe atomique se trouve entre les mains d’un jeune obèse mégalomane, le cynisme et l’indifférence de nos sociétés y sont peut-être pour quelque chose…