Les raisons d’une fascination

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La valise diplomatique photographiée par l'alpiniste Arnaud Christmann. Crédits photo : ARNAUD CHRISTMANN/AFP

Je vous ai déjà parlé du premier roman de Rohinton Mistry, Un si long voyage, paru en 1991. La Leçon de natation, Une simple affaire de famille suivront à moins que je sente de la lassitude de votre part.

Je crois qu’il faut que je vous explique les raisons de mon intérêt exclusif pour cet auteur : il décrit de l’intérieur l’univers parsi. Je connais intellectuellement cette communauté restreinte, mais Rohinton Mistry, c’est la chair qu’il montre, fables et mesquineries, douleurs et éclats de rire. Ses  livres parlent tous de la communauté parsie de Bombay car Rohinton Mistry a émigré au Canada lorsqu’il était étudiant. Mistry est parsi, le nom même de Mistry signifie d’ailleurs « parsi » et c’est un nom courant en Inde.

Les parsis font partie d’une infime minorité de la terre indienne, mal connue sous nos latitudes. Ce sont des zoroastriens qui ont quitté la Perse lorsqu’ils se sont sentis menacés par l’islam, et ils sont arrivés sur la côte du Gujarat en 936 de notre ère. Depuis ils ont enrichi l’Inde par leur sens des affaires, créant les industries les plus performantes sous la domination anglaise avant de faire la même chose depuis l’indépendance. Les parsis n’ont pas peur de l’argent mais il ne les domine pas : ils le redistribuent généreusement dans leur patrie d’origine, et on ne compte plus les écoles, hôpitaux, instituts scientifiques, universités, écoles d’art qui doivent leur existence aux parsis. Les parsis ne veulent pas polluer la terre, raison pour laquelle ils exposent les cadavres nus au sommet des Tours de silence dont cinq se trouvent encore en activité à Bombay. Je pourrais écrire des pages et des pages sur cette communauté fascinante par sa culture, sa philosophie, son histoire et qui va s’éteindre si ses prêtres continuent à se monter aussi intolérants.

Pourquoi un tel investissement dans une communauté si éloignée de la nôtre ? Parce que cette communauté est l’élément central du livre que je suis en train d’écrire. Ce fut un enchaînement étrange.

Au départ, une conférence donnée dans la région où je vis par quelqu’un qui s’annonçait comme « l’aventurier alpiniste qui a retrouvé les épaves du Constellation « Malabar Princess » et du Boeing « Kanchenjunga » dans le massif du Mont-Blanc ». Je me suis précipitée. La conférence tenait de l’écœurement et de la fascination, je la raconte très précisément dans le livre. Car l’homme ne se contentait pas de se congratuler, il présentait dans une salle attenante le fruit de ses rapines sur le glacier dont certains éléments particulièrement abominables comme les scalps des marins du Malabar Princess ou indécents comme les sous-vêtements de la seule hôtesse de l’air française à bord du Kanchenjunga.

Cela a fait tilt : je ne savais pas encore comment mais mon prochain roman parlerait de cette histoire.

Je me suis documentée, j’ai lu une très grande partie de ce qui a été publié sur ce crash   et sur celui du deuxième avion, seize ans plus tard. Jusqu’à ce jour seuls deux avions civils se sont écrasés sur le Mont Blanc, tous les deux indiens, l’un en 1950, le Malabar Princess et l’autre en 1966, le Kanchenjunga. A trois cent mètres près au même endroit sur le glacier des Bossons. Deux avions chargés de mystère dont les circonstances du crash n’ont pas vraiment été éclaircies pas plus que le contenu exact de leurs soutes. J’ai dévoré le livre d’investigation de la journaliste Françoise Rey Crash au Mont-Blanc, paru en mars 1996 aux éditions Glénat. Extrêmement bien documentée, la journaliste a été introduite par son compagnon auprès des Chamoniards qui ne sont pas réputés pour être bavards avec les journalistes.

Dans le deuxième avion, en 1966, se trouvait à bord le père de la bombe atomique indienne, un parsi, le professeur Homi Bhabha. L’avion a explosé et seuls sept corps sur cent dix-sept étaient intacts. Parmi ceux-ci, une jeune indienne entièrement nue, habillée de ses seuls bijoux. Lorsque j’ai lu le procès-verbal de la gendarmerie de Chamonix, j’ai su que ce serait elle, l’héroïne de mon livre.

La compagnie Air India a été créée par JRD Tata, elle s’appelait  Air India International et le nouvel état indien venait de la nationaliser. La puissante famille Tata est parsie, comme beaucoup d’industriels indiens.

