Devient-on faussaire par blessure narcissique ? Hitler n’aurait peut-être pas écrit Mein Kampf si les milieux de l’art avaient reconnu son talent, c’est bien connu. De manière moins dramatique, un excellent peintre peut devenir un faussaire parce que le monde de l’art l’a dénigré. Une sorte de vengeance contre l’establishment qui attire la sympathie du grand public lorsque le pot aux roses est découvert. Il voit dans cette filouterie une revanche des opprimés contre la puissance de l’argent et l’arrogance du savoir.
C’est le cas du peintre hollandais Han Van Meegeren né en 1889 et mort en 1947. Il commence à connaître un certain succès avant que les critiques descendent sa peinture en flèche : son travail ne serait que de l’imitation sans envergure. Il essaie de se défendre mais sa carrière est brisée net. Plus personne n’achète ses tableaux. Pour se venger de ceux qui viennent de détruire sa carrière, il décide de les ridiculiser. Il s’attèle à la fabrication de faux de peintres célèbres, en particulier de Vermeer.
Il prend son temps et met six ans pour peaufiner une technique parfaite permettant de duper le plus pointilleux des experts. Il ne peint que sur des toiles et des bois d’époque, il achète malgré leur prix des lapis lazulis pour fabriquer un pigment bleu outremer parfaitement d’époque, durcit la peinture de ses toiles au four avant d’enrouler celles-ci sur un bâton afin de reproduire les craquelures dues aux outrages du temps, parfois même donne des coups de couteau, etc.
Tout est si parfait, les toiles si belles, tellement « d’époque » , tellement dans la manière du peintre choisi (il étend sa palette à tout l’âge d’or hollandais) que personne ne met en doute leur authenticité.
La seconde guerre mondiale donne un élan inattendu à la fortune de notre marchand d’art faussaire : par patriotisme de riches Néerlandais refusent que les œuvres d’art hollandaises soient pillées par les Nazis et achètent sans barguigner. La renommée de Han Van Meegeren parvient jusqu’aux oreilles de Göring… Celui-ci lui achète un faux Vermeer, Le Christ et la parabole de la femme adultère lui proposant en échange deux cents toiles pillées dans les musées néerlandais !
L’affaire se complique pour notre faussaire quand il est arrêté après la guerre par les Forces Alliées pour avoir vendu aux Nazis un trésor culturel de son pays. Un crime passible de la peine de mort qu’on distribue très généreusement à l’époque, et avec exécution immédiate pour ne pas encombrer les prisons.
Pour éviter cette fâcheuse conclusion à sa carrière, Van Meegeren veut prouver qu’il n’est pas un collaborateur et que, au contraire, il a réussi à mystifier le pillard du Reich. Il peint dans sa cellule, devant six témoins, un autre Vermeer tout aussi convaincant que les autres, Jésus et les docteurs.
Peut-être un peu moins bon, mais les juges comprennent la pression qui était la sienne en la circonstance. Les experts internationaux confirment ensuite que le tableau vendu à Göring était un faux. La cour de justice d’Amsterdam condamne Han van Meegeren à la peine minimale en cas de faux et tromperie. Un an de prison qu’il ne fera jamais.
Il est libéré et entame enfin une carrière en son propre nom. Il vend très bien ses toiles en raison de sa notoriété toute nouvelle. Pourtant il reste lucide, il déclare : « Mon triomphe comme faussaire, c’était mon échec comme artiste créateur ». Pensée cruelle, pensée profonde… Il ne profitera pas longtemps de sa célébrité. Le dernier jour pour faire appel de la décision de justice il a une crise cardiaque et meurt un mois après dans un hôpital d’Amsterdam.
Il connaît à l’époque une popularité incroyable après de la population néerlandaise ravie du bon tour joué à Göring. Allez savoir pourquoi les faussaires ne sont pas considérés comme des escrocs, ce qu’ils sont pourtant. Est-ce parce que tromper les « experts » pleins de morgue réjouit le peuple ? Parce qu’un faussaire est d’abord un peintre, et qu’il ne fait de mal à personne ? Ce n’est pourtant pas exact. Si le faussaire n’a pas beaucoup de talent il déprécie l’œuvre de celui qu’il copie, d’autant plus qu’il fait beaucoup de tableaux et diminue ainsi la cote du peintre. Il vole aussi le malheureux qui s’est laissé éblouir par la belle signature et perd une grosse somme d’argent. Il détruit la crédibilité des experts qui se sont laissés berner.
Han van Meegeren n’a pas révélé quels faux étaient à son actif, et ils étaient si parfaits, si convaincants et si beaux qu’il a fallu attendre les progrès de la science pour déterminer les tableaux qui étaient d’époque. Van Meegeren fut trahi par certains matériaux comme le plomb. On a pu reconnaître certains faux grâce à une technique appelée Datation Pb-210. La céruse utilisée à l’époque de Vermeer contenait du plomb qui venait de gisements locaux des Pays-Bas, et la composition isotopique de celui-ci était différente du plomb importé ensuite d’Australie et d’Amérique. Comment aurait-il pu le savoir ? On a aussi utilisé des techniques très modernes comme la chromatographie en phase gazeuse.
