Archives de l’auteur : Nicole Giroud

La vérité sur l’Anthogrammate II

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Et Georgette, l’octogénaire vigneronne, vous ne l’avez pas inventée ? Pas plus que Marguerite, cher lecteur soupçonneux.

Cela se passait une dizaine d’années après la rencontre avec la fausse représentante de produits pour les aveugles.

Un dépassement intempestif en bas de Reignier, une petite plaque de verglas et hop ! Des virages avec ma Panda Val d’Isère, d’un côté le muret de pierre, de l’autre le ravin avec le ruisseau tout en bas. Je dois dire qu’être une acharnée joueuse de Tétris m’a bien aidée : j’essayais d’éviter les obstacles pour acquérir le plus de barres, je veux dire de mètres possibles pour que ne pas entendre la petite musique : maintenant vous êtes mort, try it again ! J’ai fini deux cents mètres plus loin contre le muret dans le sens inverse de mon dépassement et la voiture avait rétréci pendant qu’un nuage de fumée m’obscurcissait le paysage. La portière était coincée, plus de vitres, j’ai essayé de sortir à quatre pattes par l’arrière.

Bref un bel accident spectaculaire, avec le sentiment d’irréalité qui l’accompagne, un lundi matin en allant travailler. Ce qui explique l’hôpital après les pompiers. Et ma rencontre avec Georgette. Je vous épargne le passage aux urgences et le reste, pour me concentrer sur la rencontre avec l’octogénaire vers les dix heures du matin, soit trois heures après mes exploits.

On m’a installée dans la chambre d’une vieille dame d’apparence tranquille, pas bavarde au début. Je me suis dit que ça allait être reposant et déprimant, j’avais peur des vieux, surtout quand ils perdent la tête. Vers les onze heures le défilé a commencé, exactement comme je l’explique dans le roman sauf que je n’étais pas Marguerite et que j’étais à peine quadragénaire. Des visites, encore des visites ! J’essayais de dormir, épuisée par mes émotions du matin.

On craignait une hémorragie interne, j’avais du sang dans le ventre, j’allais rester à l’hôpital, m’a expliqué le médecin. Portrait exact de l’individu dans le roman. Alors Georgette a sorti la bouteille de limonade de dessous son lit. Et quand mon mari est arrivé le soir, je lui ai expliqué en riant, l’œil brillant et les joues un peu rouges, que j’allais rester à l’hôpital et qu’il devrait se débrouiller avec les enfants. Cela nous réjouissait apparemment beaucoup, ma vieille voisine et moi.

L’homme a reniflé la bouteille de limonade vide et promis que le lendemain soir il amènerait une bouteille de Bourgogne pour notre hydratation du soir et les enfants pour les rassurer sur l’état de leur mère.

Georgette était réellement vigneronne à Ayze, elle s’était cassé la jambe en descendant l’escalier raide qui menait à sa cave. Tout ce que j’ai écrit dans le roman à son sujet est exact. Georgette est une des personnes les plus lumineuses que j’ai rencontré dans ma vie. Vous connaissez ces solidarités d’hôpital, quand, dans la souffrance et la solitude qui vous placent hors du temps, vous vous trouvez sur le même radeau que les compagnons de chambre. Naissent alors des torrents d’amitié violente qui disparaissent aussitôt la vie quotidienne reprise comme l’eau retrouve son calme après l’orage. Quand je suis partie de l’hôpital nous avons pleuré, Georgette et moi. Mais il y avait les enfants, le travail, la maison. Je l’ai oubliée.

Lorsque je me suis enfin rendue à Ayze, je ne me souvenais plus de son nom et je n’ai pas retrouvé la maison qu’elle m’avait pourtant décrite très précisément. C’est un regret lancinant de ma vie ; nous traînons tous une cohorte de regrets, d’amitiés avortées, de petites lâchetés qui plombent le paysage. Aujourd’hui Georgette doit reposer quelque part dans le petit cimetière d’Ayze, mais où ? J’ai voulu lui rendre la vie, Marguerite effectue à ma place les visites que je n’ai pas rendu à ma compagne d’hôpital, elle essaie de gommer mes remords de femme égoïste reprise par le quotidien.

