Le bal des folles, de Victoria Mas : plongée dans la folie féminine et la cruauté des hommes

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Fut un temps où des mendiantes croupissaient au fond d’une cellule et se faisaient mordre les doigts et les orteils par des rats. […] Fut un temps où une femme adultère pouvait être enfermée pour la seule raison qu’elle était adultère. L’hôpital a aujourd’hui l’apparence apaisée. Mais les spectres de toutes ces femmes n’ont pas pour autant quitté les lieux. C’est un endroit chargé de fantômes, de hurlements et de corps meurtris. Un hôpital où les murs seuls peuvent vous faire devenir folle si vous ne l’étiez pas en arrivant.

Bal des follesPour son premier roman, Victoria Mas a choisi la Salpêtrière au temps où l’immense hôpital était peuplé d’aliénées, au temps du docteur Charcot et de ses célèbres expériences sur les malades. Cela rappelle beaucoup La salle de bal d’Anna Hope, même époque, même oppression des faibles, même façon d’interner ceux qui dérangent. Plus troublant encore : la salle de bal… S’agit-il de la même façon de traiter la folie ?

L’autrice reconstitue de manière très réaliste l’atmosphère des lieux, les amphithéâtres où les hommes viennent assister aux séances du célèbre professeur, cette fin du XIXe siècle.

L’essentiel de l’histoire se passe entre le 3 et le 18 mars 1885, juste avant « le bal des folles », ce moment où la haute-bourgeoisie assiste au bal où sont présentes les aliénées, entre frisson et curiosité de côtoyer la folie de si près. Nous sommes plongés dans la vie de l’hôpital avec des  femmes que nous suivrons durant ce moment de crise : Eugénie, jeune fille de bonne famille, vient d’être internée par son père parce qu’elle est médium ; Louise, fragile adolescente, a été abusée par son oncle et se réjouit d’être la nouvelle vedette de « Monsieur Charcot », la coqueluche des aliénées ; la placide Thérèse est là depuis vingt ans, bien à l’abri du cruel monde des hommes. Quant à Geneviève, la surveillante en chef, elle apporte un regard extérieur, car elle ne veut pas s’impliquer émotionnellement. C’est le plus beau personnage du roman, celui qui a le plus de profondeur.

L’autrice joue habilement du suspense et de la tension dramatique :  Eugénie veut s’évader, mais comment ? C’est une manière intelligente de mener le lecteur au plus près d’une époque où des expériences scientifiques ont permis, malgré leur cruauté, des avancées décisives dans la compréhension des maladies mentales. Le lecteur se concentre sur les personnages, mais il apprend beaucoup de choses sur la Salpêtrière et son fonctionnement.

Eugénie va-t-elle réussir à s’évader ? À quel prix ? Je vous laisse le découvrir dans ce roman qui se lit d’une traite.

Le bal des folles
Victoria Mas
Albin Michel, mois année, 256 p., 18,90 €
ISBN : 978-2-226-44210-9

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