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La photo

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La photoC’est une photo heureuse, elle date de l’été passé, exactement durant les quelques jours où la souffrance s’est apaisée. Bientôt elle va se ruer par vagues sur tout le corps, me laisser pantelante, désespérée devant la force de ce qui ne peut s’oublier, de ce qui mange tout le reste. La douleur.

C’est une photo heureuse, prise par un homme amoureux qui traque les moments où sa femme est redevenue telle  qu’il voudrait qu’elle soit toujours, sans souffrance, sans maladie, avec son énergie à déplacer les montagnes. La femme qui est surprise vient juste de sentir le regard de l’objectif, une confiance absolue, un regard de connivence : Oui, oui, je sais, tu ne peux t’empêcher de me photographier, même dans une fête, même lorsqu’on t’a demandé de faire un reportage sur ce qui se passe !

C’est une photo heureuse, moment de grâce. J’ai beau chercher dans celles qui suivent, d’autres fêtes, fauteuil ou station debout, siège de jardin, rien, il n’y a plus de lueur, juste un faux sourire qui le désole, qui me désole. Je ne guérirai pas et nous le savons tous les deux. Une maladie qui ne fait pas mourir, non, qui détruit seulement la vie.

Alors je reviens à cette photo parce qu’il faut convoquer les moments heureux lorsque le ciel est trop gris, parce qu’il faut invoquer l’amour, celui qui entoure, celui qui voudrait faire barrière et ne le peut pas. Parce qu’il ne faut pas laisser gagner la fatalité.

Le regard du photographe, c’est ce que je vois, ce que je sens, ce qui me porte.

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Corée du Nord, troisième éclairage

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Photo Michal Huniewicz

Après la fiction, avec un roman dont les protagonistes réels sont à peine déguisés, une bande dessinée,  la bande dessinée, relatant un témoignage personnel, voici un condensé d’articles de presse tirés de Courrier international pour tenter de comprendre comment la dictature la plus dure et la plus fermée du monde perdure malgré les sanctions internationales, les terribles famines récurrentes… et les prévisions de la chute du régime de Pyongyang depuis des décennies.

Une des explications possibles à l’incompréhensible est sans doute le fait que le régime nord-coréen réussit à se procurer les devises nécessaires à sa survie grâce aux travailleurs forcés qu’il envoie en Europe de l’Est et en Chine et dont il récupère la plus grosse partie des salaires.

D’après un rapport publié en octobre 2015 par l’équipe du rapporteur spécial sur les violations des droits de l’homme en Corée du Nord auprès du Conseil des droits de l’homme des Nations unies, le régime nord-coréen encaisse entre 1,2 et 2,3 milliards de dollars par an en exploitant ses ouvriers détachés. Ceux-ci n’ont aucun contrat de travail avec la société étrangère qui va les employer, ils sont gérés directement par l’entreprise publique nord-coréenne qui les envoie à l’étranger. Le régime conserve jusqu’à 90 % des salaires encaissés.

Cette exportation de travailleurs a commencé en 1967, quand la Corée du Nord a envoyé des ouvriers en Union soviétique, et depuis, à cause des sanctions internationales, ce système de « travailleurs détachés » n’a cessé de s’étendre. Les ouvriers rapportent à l’état dans tous les sens du terme. Par leur travail bien sûr, mais également lors de  leur retour au pays en servant de « mules » pour rapatrier les devises ainsi gagnées, car les transferts de fonds bancaires sont limités par les sanctions internationales. De l’art de presser le fruit jusqu’à l’écorce.

Plus de 50 000 travailleurs forcés travaillent ainsi dans le bâtiment, les mines et l’industrie textile. Tous ont de la famille restée en Corée du Nord, et pris entre l’idéologie et leur famille, ils obéissent sans rechigner ; une surveillance incessante, jusqu’à vingt heures de travail par jour dans ce qu’il faut bien appeler des camps de travail, c’est ce qu’on appelle du trafic et de l’exploitation d’êtres humains.

Ces travailleurs forcés travaillent principalement en Chine et en Russie, mais aussi dans quinze autres pays d’Afrique, du Moyen-Orient et d’Asie du Sud. C’est ainsi qu’on trouve des bûcherons en Sibérie et en Chine, des maçons au Koweït et dans le sultanat d’Oman, en Libye et en Angola, des mineurs… et des ouvriers agricoles qui ramassent des tomates dans des champs polonais entourés de fil de fer barbelé ou des soudeurs sur des chantiers navals de Gdansk.

En Europe.

Comment est-il possible de contourner à ce point les réglementations européennes pourtant si tatillonnes pour leur propres ressortissants ? Tout simplement parce que les travailleurs nord-coréens employés dans l’Union Européenne sont soumis à la législation des états concernés ; or en Pologne, par exemple, il faut seulement prouver qu’aucun Polonais n’est en concurrence pour le poste, et l’administration donne son accord… Le sort des ouvriers forcés nord-coréens n’intéresse personne, ni les syndicats des pays concernés lorsqu’ils existent, ni, en définitive, la grande machinerie européenne.