Georgette qui ne s’appelait pas Georgette (prénom d’une de mes tantes au verbe haut) recevait des tas de visites, en particulier des jeunes. Portraits repris dans le livre. Son fils était cantonnier, sa fille institutrice. Georgette m’avait expliqué que cette dernière venait de prendre sa retraite et que c’était difficile.  Elle avait rencontré son mari dans le petit village de montagne où elle avait eu son premier poste. Sa fille est venue se mélanger à Marguerite, personnage infidèle celui-là, je le reconnais.

J’ai pu me rendre compte du pouvoir des livres : après la biographie de Louis Favre j’ai reçu beaucoup de courrier. Alors, si par hasard la fille de Georgette, ancienne institutrice, lit l’Anthogrammate (je ne compte pas trop sur son fils cantonnier, passionné par la pêche plus que par l’écrit, portrait fidèle là encore) j’aimerais qu’elle me contacte. Que je puisse me rendre au cimetière et reprendre avec sa mère notre conversation interrompue. J’apporterai une bouteille d’Ayze et deux verres.

Pour le reste de vos interrogations, j’attendrai vos questions sur mon blog et j’y répondrai avec le maximum de précisions et de sincérité possibles.

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Statistiques et troisième sexe

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En examinant attentivement mes statistiques sur Facebook, j’ai découvert que pour Lovita broie ses couleurs, mes fans se divisaient en deux groupes : les femmes, 53% dont une majorité de 25/34 ans et de plus de soixante, et les hommes, 44% dont une minorité de 25/34, le reste se répartissant équitablement.

Cela en dit long sur l’irritation des jeunes mâles face à Lovita mais cela me réjouit que les jeunes femmes se reconnaissent. Quid des quadragénaires ? Leurs enfants virent boutonneux, la voix rauque de leur ancien petit garçon, leur fille dont elles évitent tous les jours les bombes incendiaires et autres rockets, l’homme à surveiller pour gérer le fameux tournant existentiel, sans compter le travail et la gestion du quotidien : les malheureuses sont débordées, trop occupées à établir un semblant de paix du foyer dans cette pétaudière. Je comprends fort bien. Heureusement, l’apaisement de l’âge aidant, les turpitudes de la vie se calment et je regagne des lecteurs dans les deux camps. Passé soixante ans, à part les grands-parents surexploités, tout le monde retrouve le temps de lire.

Non, une autre chose me chiffonne dans ces statistiques très élaborées. Un rapide calcul mental montre que nous arrivons à 97% d’hommes et de femmes.

Et les 3% restants ? Des eunuques ? Des hermaphrodites ? Des anges dont chacun sait qu’ils n’ont pas de sexe ? Les prénoms mixtes comme « Dominique » peut-être ? Des travestis et des transsexuels alors ? Vous approchez de la vérité : les statisticiens, en intégrant le troisième sexe dans leurs calculs, reconnaissent tant de civilisations passées ou présentes qu’il faut leur rendre hommage. Bien sûr les Bugis en Indonésie reconnaissent cinq sexes différents, mais pour le confort des lecteurs les statisticiens, dans leur infinie sagesse, n’en ont retenu que trois.

Ils ont pensé aux travestis des Philippines, aux transgenres de Thaïlande qui leurrent tant de touristes, aux quasi-femmes des Maoris ou de Samoa, aux femmes-hommes albanaises et j’en passe. Même les Sioux que l’on imaginait toujours sur le sentier de la guerre avait leurs winkte, quant au Mexique il a ses muxe dans la province d’Oaxaca ; dans les deux cas des hommes occupent rôle et apparence de femmes. Grâce soit rendue aux statisticiens pour cette ouverture d’esprit malgré cette douloureuse découverte : Lovita broie ses couleurs n’intéresse pas tout le genre humain.

