Archives de l’auteur : Nicole Giroud

Le mal du pays chanté par Pierre Lapointe, grand moment sur France Inter

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LapointeCe matin Augustin Trapenard recevait Pierre Lapointe le chanteur québecois qui avait tenu une chronique pleine d’autodérision et d’humour sur France Inter l’été passé.

Chronique un peu ronronnante et tout à coup un grand, un somptueux moment dans Boomerang : Pierre Lapointe s’est mis à chanter Le mal du pays de Manno Charlemagne, ce grand chanteur haïtien passé aux oubliettes dans nos contrées. Une émotion palpable qui m’a reportée au magnifique livre de Dany Laferrière, Chronique de la dérive douce.

« Dans ma petite chambre : / en plein hiver / je rêve à une île dénudée / dans la mer des Caraïbes / avant d’enfouir / ce caillou brûlant / si profondément / dans mon corps / que j’aurai / du mal / à le retrouver. »

Ce matin, entre neuf et dix heures, conjonction dans l’hiver parisien de deux exilés magnifiques grâce à un chanteur québecois et un commentateur de radio parisien.

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Les âmes soeurs de Valérie Zenatti, journée buissonnière

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ZenattiSuite à la belle critique de MicMélo Littéraire sur Mensonge de Valérie Zenatti j’ai cherché cet auteur mais n’ai pas trouvé le livre autobiographique de la traductrice d’Aharon Appelfed ; voici donc Les âmes sœurs qui date de 2010.

Nous avons affaire au principe du roman dans le roman : Emmanuelle prend une journée de congé buissonnier pour lire le livre confession d’une femme photographe et reporter de guerre. Les deux vies s’emmêlent : celle de la narratrice du roman que lit Emmanuelle, au « je » qui introduit une proximité troublante avec celle-ci, en retrait, spectatrice de sa propre vie, un peu décalée. D’un côté la transcription d’une histoire d’amour passionnelle et douloureuse sur fond de guerre, de l’autre le quotidien d’Emmanuelle, trois enfants en bas âge, mariée avec Elias.

Emmanuelle frissonna, ferma le livre et le serra contre elle. Son regard glissa sur les objets qui l’entouraient, la table basse du salon, les baskets de Gary, l’une sous la table, l’autre près de la télé. (Pourquoi là ? Pourquoi avait-il ôté ses chaussures là ? Pourquoi – question obsédante, appelant désespérément une réponse – les journaux, le courrier, les écouteurs des baladeurs, les peluches, les vêtements, les jouets, les pièces de monnaie, les gants, les CD, les DVD n’avaient-ils pas de place naturelle ? Et s’ils en avaient une pourquoi ne la gardaient-ils pas ?) (…) elle avait songé à toutes ces minutes et ces heures consacrées à des tâches sans intérêt et elle avait visualisé des monceaux de détritus, d’instants moches et rouillés. La décharge publique d’une vie.

Valérie Zenatti possède un art sidérant de radiographier le quotidien des mères de famille.

Ce livre relate la gestion d’une crise, un de ces moments où le ras-le-bol du quotidien vous saisit et où l’urgence d’un bol d’air évitera une explosion que les proches ne comprendraient pas.

Une journée, le temps d’entrer en résonance avec une autre vie que la sienne, deuil contre deuil (Emmanuelle vient de perdre son amie Héloïse), amour perdu contre amour perdu (celui qui aurait été possible si Emmanuelle avait obéi à son impulsion autrefois), voyage contre voyage. Les deuils plus anciens affleurent comme la mère décédée brutalement d’Emmanuelle ou celle, absente, d’Héloïse, et les vies possibles évanouies.

Des âmes sœurs. Dans la perte et l’errance, le temps d’une journée volée au quotidien.

Après quoi Emmanuelle reprend sa vie et se rend à l’école de son fils où il y a une cérémonie en l’honneur « des sept enfants de l’école déportés parce que nés juifs ».

Une autre piste explication de ces âmes sœurs, le poids de la judéité.

J’ai aimé ce petit roman sensible, cette écriture à vif où tant de femmes peuvent se reconnaître. Avec une réserve cependant : ce qui commence avec force s’affadit un peu au fil de la journée, tenir la distance au fil de la narration conduit à l’essoufflement et la fin rose bonbon, (j’aime ma petite famille et je reviens juste à temps pour les obligations familiales), même si elle est attendue, déçoit un peu.

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Élégie pour un Américain, deuil et mémoire dans la construction de soi

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Élégie pour un américainEric et Inga Davidsen viennent de perdre leur père, et en rangeant ses papiers ils découvrent une lettre dérangeante signée d’une femme dont ils n’ont jamais entendu parler et parlant d’une mort qu’il fallait garder secrète. Eric et Inga vont donc essayer de résoudre ce mystère.