Pour aller plus loin, lisez l’enquête sur le quotidien des serveuses des restaurants nord-coréens en Chine et les terribles conditions de travail en Pologne. Ou comment l’idéologie conjuguée à la peur et à l’obéissance entraîne un trafic humain dont la plupart des pays s’accommode fort bien. Et si vous aimez les polars financiers, lisez l’enquête sur la division 39, ou comment le régime nord-coréen se procure des devises ; un vrai classique du roman noir :  financiers véreux, sommes colossales, drogue, hackers, tous les éléments d’un best-seller !

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Photo David Guttenfelder

Ces trois éclairages sur la Corée du Nord servent à montrer que l’on peut multiplier les prismes  pour appréhender une réalité si étrangère à notre monde, et que l’écriture, l’image et les faits se conjuguent pour donner de la consistance à l’impensable. Il faut ajouter bien sûr la photographie, avec les images que le photographe polonais Michal Huniewicz a mises en ligne après avoir participé à un voyage organisé par la dictature nord-coréenne, ou celles de David Guttenfelder qui a effectué une quarantaine de voyages en Corée du Nord. On peut aller plus loin dans sa propre réflexion, bien sûr, et se dire que si la bombe atomique se trouve entre les mains d’un jeune obèse mégalomane, le cynisme et l’indifférence de nos sociétés y sont peut-être pour quelque chose…

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Le monstre du jardin public de Funchal

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monstreIl émerge d’innocentes pousses vert tendre, rugissant, prêt à engloutir les petits d’humains qui s’éloigneraient de leur mère. Son groin hideux s’ouvre sur un désastre intérieur : qu’a-t-il dévoré avant de terrifier celui qui a le malheur de le croiser ?

Yeux terribles, de guingois dans un chaos d’épouvante. L’arcade sourcilière proéminente de son œil droit inquiète autant que le cerne prononcé qui le souligne : la créature ne dort pas bien, tourmentée par des cauchemars antédiluviens. Le côté gauche pétrifie : d’où vient cette excroissance qui ressemble à une tumeur et rend l’œil vitreux ? Le cyclope né d’une sauvagerie végétale s’apprête à frapper, bras droit levé.

Ce monstre immobile dressé dans une parade tragique ne fait peur à personne, les enfants crient et leurs mamans rêvent, elles se laissent bercer par le soleil dans le jardin public de Funchal.un peu de recul Le tronc de ce Choriza Speciosa recèle également une magnifique oreille visible sur ce cliché, en bas à gauche, et un petit monstre curieux qui observe les petits avec leur pelle et leur seau, ses deux pattes devant lui comme s’il avait envie de les rejoindre pour jouer. Une bouche dédaigneuse et nombre d’éléments anthropomorphiques peuplent également le tronc tourmenté mais personne ne les regarde,  à part les spectateurs munis d’une imagination débridée. Jouez, enfants, et rêvez, mamans, l’heure est paisible. Ce soir, avec les ombres de la nuit, c’est une autre histoire…

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Les solitudes de Raymond Depardon et Edward Hopper

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Elle trône, coincée entre le bleu intense et sans nuage du ciel qui mange la moitié de la photo et les nuances de gris de la route à double voie :  gris clair de l’îlot de granit, gris moyen de la route et du trottoir, gris sombre parce qu’opposé à la lumière du soleil du panneau un peu de guingois. Entre le bleu et le gris, les nuances tendres des champs vallonnés, et la voilà au milieu, avec ses couleurs sucrées et proprettes et ses touches de géraniums débordant aux fenêtres. CommercyOn dirait un jouet posé dans la solitude, tenu par les fils électriques en triangle noir dans le ciel bleu ; un jouet qui en attend d’autres pour que le jeu s’anime. Le vert du garage rappelle celui des champs, à droite de la photo. Vert amande, pâtisserie léchée amoureusement par ceux qui l’habitent et que l’on ne voit pas. Où sont-ils, ceux qui doivent animer cette maison, où sont-ils ? Pas la moindre trace d’un jardinier, d’un piéton, d’un vélo ou d’une voiture : solitude, vide, silence. Même pas un moineau ou un corbeau pour trouer le silence du ciel.

C’est une icône, cette maison de Commercy en Lorraine photographiée par Raymond Depardon. On vient de loin pour la voir ; d’autres photographes la photographient sous le même angle, espérant ainsi aspirer un peu de la notoriété de leur aîné.

À la voir, on jurerait un tableau, impossible de ne pas penser à Edward Hopper, à la maison près de la voix ferrée, même solitude, l’inquiétante étrangeté en sus. Deux maisons coincées dans une modernité, dans un ciel vide, présentes, évidentes, insistantes. Mais là où Hopper a instillé l’angoisse de la maison abandonnée à coup de rouille et de verdâtre, Depardon a laissé le choix entre l’ennui d’une retraite à meubler et la nostalgie d’une enfance rêvée avec une pâtisserie délicate.maisonpresdelavoieferree

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