C’est ainsi que l’héroïne est devenue parsie, elle s’appelle Rashna, ce qui signifie « la création »: beau symbole pour un roman en train de s’écrire…

Voilà pourquoi ma prochaine critique de livre concernera La Leçon de natation de Rohinton Mistry, écrivain parsi émigré au Canada.

 

 

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Un si long et si beau voyage

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Rohinton Mistry fait partie des auteurs de la littérature anglo-indienne les plus connus. Il décrit avec subtilité le monde de la petite bourgeoisie parsie, une minorité surtout connue pour ses grands capitaines d’industrie comme la dynastie Tata. Mais les héritiers zoroastriens ne se limitent pas aux réussites brillantes, et Rohington Mistry nous immerge avec tendresse dans ce monde crépusculaire de petites gens plongés dans l’histoire contemporaine indienne.

Nous sommes à Bombay en 1971, à la veille du conflit avec le Pakistan. Gustad Noble, employé de banque parsi, vit avec sa femme Dilnavaz et leurs trois enfants dans un immeuble rempli de gens modestes qui vivent au jour le jour les tracasseries de la vie entre le lait allongé d’eau et les coupures d’eau, le manque chronique d’argent et de place.

« Ses yeux se portèrent sur l’étroit dholni sur lequel dormait Sohrab, et que l’on rangeait, enroulé, sous le lit de Darius pendant la journée. Gustad aurait voulu acheter un véritable troisième lit, mais il n’y avait pas assez de place dans la petite chambre ».

Sorhab a dix-huit ans, c’est l’espoir de la famille, il vient de passer un concours pour une école d’ingénieurs dont on attend le résultat. Son cadet Darius (quinze ans) n’est pas aussi brillant et la petite, Roshan, neuf ans, fréquente l’école catholique.

La vie de l’immeuble, avec ses personnages hauts en couleurs comme miss Kutipia qui pratique la sorcellerie ou le touchant boîteux, le jeune Temul qui n’a pas toutes ses facultés. Tous auront leur rôle à jouer dans la tragédie qui va se dérouler.

Gustad vit un quotidien de gêne rythmé par la prière et le travail, l’amitié aussi. L’ami total, le major Bilimoria, a disparu sans laisser de traces trois ans auparavant et il vient d’écrire une lettre demandant l’aide de son ami Gustad. L’autre ami de Gustad – Dinshawji – travaille dans la même banque que lui. C’est un clown, toujours entre deux blagues cochonnes qui égayent tout le monde à la banque.

Un si long voyage décrit le quotidien d’un homme bon père de famille bon époux, et puis  tout déraille : le major demande dans sa lettre à Gustad d’accepter un paquet pour lui, et celui-ci est en fait une énorme somme d’argent. Au même moment Sorhab refuse d’entrer dans l’école d’ingénieur, il veut faire des études de lettres qui ne le mèneront qu’au chômage des diplômés selon Gustad. Le père et le fils se fâchent et Sorhab quitte la maison. Roshan tombe malade, Dinshawji aussi.

La mort rôde, et le malheur, et l’histoire de l’Inde avec en filigrane les ombres du régime d’Indira Gandhi : corruption, dictature, manipulations, violences et tortures.

Ce si long voyage que va entreprendre Gustad, je ne veux pas le décrire : il faut lire ce roman pour la plongée dans un univers mal connu, pour la vérité universelle des conflits humains et des sentiments, de l’humaine condition qui nous touche au plus profond de nous-mêmes. Entre l’histoire de l’Inde et le microcosme d’une communauté elle-même minuscule, entre les conflits éternels et les petites choses de la vie, Rohinton Mistry a tissé une toile d’une finesse et d’une solidité extrême.

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Avez-vous vu le gorille ?

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Dans un test d’attention sélective célèbre appelé test du gorille les psychologues Daniel Simmons et Christopher Chabris ont montré le fonctionnement de ce que l’on appelle en français la cécité inattentionnelle : lorsque notre esprit est occupé par une tâche, des éléments très importants qui se passent à ce moment-là lui échappent totalement.

Dans ce test du gorille, on donne une vidéo à regarder à des spectateurs avec une consigne précise : deux équipes vont se faire des passes de basket, une équipe en noir et une autre en blanc ; les spectateurs doivent compter seulement les passes des joueurs en blanc.

Au milieu du test, une femme déguisée en gorille passe au milieu du terrain, danse, frappe sur sa poitrine à la manière de King Kong avant de s’éloigner sans se presser.

60% des spectateurs ne l’ont pas remarquée !

On peut multiplier les tests d’attention sélective, je vous propose les trois suivants sans vous donner d’indications pour que vous puissiez faire vous- même l’expérience :

Les deux femmes qui bavardent, le très drôle test télépathique ou le questionnaire.

