Chimères dans le froid

Shares

Des monstres de glace sculptés dans la neige soufflée par le ventLe vent a hurlé toute la nuit, soufflant la neige des arbres, sculptant congères et surprises. Silence au matin.

Dans la neige, des monstres hurlants dévalent la pente. En avant-plan une gueule dentée. Requin ? Crocodile ? Une sauvagerie dans le froid d’une surprenante violence : un paysage de carte postale et puis cette horde glacée.

Le groupe des chimères de la nuit, figé dans une cavalcade destructrice, attend le soleil et l’adoucissement des contours avant l’effondrement.

Shares

Festin surréaliste et inversion impertinente

Shares

le festin: femme nue pour servir le buffetCe repas inoubliable vous rend perplexe, beaucoup d’entre vous se demandent ce qui m’a pris. Hormis les prémisses du printemps réveillant une libido inventive, le bel éphèbe sur lequel se déroulent les agapes de mon texte trouve son origine dans une installation d’une surréaliste suisse injustement oubliée, Meret Oppenheim.

Une petite mise en perspective ne fait pas de mal, surtout lorsqu’elle concerne le mouvement surréaliste dont on pense que ses membres étaient de grands révolutionnaires qui ont libéré l’imagination et décuplé les possibles. Las, ne rêvez pas mesdames. Il en est des révolutionnaires en art comme en politique : les grandes idées fusent au salon pendant que les femmes font la vaisselle. On s’échange les femmes, on se passionne pour le marquis de Sade, on désarticule des poupées comme Hans Bellmer, on met un petit buste de femme au niveau des parties masculines comme dans Le Grand Masturbateur de Dali.

Bref la libération de l’imaginaire masculin passe par l’asservissement de la femme, rien de bien révolutionnaire sous le soleil. Quant à la libération sexuelle de la femme, pas de gros mots je vous prie.

Mais… mais un grain de sable grippe la machine en 1959 : la surréaliste suisse Meret Oppenheim. Pour la Fête du printemps, elle présente à Berne une installation qu’elle intitule « Le Festin » : sur le corps d’une femme nue dont le visage est doré comme celui d’une sculpture, elle a posé la nourriture du buffet. André Breton, expert en récupérations, lui demande de refaire l‘installation en décembre pour l’Exposition internationale du Surréalisme à la galerie Cordier. Le propriétaire, Daniel Cordier,  grand Résistant, était l’ancien secrétaire de Jean Moulin qui a unifié la Résistance.

Meret reprend le thème ; cette fois ce n’est pas une femme vivante qu’elle pose sur la table du festin mais un mannequin troublant, un peu mou. Regardez les photos, cela fait presque plus d’effet qu’avec la femme en chair et en os, comme si, à force de traiter les femmes en objet, elles en avaient perdu l’énergie vitale.

Cela m’a donné l’envie d’inverser les choses, et voilà le bel Allan allongé sur la table chez Anatole. Pas de masque doré pour échapper à la concupiscence des femmes en manque d’hommes qui l’entourent, mais un clin d’oeil à la galerie se trouve dans le texte, quant aux phantasmes des hommes de l’époque ils se verront retournés comme un gant par les femmes de celle-ci. Que l’histoire littéraire me pardonne !

 

Shares

Pénitent de neige

Shares

pénitent

Il nous attendait au bord du champ, sculpté par le vent dans la neige de février. L’homme qui marche de Giacometti ; un homme de neige fragile et las qui s’appuyait contre le piquet de châtaignier.

Dans cette solitude poignante, avec sa cape de cristaux de neige lovée contre le bois tourmenté, il semblait en conversation avec le poteau ridé, crevassé, envahi de lichens.  Message chuchoté contre une oreille attentive. Plainte commune ?

Les jeux d’ombre et les vagues de neige, les fils de fer noirs sous le soleil qui emprisonnaient son visage, le vieux poteau oblique en guise de soutien : il a suscité en nous, les marcheurs dans la neige, une émotion profonde.

Shares

Le Transparent, recherche incandescente

Shares

le transparentAmateurs de sentiers balisés et de romans distrayants passez votre chemin : Le Transparent de l’auteur franco-suisse Françoise Matthey est destiné aux familiers de la montagne, aux habitués des sentiers rudes, de l’effort et de la souffrance, tenaillés par la volonté d’avancer, aux êtres en recherche tentés par le vertige.

