Archives par étiquette : Monde de l’art

La Perle des faussaires et la vengeance de Han van Meegeren

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Il y a quelque temps déjà, j’avais écrit sur ce blog un article au sujet de  Han van Meegeren, le plus grand faussaire du XXe siècle et un lecteur m’avait demandé quand j’écrirais le roman de sa vie.

C’est fait.

Je trouvais que le personnage était trop fascinant, trop irritant et trop fragile pour se résumer aux messages contradictoires que l’on pouvait trouver à son sujet. Alors je me suis plongée dans son passé. J’ai lu, cherché, creusé sur internet. C’est fou ce que l’on trouve, depuis les villes où son père instituteur a été nommé jusqu’aux photos et aux minutes de son procès, le plus médiatisé de l’après-guerre. On trouve même les dates des nuits  où le peintre s’est retrouvé en cellule de dégrisement ! (Merci aux archives de la police néerlandaise et à Google translate).

Je me suis immergée dans la vie de Han jusqu’à ce que je puisse me mettre à la place de ce peintre cocaïnomane obsédé par le désir d’être reconnu à sa juste valeur.

Tout est vrai dans ce roman et tout est faux puisque, même si je me suis mise dans sa peau,  je ne suis pas Han van Meegeren. Continuer la lecture

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Le Grand Art de Léa Simone Allegria : les mafieux du monde de l’art

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Le Grand ArtLes écrivains morts peuvent attendre, ils ont l’éternité devant eux, alors je vais vous parler du deuxième roman enthousiasmant d’une jeune auteure, Léa Simone Allegria, Le Grand Art.

C’est un livre mené au pas de charge, dont les premières pages surprennent (euphémisme pour désorientent) le lecteur. C’est le début de la journée de Paul Vivienne, et il prend son petit déjeuner à l’hôtel Saint-James qui ressemble à son nom et à ses habitués : old school. Malin, malin : on est tout de suite dans la tête de ce commissaire priseur sur le retour, égoïste et cynique. Et ça va vite ! À vous donner le tournis : à peine le café avalé que vous vous trouvez dans les arcanes d’une maison de vente aux enchères.

Capable de reconnaître ceux qui étaient décidés à se séparer de leur bien rien qu’à leur façon de défaire l’emballage. En passant, il observe leur mine, leurs ongles, la coupe de leur costume. La vieille a un sac pourri, le blanc de son crâne tire sur le violet, mais elle a une certaine allure. Et son parfum ! Approchez-vous : sentez-la. J’en étais sûr, madame. Shalimar de Guerlain. C’est du propre, faites attention : ici nous pesons autant les hommes que les choses. Un sens quasi divinatoire de la cote. [p.18]

Il entre dans son bureau comme dans l’appartement d’un mort. Il donne un prix à tout ce qu’il voit, machinalement. [p.19]

Vivienne se trouve au creux de la vague. La soixantaine nostalgique, dépassé par les nouvelles technologies mises en œuvre dans le monde des enchères, il sent que le fils de la maison où il officie voudrait bien le mettre définitivement sur la touche.

Mais, mais… surgit une vente aux enchères en Toscane proposée par un notaire qui débusque les possibles bonnes affaires… Et voilà notre homme de nouveau guilleret. Le mafieux propriétaire du château vient d’être assassiné, ce qui est bon signe.

Des quatre coins de l’Europe, les vautours se mettent en route. Ne suis-je pas, moi aussi, un vautour comme les autres ? [p.26]

Et la machine se met en marche. Une cavalcade insensée qui laisse le lecteur ébloui, terrassé par cette plongée dans les pratiques du monde de l’art, que l’auteure connaît fort bien pour posséder elle-même une galerie. Tout se mêle, le cynisme et le rire, l’érudition et la crapulerie. On se trouve dans une parodie des Barbouzes, quand les espions essaient tous de séduire la veuve du malfrat, seulement les espions sont remplacés par les commissaires-priseurs.

Notre homme trouve dans la chapelle du château un retable magnifique qui provoque chez lui une épiphanie. Rien à voir avec la galette des rois, plutôt avec la philosophie. Grâce à cette apparition quasi miraculeuse, Paul Vivienne le cynique, le désabusé, est complètement bouleversé. Il comprend soudain le sens de sa vie, de son métier, il sait.

Une œuvre d’art porte en elle un fragment de notre monde intérieur, dont l’écho peut être fatal. L’œuvre d’art est notre monde intérieur. Voilà – tout simplement. Il y a une explication à tout. À mesure qu’il rationalise ses sentiments, ses larmes sèchent. Il était peut-être un peu tôt pour siffler une bouteille de rouge, se dit-il. [p.80]

La jeune experte dépêchée sur les lieux, Marianne, va mener l’expertise : selon ce qu’elle va trouver, l’œuvre se retrouvera au niveau de croûte ou de chef-d’œuvre. À ce moment se situe un éblouissant passage d’érudition, mais ce n’est pas le seul dans le roman où alternent passages quasi poétiques et trivialité, érudition et magouilles, manipulations, jeux de séduction, jeux de dupes.

Je ne vais pas vous résumer le roman, parce que si vous lisez le premier chapitre vous ne pourrez plus le lâcher, amateur d’art ou pas.

Jusqu’à la dernière page les rebondissements s’enchaînent, un véritable polar dans le monde soi-disant feutré de l’art, où les coups tordus et les faux s’accumulent. Mais au fond, où se situe « le vrai » ? Une œuvre très subtile de faussaire peut être beaucoup plus réussie que les véritables œuvres du peintre, et celui-ci n’a revendiqué que très tard ses œuvres, choisissant dans son atelier celles qui lui semblaient les plus réussies dans le travail de ses assistants. Allez au British Museum, à Londres, et vous comprendrez en visitant par exemple la salle des Canaletto…

Le roman semble léger. Cette galerie de personnages cyniques et malhonnêtes récompensés par la société alors que le seul naïf de l’histoire est condamné semble excessive. Bien sûr l’imagination de l’auteure lui suggère sans doute des moments délirants, comme l’incroyable fête de funérailles du mafieux défunt ou la danse de Madonna ; sa description de la grande vente aux enchères de Paul Vivienne est un morceau de bravoure, mais il y a aussi des moments bouleversants comme la découverte du retable ou les regrets de Vivienne.

Du grand art, cette cavalcade effrénée dans le monde des experts et des ventes aux enchères.  Le lecteur, partagé entre le rire et la fascination, peine à suivre mais ne s’essouffle pas, fasciné par ce torrent de vie et de cynisme où les bons sentiments seraient hors de propos. Du Grand Art, jusqu’au bout.

Le Grand Art
Léa Simone Allegria
Flammarion, mars 2020, 352 p., 20€
ISBN : 9782081486140

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