Toumany Coulibaly, quelques heures après être devenu champion de France du 400 mètres en 2015, part cambrioler une boutique de téléphones avec des complices. Il a déjà passé du temps en prison et y retournera très vite. Comment peut-on gâcher sa vie et ses dons d’une pareille manière ?
En reprenant les dates, celles qui correspondent à ses cambriolages, celles de ses victoires sur la piste, j’ai l’impression de retracer le parcours d’un champion schizophrène : vainqueur le jour, voleur la nuit. C’est une forme de suicide, en fait. (p. 147)
Dès les premières lignes de Ne t’arrête pas de courir le lecteur est immergé dans la réalité du parloir d’une prison. Le journaliste Mathieu Palain rend visite à Toumany Coulibaly, comme chaque mercredi pendant deux ans.
C’est l’histoire de deux êtres qui n’auraient jamais dû se rencontrer, jumeaux par l’âge et l’enfance dans la même banlieue, l’histoire d’une amitié improbable entre un taulard et un journaliste dont la carrière est en pleine ascension. Tous deux partagent un rêve sportif avorté : Mathieu aurait aimé faire carrière dans le foot, Toumaly voit la sienne brisée par son comportement. Ces éléments donnent beaucoup de profondeur au livre qui ne serait, sans celle-ci, qu’une biographie partielle d’un étrange champion.
Mathieu Palain reconstitue le parcours de Toumany Coulibaly grâce à ses entretiens au parloir d’une manière particulièrement fine et vivante. Tout un monde s’anime : le milieu de l’athlétisme de haut niveau mais aussi le monde des entraîneurs bénévoles, à la fois assistants sociaux, coachs, confidents, éducateurs après leur journée de travail. Ils sont nombreux à avoir tenté d’aider le jeune homme, tant celui-ci est attachant. Toumany issu d’une fratrie malienne de dix-huit enfants, est le seul qui a mal tourné. Il est gentil, poli, mais il ne sait pas dire non, et a développé une véritable addiction au vol depuis son enfance.
J’ai plus d’adrénaline quand les flics me courent après qu’en remportant un 400 mètres.
Est-ce le cœur du problème ?
Le texte oscille entre travail sociologique – l’enfermement, la prison, la double-peine à la sortie quand votre passé bloque toute avancée – et confidences intimes. Au fil des pages, nerveuses, sensibles, bien écrites, avec la transcription de nombreux dialogues lors du parloir, le talent du journaliste est évident. Il nous rend vivante, intense, cette période d’échanges où l’athlète se révèle dans toute sa fragilité et ses contradictions. C’est un texte sans complaisance, humain, pétri de contradictions, car l’obstination à détruire sa vie de celui qui a reçu tant de dons reste opaque. Il reçoit l’aide de psys, passe des diplômes, désire sincèrement s’en sortir car il veut offrir à ses enfants autre chose qu’un père toujours en prison. Mais il n’y arrive pas.
Mathieu Palain s’est impliqué profondément dans ce texte, et le résultat est à la hauteur de ce qu’il a mis de lui-même : sincérité, honnêteté, empathie.
Toumany va sortir, mais que fera-t-il de sa liberté ? La question reste ouverte.
Égoïstement, en tant qu’écrivain, ce que je cherche, moi, c’est une fin. J’aimerais qu’il sorte de prison et qu’il reprenne sa vie en main. Je ne suis ni son frère ni son père, mais quand même, ça me ferait chier qu’il rechute.
Mathieu Palain
L’Iconoclaste, Juin 2021, 452 p., 19€
ISBN : 978-2-37880-239-4