Voilà la (très mince) trame de départ de ce roman de la mémoire et du deuil de Siri Hustvedt, The Sorrows of an American – les soucis et ou les peines d’un Américain – étrangement traduit par Élégie pour un Américain en français. Autant le titre originel nous orientait sur la complexité de ce que signifie être américain, avec l’importance de l’immigration, la façon de se fondre dans le creuset, de conserver ses racines tout en se sentant parfaitement américain (et cela évoque des résonances profondes en ce moment), autant le titre français affadit le propos. Élégie vient du grec élégos qui veut dire plainte et suggère une sorte de poésie douce et triste, enfermant ce livre fort dans une forme qui n’est pas la sienne et affadit son propos.

Le narrateur est Eric, psychiatre divorcé qui, au début du roman, vient de louer une partie de sa maison à une jeune femme d’origine jamaïcaine Miranda et à sa fille de cinq ans, Eglantine. Eric se sent immédiatement attiré par Miranda qui est harcelée par le père d’Eglantine : celui-ci prend sans cesse des photos, très intrusives, ce qui permet quelques développements angoissants fort bien construits ainsi que d’autres plus philosophiques sur la puissance de l’image dans la construction de notre vécu. Car au fond, c’est le vrai propos : comment se construire vraiment ? Comment se tenir debout quand on est confronté au  deuil et à la mémoire, au secret de famille, aussi.

Ce roman est construit en strates qui s’imbriquent les unes dans les autres, qui se répondent et se complètent comme une gigantesque métaphore du travail qu’un individu doit accomplir pour se construire une image cohérente de lui-même : légendes familiales, non-dits destructeurs, traumatismes personnels ou nationaux comme celui du 11 septembre, deuils, présence des morts dans la vie des vivants, ambiguïtés sexuelles, comment s’y retrouver ?

La complexité de la vie se retrouve dans la façon très naturelle dont Siri Hustvedt  mêle les histoires des différents personnages en incluant également dans son travail le journal de son propre père disparu.

Les passages du livre extraits des Mémoires de Lars Davidsen proviennent directement de ceux de mon père, avec quelques rares modifications éditoriales, notamment des noms propres.

Où se situe la fiction ? Où se trouve la réalité ? Dans ce livre les personnages s’expriment parfois dans des discussions si pointues que cela tient de l’exposé sur les neurosciences et la philosophie mais cela passe, tellement le moment est intégré à l’ensemble du texte. Les difficultés des patients d’Eric à concevoir la réalité de leur personnalité font écho à la fragilité de celui à qui ils confient leur mal-être. Au fond, qu’est-ce que la mémoire, et permet-elle de construire les fondements d’une existence ?

La mémoire ne prodigue ses cadeaux que si quelque chose, dans le présent, la stimule. Ce n’est pas un entrepôt d’images et de mots fixes, mais un réseau associatif dynamique dans le cerveau, jamais inactif et sujet à révision chaque fois que nous récupérons une image ou un mot du passé. Je savais que, du simple fait de son arrivée dans ma vie, Eglantine avait commencé à me ramener vers ces chambres de mon enfance qu’en dépit de mon analyse j’avais gardées fermées – ou plutôt entrouvertes juste assez pour apercevoir un trait de lumière ou respirer de temps à autre une odeur de moisi.

Tous les personnages du livre de Siri Hustvedt – j’ai de la peine à parler de roman – se débattent dans le même vivier, quel que soit leur âge. Ils sont tous hantés par la perte : Eric par la perte de son père mais aussi par celle de sa femme depuis leur divorce ; sa sœur Inga par celle de son père et plus encore par celle de son mari, écrivain célèbre autour duquel tourne des lettres écrites à une maîtresse dont le contenu intéresse beaucoup de monde ; sa nièce Sonia en deuil de son père et de tout ce qu’elle a vu le 11 septembre ; Miranda qui s’est construite autour de l’assassinat de son oncle homosexuel ; Lane le père d’Eglantine dont les parents sont morts dans un accident de voiture : ils sont à la recherche de la pièce manquante du puzzle de leur existence, celle qui en éclaircira le sens.

On cherche à donner un sens à sa vie mais tout est biaisé et l’auteur multiplie les notations fines sur la façon dont on se trompe sur les réactions des autres, déclenchant ainsi des réactions en chaîne terribles :

Derrière le regard de Lorelei, dans lequel j’avais lu de l’insécurité et Inga du mépris, se cachait un fouillis de rapports de classes, d’égalitarisme pionnier et de nature humaine pure et simple. En observant ma sœur, assise à table en face de moi, je remarquai qu’elle portait un chemisier blanc sans manches et un étroit pantalon bleu foncé, qui, malgré leur inoffensive simplicité, avaient cet éclat de qualité des vêtements coûteux qui m’avait toujours intrigué mais qui est néanmoins immédiatement perceptible. (…)

La moindre différence perçue, si minime soit-elle, peut devenir un argument de division – fortune, éducation, couleur de peau, religion, parti politique, style de coiffure, n’importe quoi. Les ennemis sont vivifiants. Malfaiteurs, fanatiques religieux, barbares. La haine est excitante et contagieuse, et elle élimine commodément l’ambiguïté. On n’a plus qu’à se défausser de ses saletés sur les autres.