Étrange livre, en vérité, que cette méditation poétique sur la vie d’un saint du XVe siècle né dans la Suisse primitive, Nicolas de Flue. Un livre religieux ? La biographie d’un saint au XXIe siècle, quelle aberration !

Oubliez vos préjugés et ouvrez ce court texte, vous qui êtes en recherche de vérité au plus près des sensations.

Une fauvette dans le ciel.
Sous ses ailes bouleversantes la transparence de vivre,
Un abandon inouï.
Entre deux trilles, dans le ténu surgi, Nicolas se sent libre.
Immensément
Libre et debout
En devenir.

Françoise Matthey nous décrit un moment essentiel, celui où Nicolas de Flue, heureusement marié, père de famille nombreuse, membre important de sa communauté, décide de tout quitter pour céder à l’appel. Jamais le nom de Dieu n’est cité. C’est une force qui le pousse à partir, moment déchirant auquel il ne peut se soustraire plus longtemps. Nicolas cherche, il avance dans la montagne à la poursuite de ce qu’il sait plus puissant que lui.

Adossé à la force des ombres, Nicolas, au paroxysme de l’instant, persistait à chercher l’essentiel.

Texte puissant, sensuel, d’une poésie de granit et d’horizons infinis, de froid et de vertiges. Une approche dense de l’être en recherche, chaque vers poli et repoli en un objet dur et sans afféterie entrecoupé de quelques poèmes évoquant l’auteur sans doute, le seul moment où quelqu’un prend la parole :

Mon cœur qui se voulait visionnaire
Ne voit rien.
Que le rien qui se meut
Suspendu.

Le chemin de Nicolas n’est pas facile, et la tentation de retourner dans le foyer familial admirablement décrite.

Ce beau texte a été publié aux Éditions de l’Aire dans le canton de Vaud, à Vevey plus précisément, où depuis bientôt quarante ans la petite maison d’édition publie des textes d’auteurs essentiellement suisse romands de très haute tenue. Celui-ci ne déroge pas à la règle. Belle occasion pour découvrir le travail de fond de cette maison qui publie des auteurs importants en toute discrétion. L’édition suisse est vivante, protéiforme, il faut la faire connaître dans ses choix courageux loin des grosses machines éditoriales et des livres de circonstances.

Cet homme à la personnalité si forte qui s’incline devant plus grand que lui et devient Transparent, ouvert à toute la beauté du monde et à la grandeur divine, s’efface dans le poème :

Ainsi,
Celui qui veillait,
Celui qui, (…) avait accueilli tout au long de sa vie,
Transparent,
Parfois dévasté,
La rosée mystérieuse d’un ciel à fleur de terre, à fleur de monde.

Une superbe façon de déplacer le sujet, souvent absent, remplacé comme ici par le démonstratif Celui, avec des reprises là où on ne les attend pas :

Cependant que béat, il contemple, Nicolas, depuis des heures, la pureté des cimes, (…)

Se perçoit faisant partie intégrante d’un jaillissement vital. (…)
Croyant avancer sur des terrains spongieux, ce furent en fait les voies du ciel qu’il empruntait, Nicolas.

Déstructuration de phrases qui accompagnent celles de l’individu, phrases au sujet absent, balancement du prénom comme une feuille dans le vent, cette déstabilisation habile participe du travail du mystique, de sa marche heurtée.

Avec une citation de Lytta Basset (pasteure protestante très connue en Suisse romande) et une autre de Jean de la Croix (poète mystique du XVIe siècle) en guise de prélude, l’utilisation de la chronologie extraite de l’ouvrage du père Charles Journet, Saint Nicolas de Flue, l’auteure ancre Nicolas dans l’intemporalité de la recherche de sens.

Ce texte m’a fait penser au livre que Christian Bobin a consacré à François d’Assise, le Très Bas et les deux textes possèdent en effet de nombreux points communs : un court texte poétique concernant un saint qui n’est ni une biographie ni une hagiographie, dédié au cheminement des deux saints vers Dieu, leur abandon d’une vie douce pour une exigence qui ne leur appartient pas.