Les musées et les grands collectionneurs continuent de trembler et la liste des faux de Van Meegeren n’est pas exhaustive… En 2011 on a eu des doutes au sujet d’un tableau du célèbre Institut Courtauld, une très belle copie d’époque de L’entremetteuse de Dirk van Baburen.
Une analyse chimique poussée a montré la présence de bakélite. La messe était dite.
On continue d’examiner les tableaux de cette époque, en toute discrétion bien entendu. Han van Meegeren n’est qu’un des multiples faussaires de l’histoire de l’art. L’ancien directeur du Metropolitan Museum de New York, Thomas Hoving, estimait que 40% des tableaux du musée étaient des faux. Le chiffre semble sous-évalué. Matière à vous raconte la vie d’autres célèbres contrefacteurs ?
Les commentaires étant fermés sur la critique du livre de Carine Fernandez « Mille après la guerre » que je viens de terminer aujourd’hui, je vous prie d’excuser de venir en parler ici. Je tiens à vous adresser mes remerciements car c’est grâce à vous que je l’ai lu, je ne connaissais ni le livre, ni l’autrice et je compte bien aller à la découverte de ses autres titres.
Merci encore de vos écrits si intéressants.
Merci Chantal pour votre message! Je suis heureuse que vous ayez découvert Carine Fernandez grâce à mon blog: voilà une plume si particulière, si riche, qu’elle mérite beaucoup d’attention. J’ai chroniqué certains de ses livres ici-même.
J’essaie de m’éloigner des sentiers battus ou de revenir plus tard, loin après la grand-messe médiatique littéraire, sur certains chemins fréquentés. Merci de me suivre, Chantal…
Vrai qu’en lisant l’aricle, et puis les commentaires… on se dit qu’après tout… Et puis, c’est quand même de l’art, qu’on le veuille ou non, et une belle duperie, un coup d’éclat comme l’attaque du train postal Glasgow-Londres, qu’on ne peut pas ne pas admirer. Pas mort d’homme, juste du talent. Oui les faussaires finissent souvent mal. C’est bien sûr… un des risques « du métier » 🙂
Juste du talent, lorsque ce n’est pas de la production à la chaîne comme certains artistes qui se parodient eux-mêmes à l’infini sans qu’on y trouve aucun problème… Juste une histoire de marché.
Derrière cela il y a toute la question du « marché de l’art » ! Ses ambiguïtés, ses compromissions, et surtout sa spéculation effrénée !
À quoi servirait un faussaire si la toile d’un peintre dont on a fabriqué la célébrité à coup de centaines de millions d’euros, n’en valait que quelques dizaines.
Les œuvres d’art sont de magnifiques placements d’argent douteux et de blanchiment de la drogue internationale, , qui plus est totalement défiscalisés. On s’intéresse beaucoup plus au montant de la transaction qu’à l’œuvre elle-même, qui valant si cher, se retrouve enfermée dans un coffre fort… et que plus personne ne la verra pendant des dizaines d’années, et pourquoi pas plusieurs siècles…
J’aurais plutôt tendance à penser que les faussaires sont des bienfaiteurs pour l’avenir de l’art… à bas la spéculation !
Vive la nationalisation des œuvres d’art détenu par des milliardaires, sans indemnisation, bien entendu !
Et sinon, l’histoire de Han van Meegeren, est quand même savoureuse.
Finalement, un vrai triomphe de l’hypocrisie !
C’est vrai que le rôle du faussaire interroge. Non seulement le marché de l’art, mais ceux qui s’en prétendent les rois, à savoir les critiques. C’est un peu la même chose dans tous les arts: les critiques font et défont les réputations.
Je trouve très drôle que certains faussaires, mus par autre chose que l’appât brutal du gain, se jouent des institutions.
J’avais envie d’écrire sur Eric Hebborn, un autre faussaire plein de véritable génie, j’ai hésité. Un tel personnage de roman! Un faussaire qui refusait de vendre un de ses faux à un acheteur sincère, réservant ses tableaux aux institutionnels.
Tu as raison, c’est le triomphe de l’hypocrisie. La plupart des faussaires finissent très mal.
Voilà une bonne idée ! Cela pourrait faire un excellent petit roman.
Un truc à la fois critique, humoristique, et de qui donne à réfléchir.
Tu ferais cela très bien !
Alors, la publication c’est pour quand ?
😉
J’avoue que c’est un sujet qui me titille depuis longtemps! Mais hélas, je ne suis qu’un produit, et ma maison d’édition ne serait pas preneuse.