Confondant, vous ne trouvez pas ?

Dans un final polyphonique absolument somptueux, Eric recolle les bribes de souvenirs en un patchwork d’une infinie délicatesse. Et si les soucis de cet Américain, cette élégie parfois douce, souvent angoissante construite avec entêtement et tendresse pour ses personnages nous mettait face à notre propre fragilité, à la reconstruction permanente de notre mémoire ?

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Encore la guerre

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munch_TheScreamBien sûr que nous voudrions un monde apaisé où on ne transformerait pas une petite fille en bombe, où on n’enlèverait pas des centaines d’adolescentes, où on ne massacrerait pas d’une manière atroce des populations entières, où on ne décapiterait pas les humanitaires et où la Kalashnikov se trouverait dans le musée des horreurs, mais comment s’arranger avec la réalité ?

Je lis des livres pour oublier la fureur et le sang, je fais des compte-rendus dans ce blog comme si c’était une chose importante et que la littérature pouvait sauver le monde.

Je voudrais panser les plaies avec des mots, donner une sorte de fraternité aux victimes pour que leur solitude soit moins intense, qu’à travers l’empathie de celui qui écrit et de ceux qui lisent un peu d’humanité se coule en baume sur les plaies vives.

Car les événements ne s’effacent jamais. Ils tournent en boucle, déterminent l’existence de ceux qui ont été confrontés à la mort d’une manière insupportable et ne s’en souviennent plus. Mais certaines scènes resurgissent comme des pantins malfaisants dans les périodes de fragilité, creusant leur sillon d’horreur et de désarroi : c’est toujours la guerre pour ceux qui ont subi de plein fouet les aléas de l’Histoire.

Leurs parents étaient résistants ou collabos, Juifs ou SS, pétainistes ou gaullistes, ils étaient petits, ils n’ont pas compris ce moment terrible où leur vie a basculé. Enfants cachés, fils de « terroristes » ou de « collabos », la bonne conscience des gens bien les poursuit, module leurs réactions d’écorchés vifs, leur sentiment de culpabilité parfois. Les adultes qui ont survécu à cette guerre sont morts pour la plupart d’entre eux mais l’histoire familiale se perpétue en ricochets destructeurs et dans certaines régions des haines recuites ne sont pas prêtes de s’éteindre.

J’ai déjà écrit un certain nombre de nouvelles pour le recueil Après la Guerre, d’autres attendent des autorisations morales. Je ne sais pas à quel rythme les publier ni même si cela intéressera les lecteurs ; l’horreur qui naît de la barbarie et de la souffrance humaine trouve peu d’écho en ces temps d’incertitude planétaire.

J’écris malgré tout, pour qu’il n’y ait plus d’enfants terrifiés et de parents désespérés, j’écris parce que les mots c’est comme la peinture ou la musique, une tentative dérisoire de fraternité.

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Les Chaussures rouges et marron, deuxième nouvelle du recueil

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Couv_Blog_1ere Après Le Capitaine SS voici Les Chaussures rouges et marron, la deuxième nouvelle du futur recueil Après la guerre.

La nouvelle sera disponible sur Amazon.fr, et sur toutes les autres plates-formes d’Amazon au prix de 0,99 euros au plus tard ce week-end.

Nous retrouvons Jean-Claude et sa famille cinq ans après la guerre dans un moment où les souffrances et humiliations des orphelins de la Résistance sont évoquées en filigrane.

En voici un petit extrait :

La guerre. Cet affreux équarrissage. Le mari de Léonie était menuisier-ébéniste, il possédait son atelier, une honnête aisance, et le trou qu’il a laissé dans sa famille est gigantesque. Léonie avance en équilibriste sur le fil de la misère, comme si celui du chagrin et du manque ne suffisait pas. Trois garçons à élever dont le dernier n’avait pas deux ans lorsque son père est mort brûlé vif dans la chute de la maison. Et ce vide autour d’elle et de ses enfants, cette hostilité patente envers les petits orphelins que les gamins du village appellent les fils du terroriste. La solitude de Léonie, sa rage contre tous ces bien-pensants résistants de la dernière heure qui détournent les yeux devant elle. Pas un ne lui a tendu la main. Le salut est venu des Suisses.

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