 

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Les brumes de l’apparence ne se déchirent pas

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Au tournant de la quarantaine, une femme qui a réussi sa vie dans l’événementiel à Paris, mariée à un chirurgien esthétique, vient d’hériter d’une forêt en France profonde. Elle désire la vendre au plus vite car elle déteste la campagne mais rien ne se passe comme prévu. La forêt est hantée, la jeune femme est un grand médium qui s’ignore, héritière d’une longue lignée de sorciers.

Magie noire, magie blanche, crise de quarantaine, opposition du bien et du mal, du rationnel et de l’irrationnel, tout se mêle et s’affronte dans la vie de Gabrielle. L’auteur a choisi pour son héroïne le prénom de l’ange visité par les visions et apparitions que lui envoie Dieu dans les Livres. Choix subtil car les révélations d’une autre vie ne manquent pas dans ce roman qui se lit agréablement ; le style alerte de Frédérique Deghelt, son art consommé de la narration et sa croyance intime en une vie qui nous échappe et envahit notre quotidien.

J’ai regretté le côté manichéen et sans nuances du roman : l’ombre contre la lumière, le Bien contre le Mal, la ville et la campagne, le superficiel et le profond, le rationnel et l’irrationnel. Comme si dans la vie nous n’étions pas noyés dans un gris où se mêlent intimement tant d’éléments contradictoires !

Le roman hésite entre plusieurs tendances de fond : on se prépare à une lutte grandiose et définitive contre le sorcier maléfique mais on en n’a que les prémices, l’héroïne est victime de son mari qui la fait interner mais sort le lendemain de Sainte Anne, aidée par l’esprit de la sœur du directeur, elle obtient un magnifique contrat d’une manière assez mystérieuse, toujours à gagner sa vie de la même façon alors que celle-ci est totalement chamboulée et la fin rose bonbon avec l’amour qui pointe de nouveau son nez surprend par son inadéquation avec ce qui précède.

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Le retour de la malédiction

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Tout à l’heure une vaniteuse curiosité m’a poussée sur Internet, histoire de vérifier si L’Anthogrammate apparaissait facilement aux éventuels lecteurs et acheteurs. Voilà que la barre défile. Satisfaction. Le livre est bien là, cité un certain nombre de fois.

Mais… mais… Un je-ne-sais-quoi, comme une poussière dans l’œil ou du poil à gratter attire mon regard. Je clique sur cet anthogrammate-là et douze pin-ups en position suggestive envahissent l’écran. Un calendrier comme on en voit dans les garages, je suppose que les camionneurs ont le même dans leur cabine pour mieux avaler leurs kilomètres solitaires.

MalédictionMarguerite Letourneur, vieille fille qui se dessale si tard que vraiment, l’imaginer poser pour un calendrier, même pour novembre ou décembre, est totalement inimaginable, Marguerite, l’héroïne de l’Anthogrammate, se retrouve mêlée au travail « artistique » d’un dessinateur aux Vénus callipyges dont les fesses rivalisent avec des obus mammaires destinés à équilibrer par effet de contrepoids une marche improbable. Il est vrai que les jeunes personnes représentées ne marchent pas, et que Marguerite fait de l’auto-stop, donc ne marche pas non plus. J’ai beau chercher, aucun autre point commun n’est possible.

Lovita, je reconnais, c’était plus facile. Et le dessin de couverture n’aidait pas, le côté callipyge attirant le regard des messieurs. Mais Marguerite ! une retraitée de l’Éducation nationale !

Les mystères d’Amazon ou de Google ?

Non, c’est plus profond. Une malédiction, l’émission de la part de puissants sorciers d’ondes si  lubriques que le potentiel lecteur-acheteur va se détourner, horrifié, devant des œuvres au contenu pourtant presque innocent. La faute à ces deux signes qui viennent d’une entité qui me dépasse et qui m’envoie un message : je devrais peut-être me reconvertir dans la littérature pour adultes…

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La vérité sur L’Anthogrammate I

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Un lecteur de L’Anthogrammate m’a félicitée pour mon imagination en me demandant où j’allais chercher tout ça, parce que, vraiment,  ce que je racontais dans ce livre était parfaitement invraisemblable.

