Quand les profs se noient dans un verre d’eau !

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PiscinePremier mai pluvieux ? Temps et défilé maussade ? Ne vous laissez pas aller à la morosité ambiante, l’Éducation Nationale va se charger de vous dérider…

Dans son édition du 22 avril le Canard enchaîné qui s’est procuré le projet  du Conseil supérieur des programmes de l’Éducation Nationale dévoile les subtilités des tortueuses arcanes de gens payés pour donner des migraines aux enseignants.

Désormais les élèves ne devront plus apprendre à nager dans la piscine, pas du tout, c’est ringard, inadapté au siècle de science qui est le nôtre, le prof de gym doit évoluer. Désormais l’élève devra

traverser l’eau en équilibre horizontal par immersion prolongée de la tête dans un milieu aquatique profond standardisé

Dans les matières moins sujettes à immersion liquide, mettons les maths et l’anglais au hasard, les élèves ne transpireront plus à l’idée du devoir sur les équations du second degré ou l’interro sur les verbes irréguliers, non, dépassées les angoisses de l’apprenant. Maintenant l’élève  produira

des messages à l’oral et à l’écrit par des actes langagiers.

Il y en a d’autres comme ça, si, si, je vous le jure. Les enseignants renâclent devant la suppression du latin et la fin des classes bilingues ? Mauvais perdants, va ! Quand on pense que des gens brillantissimes leur concoctent des programmes aux petits oignons, c’est donner du caviar aux cochons. La tendance du XXIe siècle est à la rationalisation des tendances centrées sur un message cognitif géré par autostigmatisation d’un enseignement rétrograde afin d’obtenir un laminage séquentiel de l’apprentissage, ce n’est pourtant pas difficile à comprendre !

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Soumission, Michel Houellebecq égal à lui-même

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SoumissionMaintenant que la fureur médiatique s’est calmée, j’ai lu le dernier roman de Michel Houellebecq paru le 7 janvier au moment de la tuerie de Charlie Hebdo. Avant même sa parution le livre avait été piraté à grande échelle, c’est dire à la fois la notoriété de son auteur et le fait qu’il tape toujours où ça fait mal.

Soumission n’échappe pas à la règle, nous avons eu droit à une mécanique bien huilée : déchaînement des médias avant même d’avoir lu le livre et Houellebecq profil bas, l’air misérable et malheureux devant la volée de bois vert. Seulement voilà : il y a eu l’événement que l’on sait et l’auteur a annulé sa tournée de promotion.

Cette fois Michel Houellebecq nous offre une politique-fiction située dans un avenir très proche, les élections présidentielles de 2022. François, le héros du roman – si on peut parler de héros, notion toute relative chez Houellebecq, disons plutôt le personnage fil conducteur – a la quarantaine triste. Professeur de littérature dans une université parisienne, spécialiste de Huysman qui apparaît par son influence sur la pensée du narrateur comme un personnage à part entière de la fiction, François ressemble à beaucoup de personnages de l’auteur : profil bas, préoccupé par sa sexualité et son vieillissement, sans passions véritables ni élans de vie.

François n’a aucune conscience politique mais il est confronté dans son université à l’influence croissante de jeunes salafistes qui ont l’air de contrôler la tenue des étudiantes musulmanes. Nous sommes en 2022, et de longs (très longs, très très longs) développements sur la politique française et ses leaders, leur incapacité à juguler ou à trouver des solutions à l’affrontement des blocs identitaires amènent au thème fort de ce livre : la création d’un parti musulman, la Fraternité musulmane. Par le jeu des alliances son leader, Mohammed Ben Abbes, musulman modéré et charismatique, se retrouve élu président de la république française.

Suivent alors toute une série de bouleversements radicaux dans le pays qui accepte au nom de la sécurité et de la baisse du chômage la destruction des bases de sa civilisation.

Cauchemar-fiction à la George Orwell ? Vision de ce qui pourrait advenir sans sursaut républicain ? Pamphlet raciste ? On a dit tout et n’importe quoi au sujet de ce roman. Pour ma part, je trouve que c’est beaucoup de bruit pour un roman qui n’en mérite pas tant.

J’aime bien le mélange inimitable d’humour et de poésie quand Houellebecq décrit le porno :

Le pénis passait d’une bouche à l’autre, les langues se croisaient comme se croisent les vols d’hirondelles, légèrement inquiètes, dans le ciel sombre du Sud de la Seine-et-Marne, alors qu’elles s’apprêtent à quitter l’Europe pour leur pèlerinage d’hiver. L’homme, anéanti par cette assomption, ne prononçait que de faibles paroles ; épouvantablement faibles chez les Français (« Oh putain je jouis ! », « Oh putain je jouis ! », voilà à peu près ce qu’on pouvait attendre d’un peuple régicide), plus belles et plus intenses chez les Américains (« Oh my God ! », « Oh Jesus-Christ ! »), témoins exigeants, chez qui elles semblaient une injonction à ne pas négliger les dons de Dieu (les fellations, le poulet rôti) (…).

