Les veuves de Malabar Hill : immersion dans le Bombay de 1920

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Quelle magnifique découverte ! Je ne connaissais pas les toutes jeunes éditions Charleston, et je n’avais jamais entendu parler de Sujata Massey avant que Véronique, la créatrice du  blog Atasi centré sur l’Inde me recommande de lire Les veuves de Malabar Hill de Sujata Massey.

—  L’ombre de Rashna plane dans ce roman, m’écrit-elle.

Reçu vendredi après-midi, le roman de presque cinq cents pages était terminé samedi soir. Terminé ? Non : dévoré avec jubilation, empathie, curiosité, émotion, admiration devant la précision des éléments décrits, tout cela dans le désordre, bien sûr. Une très belle surprise. C’est comme si je retrouvais la grand-mère de Rashna, l’héroïne de mon roman L’Envol du sari : une aïeule aussi impétueuse que la jeune fille qui ruerait plus tard dans les brancards, désirant secouer le joug de cette communauté trop fermée sur elle-même, avec ses contradictions et ses traditions.

Malabar HillL’héroïne de ce roman, Perveen Mistry, est une jeune juriste de la communauté parsie de Bombay ; en fait la seule avocate du barreau de Bombay. Elle travaille dans le cabinet de son père, démêle les successions embrouillées, prépare les plaidoiries, parce que en tant que femme, elle n’a pas le droit de plaider au tribunal. Nous sommes en 1921 dans une Inde où le climat social est agité et où les frémissements de l’indépendance commencent à devenir des vagues.

Perveen va être mêlée à une histoire de meurtre qui commence par un imbroglio juridique : l’époux de trois purdahnashins, c’est-à-dire des femmes musulmanes vivant dans la réclusion, vient de mourir. Quelque chose intrigue Perveen : les trois veuves se dépouillent, ainsi que leurs enfants, au profit d’une fondation caritative, le waqf de la famille. Perveen, en tant que femme, peut leur parler et leur expliquer les implications de renoncement. Ce sont elles, les veuves de Malabar Hill, le titre éponyme du roman. L’affaire va se compliquer lorsque la jeune avocate découvrira le corps du mandataire choisi par le défunt assassiné dans la maison.

Deux moments clés de la vie de Perveen constituent la trame du roman : l’année 1921 où se déroule l’enquête de la jeune femme, et des retours en arrière en 1916, lorsque Perveen avait dix-neuf ans et venait de faire la connaissance du beau Cyrus. Je ne veux pas détailler l’histoire de Perveen qui, à elle seule, constitue un roman et je vous laisse le plaisir de la découverte. Sachez seulement que celle-ci s’imbrique d’une manière particulièrement habile dans la trame policière. Impossible de lâcher ce roman, c’est un véritable « page turner », comme disent les anglo-saxons à qui les romans de cinq cents pages ne font pas peur. Pas un instant d’ennui dans cette plongée dans l’univers parsi du début du vingtième siècle, avec ses différences culturelles et ses coutumes d’un autre âge.

Si vous désirez lire une excellente intrigue policière, ce roman est pour vous. Les veuves de Malabar Hill a été lauréat des Mary Higgins Clark Awards. Si vous désirez faire un voyage dans le temps à Bombay et reculer d’un siècle, ce roman vous est destiné. Il est brillant, profond, admirablement documenté mais l’érudition de l’autrice n’est jamais pesante.

C’est un concentré de vie dans lequel nous sommes plongés : importance des traditions, nourriture si détaillée que l’on a l’eau à la bouche, mais aussi coutumes barbares qui sont décrites avec une précision hallucinante. L’autrice ne se contente pas de décrire uniquement le milieu parsi : par ondes concentriques parfaitement dosées, nous découvrons l’Inde du début du vingtième siècle, lorsqu’elle est encore sous domination britannique. Les différentes communautés, l’arrogance et la crainte du colonisateur anglais, sa volonté de ne pas soulever le couvercle de la violence populaire et d’éviter les émeutes, son racisme, son incompréhension de nombre de traditions comme celle des familles musulmanes du sud de l’Asie, en particulier les femmes vivant dans la réclusion, les purdahnashins que nous fait découvrir Sujata Massey, tout est montré par touches, suggéré par les attitudes des personnages plutôt que par de lourdes démonstrations.

Situer son roman dans cette période qui suit les terribles années 1918-1920 où grèves, émeutes de la faim et répression féroce de l’armée britannique se succèdent sans discontinuer, est particulièrement intelligent. J’imagine déjà toutes les intrigues que va résoudre l’intrépide avocate, aidée sans doute par son amie anglaise Alice, dans les romans suivants !

Sujata Massey explique que l’héroïne de son roman est inspirée de la première avocate indienne, Cornelia Sorabji qui a étudié le droit à Oxford, ainsi que de Mithan Tata Lam, la première femme admise au barreau de Bombay en 1923.

J’ai beaucoup lu sur la communauté parsie, mais je dois dire que j’ai appris grâce à ce roman nombre de faits que j’ignorais totalement. Quant à la condition de la femme, de Perveen à Rashna on peut dire qu’il reste encore beaucoup à faire…

Chère Véronique, vous aviez raison : l’ombre de Rashna plane sur ce roman, ainsi que toutes les femmes courageuses qui essaient de secouer le carcan millénaire dans lequel on les enferme.

Les veuves de Malabar Hill
Sujatta Massey
Traduction de l’américain Aurélie Tronchet
Éditions Charleston, janvier 2020, 496 p., 22,50 €
ISBN : 9782368124949

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