Sophie Calle et la construction autour du manque

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Sophie CalleCe matin, dans le cadre de l’ouverture de la FIAC, la foire internationale de l’art contemporain, l’artiste Sophie Calle était l’invitée d’Augustin Trapenard dans l’émission Boomerang.

Quel beau moment ! Cette grande dame tout en retenue et Augustin Trapenard faisant son métier, à savoir faire dire à l’invité(e) ce qui fait sa vie d’artiste, les mécanismes de sa création.

Sophie Calle, voix douce et posée et en face l’urgence de la radio, on n’a pas le temps de laisser s’installer les silences. L’artiste était là pour présenter son nouveau projet intitulé Tout et publié comme les autres livres-objets de l’artiste aux éditions Actes Sud, 54 cartes postales correspondant à autant de projets et de présentations, la récapitulation de 35 ans de vie d’artiste.

Passage obligé de la promotion, Augustin Trapenard met un peu de temps à briser la réserve de celle qui n’est pas dans le batelage, mais après quelle richesse ! L’explication du travail et des motivations d’une vie d’artiste, avec ses pudiques blessures. Pudique, l’artiste qui suivait des inconnus ou les invitait dans son lit ? Pudique l’artiste qui utilise le matériau brut de sa vie pour faire œuvre ? Oui, pudique. À l’extrême.

En peu de mots, ramassés, épurés, elle explique pourquoi ce dernier livre-objet bilan vient à ce moment de sa carrière. Elle parle de son père qui vient de mourir, ce père pour qui elle est devenue artiste puisqu’il était collectionneur d’art contemporain. Elle parle de cette double création, l’œuvre au mur (pour le père) et le livre (pour ceux qui aiment son travail). J’ai parlé ici d’un de ces livres-objets, si intimes et en même temps si universels que chacun retrouve une parcelle oubliée de sa vie.

Le fait d’avoir suivi des gens en 1980 ? « J’ai suivi ces gens comme moteur, pour utiliser leur énergie ». En filigrane, la fragilité, la désorientation de qui revient dans sa ville et ne la reconnaît pas. Ce coup d’éclat qui la rend célèbre la poursuit : « On est tatoué. Je resterai pour toujours la fille qui a suivi des inconnus en 1980 ».

« Garder des traces », voilà le moteur de celle qui dit avoir si peu de mémoire. Elle conserve tout. Et on comprend à travers cette voix si posée qui aligne lentement des phrases parfaites, que sa vie est construite autour du manque, de l’absence. Celle de la mère (mais elle n’entre pas dans le terrain de la confidence où voudrait l’entraîner l’homme de radio) et les autres. Tremblé de la voix lorsqu’un extrait d’interview d’Hervé Guibert l’ami disparu la surprend.

« Je comprends une ville beaucoup mieux quand j’ai vu son cimetière », dit Sophie Calle à la fin de l’interview. La façon dont on traite les morts en dit beaucoup sur les vivants, mais l’attention aux morts, aux traces qu’ils laissent, en dit beaucoup sur Sophie Calle.

Échange d’une grande richesse, ce matin, sur France Inter. Quand le présentateur s’efface, oublie ses cymbales pour juste guider la conversation et laisser s’exprimer une des artistes les plus importantes de sa génération.

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2 réflexions sur « Sophie Calle et la construction autour du manque »

  1. Edmée

    C’est vrai qu’on est tatoués, comme si l’évolution que l’on découvre chez soi (si on l’a acceptée en vivant vraiment et non pas refusée en « restant tel qu’on était à tous prix » – surtout le prix de devenir soi!) on la refuse aux autres. On qualifie si vite d’erreurs, égarements, zones d’ombre ce qui est l’apprentissage de beaucoup, et on choisit de ne plus les voir que faisant ce « faux pas » (qui d’ailleurs dit qu’il était si faux que ça s’il a conduit à un être adulte sans haine, sans rancoeurs, sans vengeance dans le coeur?). Ce débat semble très intéressant en tout cas…

    1. Nicole Giroud Auteur de l’article

      Oui Edmée, vous avez raison, ce débat est vraiment intéressant, et toute la démarche artistique et philosophique de Sophie Calle également, parfait modèle de recherche de soi-même dans toute sa vérité. « Tatouée », je trouvais le mot très fort et très juste!

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