Mais à part ces poussées d’humour ? Cela vire rapidement à l’ennui, il y a si peu de vitalité dans ce personnage préoccupé par son vieillissement et n’éprouvant aucun intérêt pour le monde qui l’entoure. D’un seul coup, allez savoir pourquoi chez ce personnage intéressé par la politique autant qu’une serpillère (je ne retrouve plus la citation exacte) surgissent de très longs développements sur la vie politique française ; j’avoue qu’ils m’ont semblé artificiels pour ne pas dire longuets.

Si l’auteur avait voulu faire autre chose que du remplissage avec le point de vue de l’un (l’agent de la DGSE opportunément mari d’une collègue enseignante) et de l’autre (le nouveau président de l’université), s’il avait voulu faire un roman de haute tenue il aurait plongé son héros dans la réalité de sa nouvelle vie. Mais Houellebecq a manqué de vitalité, de courage ou d’envie pour créer le grand roman qui aurait fort justement déchiré ses lecteurs. Soumission me laisse un goût d’inachevé, de bâclé alors que cela aurait pu être un livre important.

Une dernière chose : j’ai une furieuse envie de relire À rebours de Huysman.

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Baigneuse en méditation

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méditationElle est assise dans l’eau froide, paisible et sensuel rêve de pierre.

La torsade de ses reins et ses fesses appellent la caresse et le tissu qui la drape en partie la dévoile plus que si elle était nue. Les cuisses puissantes et le superbe genou droit juste au-dessus de l’onde retiennent l’eau comme une offrande.

Et le ciel reflété dans ce réceptacle inattendu, les ondes frémissantes en écho de la courbe de ses reins, jusqu’au rocher moussu qui lui fait face, inscrivent la belle dans un échange perpétuel avec les éléments.

Gris de la pierre, gris du ciel  et de l’eau. Seuls la mousse sur le rocher, le genou blanc et le reflet des nuages apportent une légère touche de couleur sans rompre l’harmonie de ce moment de grâce.

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Humour madérien

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Fragile...

Fragile…

On a le sens de l’humour à Madère, on aime plaisanter avec indolence et gentillesse, témoin cet immeuble plus que décati dans la vieille ville de Funchal. Le quartier n’a pas encore viré à la pâtisserie touristique de certaines rues où le malheureux au teint trop pâle se trouve coincé entre deux rangées de restaurants qui possèdent chacun un racoleur. On voit ça partout dans le monde, il faut bien vivre, mais ici le racolage se fait en douceur, Demain peut-être ? et un sourire pour faire pardonner le harcèlement.

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Mailman, facteur obsessionnel d’une Amérique minuscule

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MailmanMailman est un facteur américain comme nous le précise le titre du premier chapitre de la première partie de ce pavé de 669 pages. Celui-ci nous raconte les aventures drolatiques, obsessionnelles et pathétiques d’Albert Lippincott que durant tout le roman le narrateur n’appellera que Mailman tellement la fonction lui donne son identité.

Albert, fils d’un professeur d’université et d’une chanteuse ratée, frère cadet de Gillian la sœur un peu perverse avec qui il entretient dès l’enfance des relations troubles, est né dans une famille où l’amour et la communication ne sont pas servis à tous les repas.

Il commence de brillantes études de physique avant de connaître un accès délirant où il est convaincu d’avoir compris la théorie universelle : tout ce qui est petit est le reflet du grand ; suite à quoi il agresse le professeur qui est l’étoile montante de l’université en essayant de lui mordre un œil. Pendant son séjour à l’hôpital psychiatrique il tombe amoureux de Lénore son infirmière et l’épouse. Suite à son épisode délirant, il ne peut plus poursuivre ses études et devient facteur dans la petite ville de Nestor.

Le livre commence des années plus tard quand Mailman est divorcé de Lénore mais toujours facteur à Nestor. Un facteur un peu particulier qui subtilise du courrier pour le lire et le photocopier avant de le remettre à ses destinataires. La machine se grippe lorsque Jared Sprain un jeune artiste se suicide avant que Mailman ait eu le temps de lui rendre sa dernière lettre.

