La part des anges est la petite quantité d’alcool qui disparaît dans l’atmosphère alors que le whisky se trouve dans le tonneau. On ne connaît pas d’explication à ce phénomène, c’est peut-être la raison pour laquelle Laurent Bénégui l’a utilisé dans son dernier roman comme métaphore du corps et de l’âme.
La mère de Maxime vient de mourir, et ce cartésien se trouve empêtré dans des sentiments contradictoires alors qu’il a un tas de décisions à prendre comme le choix du modèle de cercueil et celui de la crémation. Tout cela au téléphone, car sa mère s’était installée au pays basque. Au bout de quatre pages de conversation technique, le héros se laisse aller au chagrin, et cette larme est aussitôt relevée par sa mère qui interviendra régulièrement en italique.
La part des anges. Ce qui s’évanouit dans l’air. Cette parcelle d’âme qui subsiste dans le monde des vivants, Muriel la met à profit pour essayer d’aiguiller la vie de son fils dans une direction qui lui plaît, c’est-à-dire celle de la ravissante infirmière qui s’est occupée d’elle et qu’elle a prise en amitié.
Maxime se rend au pays basque pour les obsèques de sa mère. Après la crémation, que faire des cendres ? Le récent orphelin fourre l’urne funéraire dans le panier de sa mère et part faire les courses au marché. Un dernier tour de vie pour celle qui aimait tant se confronter à l’animation grouillante du marché hebdomadaire, aux odeurs des nourritures terrestres. Une sorte d’hommage, un acte d’amour filial. Il y rencontre l’infirmière sexy en question et l’histoire, entre gourmandises terrestres, se finit comme il se doit.
La maman, enfin rassurée, pourra rejoindre l’éther.
Vous aurez compris que nous sommes dans un registre à haute voltige : comment faire rire avec un sujet auquel nous serons ou sommes tous confrontés un jour ou l’autre ? Comment inscrire la marque Bénégui, c’est-à-dire mélanger sujet de plus en plus grave au fil de l’évolution de l’auteur avec l’incongruité qui va provoquer le rire ?
Difficile, l’auteur choisit le parti de la légèreté, nous faisant sourire avec l’épisode de la crémation, avec des détails cruellement exacts. Dieu sait si Laurent Bénégui m’a fait rire avec certains de ses romans ! Mais là, finies les parties de franches rigolades à la poursuite de héros improbables à qui il arrivait catastrophe sur catastrophe comme dans un film de Charlot. J’avais eu mal aux zygomatiques en lisant J’ai sauvé la vie d’une star d’Holywood et Le tournevis infiniment petit. Les formules qui font mouches, les dialogues ciselés à la Audiard, les réflexions mine de rien sur la mort, tout m’avait séduite.
La mort que l’on retrouve en vedette dans ce roman est un thème récurrent chez Bénégui, le thème du père inconnu et de la mère qui choisit d’élever son enfant seule sans révéler au fils qui est son géniteur se retrouve ailleurs. Dans Naissance d’un père, le héros sans père allait devenir père et s’efforcer de ne pas fuir devant ce mystère redoutable : la paternité.
Le père inconnu se trouve lui aussi sur le marché, que va faire Maxime de cette révélation ? Suspense ? Pas vraiment car on a peiné à suivre ce héros ectoplasmique et ce marché est vraiment pléthorique.
Nombre d’ingrédients appartiennent à ce qui a fait le succès de l’auteur : situations « abracadabrantesques » comme cette virée au marché avec sa mère dans le cabas, mélangées aux situations les plus scabreuses comme le silence dans la chapelle qui ne masque plus la partie technique de la crémation. Le styliste se montre éblouissant dans les descriptions, et celle du marché est un sommet :
Sous les hautes verrières, l’affluence était à son comble. Les files d’attente se mêlaient dans les travées en un cordon ininterrompu qui unissait les boutiques les unes aux autres. Les tours de boudin, les chapelets de saucisse et de chorizo dansaient sous l’acier éclatant des lames trapues, s’échangeaient dans un tumulte sans cesse renouvelé, finissaient dans des papiers cirés, garnissant les paniers. Puis un mouvement général de reptation transportait les acheteurs sous les odeurs marines, à quelques mètres, où des sections de thon tombaient sous les dents de larges couteaux, étaient emballées, pesées, avant de glisser sur les chairs nacrées des calmars, et de s’appuyer contre les langoustines engourdies par la glace. (p. 113)
Voilà le Bénégui que j’aime, le styliste savoureux et gourmand de la vie ! Quel dommage que le roman n’ait pas trouvé immédiatement cette verve magnifique, ces vibrations qui palpitent et nous renvoient la vie en écho de la mort calibrée et tarifée du business funéraire !
Quel dommage que le roman commence de cette plate manière :
Le visage de Maxime s’inscrivit sur la vitre baignée de soleil, au sixième étage d’un immeuble haussmannien du centre de Paris. Âgé de trente-cinq ans, il portait le cheveu ras et l’ombre d’une barbe soulignait le caractère attentif de ses traits.
On dirait un exercice d’atelier d’écriture pour débutants. Des phrases pareilles pour celui qui décrit si amoureusement la langue ?
Le basque s’invitait dans la conversation pour souligner une complicité, marquer une prérogative. Il chantait ses phonèmes inusités, ses consonnes claquantes, et tout le monde postulait, ici, qu’il devait être compris, sinon parlé.
J’avoue ma déception. Le héros n’a pas de consistance, le coup de la belle infirmière fait roman de gare et le père cerise sur le gâteau.
Comment écrire avec légèreté mais sans inconsistance ? La part des anges ne nous donne pas de réponse.
Tu m’incites donc à lire… les précédents livres de cet auteur, et zapper celui-ci 🙂
Tu as très bien reçu le conseil! On peut aussi lire celui-ci si on a besoin de pop-corn…