Elle regarde par la fenêtre de la chambre et admire l’arbre qui se découpe dans l’ouverture. Il est déjà roux, comment est-ce possible ? Hier encore elle s’émerveillait de sa floraison blanche, si fugace qu’elle en a toujours eu le cœur serré.
Tous les matins de sa vie depuis qu’elle est mariée elle regarde par la fenêtre. Au début l’arbre que lui avait donné son ancienne patronne était si petit qu’elle devait se pencher pour le voir. Oui, il était bien là, comme son petit à elle ! Ils ont grandi tous les deux, l’arbre a envahi le paysage, son fils est parti.
Pourquoi tu restes, maman ?
Il s’est sauvé, avec la mauvaise foi comme protection contre le remords.
Au fond, tu dois y trouver ton compte aux coups du père, non ?
Il est trop jeune pour comprendre que les barreaux de la terreur engendrent la plus solide des prisons.
La monotonie des jours et l’absence de surprises. Survivre aux coups, aux humiliations, à la solitude. Elle a appris à se rouler en boule pour protéger sa tête lorsqu’il cogne. Pendant qu’Alfred se défoule elle pense à sa famille d’Amazonie, celle qui ne détourne pas la tête devant les marques noires. Le double qu’elle s’est inventé s’appelle Amanda. La jeune femme se jette dans le puits à sa place et lui tient compagnie. Petit à petit Amanda est suivie par toute sa famille : sa mère, son père, sa nourrice. C’est une famille pleine de drames et de souffrance, elle n’a pas assez d’imagination pour inventer le bonheur.
Il y a de la bise aujourd’hui, et des feuilles rouges s’envolent en direction du ciel bleu.
Amandine, qu’est-ce que tu fais encore, le café n’est pas sur la table !
Un dernier regard et elle ferme la fenêtre.
Amandine, c’est l’heure du déjeuner, il faut descendre, viens…
La vieille dame se secoue. Cet arbre n’est pas son arbre, Alfred est mort et Jean l’a mise dans une maison de retraite. Quelque chose se noue au niveau du plexus, alors elle esquive la douleur et regarde encore une fois l’arbre avant d’accompagner sa voisine de chambre.
De nouvelles feuilles se libèrent des branches et se jettent dans l’inconnu.