Tout s’enchaîne alors : les ennuis avec une locataire haineuse qui a vu Albert mettre la lettre de Jared dans la boîte et le dénonce à sa hiérarchie, les ennuis avec son chef, les ennuis avec les chats que lui imposent les femmes de sa vie, ex ou défunte…

Nous sommes dans un film des frères Cohen : un héros pathétique et miteux déclenche des fous-rire avec ses galères, ses joies minuscules et ses obsessions ;  nous sommes dans La journée de la marmotte avec le ballet de Volvos ornées de tutus, les majorettes et la reine des produits laitiers sur son char de la fête de Nestor. Ensuite viennent les nettoyeurs :

Arrivés dans une camionnette, les cantonniers de la ville entreprennent de démonter la tribune. Vêtus de gilets et de casquettes orange portant l’inscription SUPERÉQUIPE 2000, une vingtaine d’adultes handicapés moteurs et mentaux sont dirigés vers la grand-rue ; ils sont équipés de sacs-poubelle en plastique et de bâtons munis de pinces métalliques. Après s’être déployés d’un trottoir à l’autre, ils entament leur lente progression en direction du lac, leurs pinces raclant le sol.

Mailman a gagné lors d’un concours de la radio locale un petit appareil photo et il s’en sert désormais pour saisir la vie, les choses minuscules de la vie : le bâton d’une majorette haut dans le ciel, les handicapés, sa sœur, toute la vie qu’il essaie de capter à défaut de pouvoir s’y intégrer. Cela nous renvoie par effet de miroir à cet œil qu’il voulait mordre : désormais le petit objet de plastique bon marché  remplace cette forme de pouvoir dédié au regard.

Le lecteur est pris dans les aventures de Mailman, son esprit délirant qui fait des allers-retours entre passé et présent. Les descriptions magnifiques de tous petits faits d’une tout aussi petite ville américaine ne suffisent cependant pas à éviter l’ennui : trop de détails étouffants. On sait que cela correspond à l’esprit délirant d’Albert se noyant dans les détails pourtant il est difficile de ne pas sentir son attention vaciller dans la première partie du roman. Un conseil : plutôt que d’abandonner ce livre magnifique mais boursouflé de trop de détails, laissez glisser votre regard jusqu’à ce qu’un autre épisode vous accroche.

Avec l’engagement de Mailman dans les Corps de la Paix, une association humanitaire pour apporter les lumières de l’Amérique partout où on a besoin d’elle, l’intérêt revient. La description précise et cruelle de la formation des bénévoles, ainsi que celle de la petite ville du Khazakstan où atterrit Albert sont des pépites.

Après cet épisode les démêlés de Mailman avec sa hiérarchie s’aggravent et vous avez de nouveau quelques pages de trop dans l’interrogatoire musclé que subit  Mailman. Mais lorsque celui-ci décide de fuir plus question de lire en diagonale : la tension est permanente. Albert va très mal, une grosseur au ventre le fait terriblement souffrir et nous voyons son état physique se délabrer. Cette fuite qui ressemble à un retour en arrière : d’abord voir sa sœur à New York puis ses parents en Floride, c’est à la fois une forme de retour sur soi et une façon de boucler la boucle.

Poignant. Sa sœur est une actrice ratée qui supplie pour n’importe quel petit rôle, ses parents sont dans un état de dégradation avancée. Et lui :

Son visage est là, c’est bien lui, oui : l’image la plus familière du monde, celle qui devrait lui apporter un peu de réconfort alors que tout le reste part en sucette. Il n’en est rien, hélas. (…) C’est son visage, d’accord, mais pas celui auquel il est habitué. Comme s’il ressemblait à quelqu’un d’autre que lui. À son père. Pas seulement parce qu’il fait plus vieux, mais parce qu’il est, comme son père, égaré sur le chemin de sa propre vie.

Le pathétique de la grande vieillesse et du désarroi extrême, et toujours des scènes à la cocasserie dérangeante comme le repas d’anniversaire du père d’Albert au restaurant avec vieillards lubriques ou tragiques, conversations navrantes et tickets de réduction pour repas avant 17 heures.

Rien de ce qu’on envoie n’a de valeur tant que ce n’est pas arrivé à bon port.

C’est le fardeau du facteur, celui de tout être vivant dont la vie prend sens au moment de sa mort.

Où que votre vie finisse, elle y est toute écrivait Montaigne. Celle d’Albert Lippincott dit Mailman se termine au bord d’un marécage donnant sur l’océan dans une Amérique où

Les vieux pleins de fric rétrécissent, rapetissent, perdent même certains de leurs membres, tandis que leurs voitures grossissent.

Une Amérique dont l’auteur, J. Robert Lennon, nous livre des tableaux si précis et si cruels que  le rire nerveux s’étrangle pour laisser place au malaise et à la tristesse.

Ce livre, je l’ai pris d’instinct : les couvertures inimitables des éditions Monsieur Toussaint Louverture me semblaient l’assurance d’une découverte. Après  Karoo et malgré quelques réticences dues à la longueur du texte, je n’ai pas été déçue.

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