Il m’a vexée. C’est vrai que j’ai de l’imagination mais dans le cas précis elle m’a surtout servi à brouiller les pistes pour éviter que les gens se reconnaissent et mettent un contrat sur ma tête. Alors je vais dire la vérité, toute la vérité je le jure. Je commence le déballage comme cela me vient mais il est évident que je répondrai à toutes vos questions concernant le livre.

Marguerite Letourneur existe vraiment. Je  l’ai rencontrée deux fois.

C’était il y a pratiquement trente ans. Je revenais de la bibliothèque d’Annemasse chargée de livres, et à l’époque il y avait des feux de circulation, maintenant on les a remplacés par un rond-point plutôt complexe où il faut impressionner les autres pour pouvoir passer. Elle a ouvert ma portière juste au moment où le feu venait de passer au vert, une femme âgée, mal coiffée, misérablement vêtue, avec un gros sac. Exactement comme je l’ai raconté dans le roman. Elle n’arrêtait pas de parler, de papa qui était instituteur, de la vie qui était dure, des produits pour les aveugles qu’elle vendait. Je l’ai amenée chez moi. Elle est restée un bon moment, a fait des risettes au bébé, a profité du jardin. Quand j’ai voulu lui acheter des produits pour les aveugles elle m’a annoncé des prix si exorbitants que j’ai eu un mouvement de recul mais elle a tout de suite enchaîné pour me mettre à l’aise :  les jeunes femmes avaient tout ce qu’il leur fallait, elle comprenait… Puis le bébé s’est endormi. Elle m’a demandé de la descendre à Reignier, elle se débrouillerait ensuite pour trouver une voiture.

J’ai toujours un temps de réaction plus ou moins rapide. Le soir j’avais honte de ma pingrerie, le lendemain c’était devenu une avarice inouïe et une femme âgée était en train de mourir de faim à cause de moi. J’ai fait garder le bébé et je me suis mise en route pour Monnetier-Mornex où la vieille dame m’avait dit habiter. Me voilà qui affronte des chiens hargneux et des propriétaires qui ressemblent à leur chien avant de tomber sur une dame charmante qui me dit « Non, vraiment, cela ne me dit rien… Vous savez, la commune est riche, jamais on ne laisserait une femme de cet âge-là dans le besoin. »

Quelques mois plus tard, re-belote. Au même feu, dans la même situation. Même gros sac fatigué. Comme je l’ai écrit dans le roman : « Mais je vous reconnais ! Et votre papa qui était instituteur ! » Elle est devenue livide, j’ai cru qu’elle allait sauter en marche sur le pont qui enjambe l’autoroute, j’ai dû m’arrêter dès que cela a été possible à la sortie du pont.

Quelques années plus tard a eu lieu un recensement de la population : conditions de vie, combien de personnes, de pièces dans le logement, etc. Une dame charmante se présente chez moi : elle s’occupe d’un vaste secteur incluant Monnetier-Mornex où elle visite tous les logements. Tous les logements ? Alors elle a peut-être rencontré une vieille dame dans le dénuement le plus absolu obligée de vendre des produits pour les aveugles ? La dame me regarde, un mélange d’envie de rire et de pitié à la fois : « Vous aussi elle vous a eue ? » L’envie de rire prend le pas sur la pitié, elle éclate d’un rire bruyant : oui, elle l’a rencontrée. Elle habite Reignier, dans un des plus beaux immeubles qui ont été construits sur la commune. Elle est propriétaire de son grand F4, elle était fonctionnaire mais à la retraite elle s’ennuyait. Alors elle avait mis au point sa combine de produits pour les aveugles pour pénétrer dans la vie des autres. « Vous savez, vous êtes loin d’être la seule à être tombée dans le panneau… »

Voilà, vous connaissez le point de départ du roman : je me suis fait rouler dans la farine par une arnaqueuse pour le moins originale. Ne me demandez pas son nom, la dame du recensement ne me l’a pas donné. D’ailleurs je ne le lui ai pas demandé. Toujours un temps de réaction, je vous dis…

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