Pour le reste, l’écriture de Christian Bobin pleine de douceur et de joie répond en écho à la rudesse et au dépouillement de celle de Françoise Matthey comme un paysage à peine vallonné confronté à la grandeur des Alpes.

Si vous êtes sensible à

L’écho de qui porte en secret vertige et tentation,

Lisez le Transparent.

Shares

Appel aux Valentines

Shares

saint valentinBonjour  mesdames,

En ce jour de Saint Valentin si précieuse aux fleuristes, bijoutiers et restaurateurs, je me permets de vous rappeler que l’excès de romantisme nuit à la santé s’il n’est pas accompagné d’un minimum de lucidité.

Inutile de vous rappeler que cette Saint Valentin que l’on nous ressort de manière obsessionnelle chaque mi-février correspond à des éléments biologiques et historiques bien réels. Il vous suffit d’écouter les oiseaux le matin : ils se mettent à chanter d’une manière troublante : les appels du mâle, fut-il ailé, titille les oiselles et suscite du vague à l’âme.

Mi-février, sous la neige les arbres connaissent la montée de sève et la nature se réveille.

Depuis la plus haute antiquité on a célébré ce moment par des rites de fertilité où le bouc occupait une place importante parce que cet animal représente le champion toutes catégories de la puissance sexuelle dans l’imaginaire des hommes.

Les Égyptiens pratiquaient un rite de fertilité lors de l’accouplement entre un bouc et une femme. L’occupant grec créa le dieu Pan, mi-homme mi-bouc. Les Romains à leur tour s’approprièrent le Dieu Pan qui devint Lupercus, Dieu de la fécondité. Lors des Lupercales, on sacrifiait des boucs, dans une grotte située sous le Mont Palatin, grotte qui aurait abrité Romulus et Rémus. De ce rite découle notre expression « bouc émissaire ».

Quant à la culture judéo-chrétienne dans laquelle nous baignons depuis deux mille ans elle a fait du bouc le symbole de la luxure et le diable est représenté avec des sabots fourchus.

Les Grecs célébraient les « Lukéïa », la fête des loups, et les Romains les Lupercales, du 13 au 15 février. Fête de purification, de sacrifices, mais aussi de luxure. On a posé un voile pudique sur ce qui se passait lors de ces fêtes, avec les luperques couverts des peaux des animaux sacrifiés qui frappaient les femmes à coups de fouets (certaines « nuances de Grey » pourraient en prendre de la graine) et ce qui attendait les jeunes filles tirées au sort pour le banquet final…

Autant dire que ce qui se passait pendant trois jours dans une Rome désormais chrétienne faisait désordre et que les papes ont essayé pendant longtemps d’interdire cette fête scandaleuse. En 494 le pape Gelase a une idée de génie : il va remplacer les orgies des Lupercales par une fête de l’amour. Comment procède-t-il ? Il cherche (et trouve) un saint homme fédérateur. Ce sera Valentin de Terni, un moine roué de coups et décapité le 14 février 269 pour avoir célébré des mariages alors que l’empereur Claude II avait interdit cette cérémonie. Claude pensait que les hommes mariés partaient moins facilement à la guerre que les célibataires, ça se discute.

La date de la mort de Valentin est-elle exacte ? Le fait est qu’elle tombe pile au milieu des Lupercales, le 14 février. Le 14 février 495 le pape célèbre en grande pompe la consécration du nouveau saint dont il fait le patron des fiancés et des amoureux. La première Saint Valentin de l’histoire venait de réussir à supprimer les Lupercales.

Je n’ai pas l’intention de remettre au goût du jour ces fêtes antiques. Le repas inoubliable dont je vous propose d’influer le cours ne mériterait pas les foudres papales, je vous assure. Alors mesdames, prenez un pseudonyme, en aucun cas votre adresse sera divulguée, et influencez le cours de l’histoire dans le sens qui vous conviendra ! Vous ne voudriez pas que je tire le nom de la gagnante d’un chapeau ? Depuis le Ve siècle les femmes ont fait du chemin et elles dirigent le hasard.

J’attends avec impatience vos suggestions. Bien entendu les hommes sont les bienvenus mais je les sais moins timides.

Shares