Nous souffrons tous d’un déficit d’attention lorsque nous sommes concentrés sur quelque chose et celui-ci peut aller très loin, mettant notre vie et celle des autres en danger au volant, par exemple.

Quant aux manipulations que cela entraîne, elles sont vieilles comme le monde, les boucs émissaires sont faits pour ça. Que font les dirigeants de tous les pays pour détourner l’attention de la population des vrais problèmes ? Ils la focalisent sur un leurre qui va la passionner. Souvenez-vous de Léonarda la jeune Roumaine qui a occupé le terrain dans notre pays pendant trois semaines… et pendant ce temps-là la loi sur l’espionnage en temps réel des Français venait d’être validée à l’assemblée. Actuellement Poutine distrait l’attention des Russes des problèmes économiques grâce à l’Ukraine. Personne n’a dit que le détournement d’attention  ne pouvait pas être dangereux…

Le test du gorille a valu le IG Nobel de psychologie à Simmons en 2004. Pourtant l’attention sélective est une constante de notre cerveau dont la mise en évidence par les expériences américaines méritait mieux qu’un prix de dérision.

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Méprise sur Facebook

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Le meilleur moyen d’avoir rapidement des nouvelles de nos proches, c’est d’aller consulter Facebook : un petit clic et voilà les dernières photos du week-end, de la sortie entre collègues, de la vidéo de ceux qui ont oublié l’utilité du téléphone (ne parlons pas de la poste, on ne remonte pas jusqu’à Mathusalem tout de même).

Quel choc, hier, de lire sur la page facebook de mon neveu par alliance :

« RIP Moumoune… »

L’irruption de la tragédie dans le quotidien.

Suivent les messages : « Elle était jeune pourtant », « Toutes mes condoléances », etc…

C’est sûr, la maman de François doit avoir mon âge, et jamais ma filleule ne m’a parlé de maladie, que s’est-il passé ? Un AVC ? une crise cardiaque ? un accident de la circulation ?

Impossible de joindre quelqu’un dans la maison, le téléphone sonne dans le vide.

Je lance une lessive de noir pour l’enterrement, nous annulons toute prévision de sortie ou d’invitation pour la fin de la semaine. Quelle tristesse ! Dire que j’avais oublié d’envoyer l’œuf de Pâques pour le petit !

Je dévore la moitié de l’œuf en question au café, prise d’un creux métaphysique : on est peu de chose sur terre, je ferais mieux de ranger mes affaires…

–        Ma moumoune, me dit tendrement mon fils en me serrant contre lui…

Le soir toujours personne, je laisse un message plein d’émotion, demandant tout de même qu’on nous précise la date et l’heure de l’enterrement car nous serons là, bien sûr, sauf si la famille désire la stricte intimité.

Aujourd’hui le téléphone sonne : c’est ma filleule, la voix enrouée de chagrin.

–        C’est arrivé si vite… Elle a pris quelque chose, un poison, on ne sait pas quoi exactement.

Un suicide ? La maman de François ?

–        Elle était si légère, il n’a a sans doute pas fallu beaucoup…

–         ??? … ???

–        Et on ne sait pas où, peut-être dans le jardin, mais nous on ne met rien du tout. Elle a peut-être mangé une limace empoisonnée, et quand on pèse deux kilos et demie… La vétérinaire l’a bien dit, si c’était un chien de quinze kilos ce ne serait pas du tout la même chose.

 

 

 

 

 

 

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Coincée dans les livres pour adultes!

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Lovita broie ses couleurs connaît une mésaventure qui m’a amusée au début : le roman est catalogué chez Amazon dans la littérature dite pour adultes (pourquoi appelle-t-on ainsi les livres de sexe ?)

Est-ce dû à la proximité du titre avec un livre de cette catégorie très particulière qui s’appelle Lovita ? A la page de couverture où une jeune femme brune aux fesses rebondies contemple la mer ?

Lovita broie ses couleurs n’est pas au premier abord un roman pour bonnes soeurs, d’accord, mais je connais certaines catéchistes qui l’ont lu en frémissant d’horreur au début puis sont restées accrochées jusqu’à la fin. Quant à l’amateur de littérature porno, il sera fort déçu s’il lit mon roman : aucune scène hard, je donne plutôt dans l’érotisme suggéré.

Les conséquences de cette classification sont importantes : le livre est accessible sur Amazon.com, mais caché sur Amazon.fr, accessible seulement aux initiés qui savent contourner les arcanes de la morale. Un comble pour un livre que l’on peut lire à tous les niveaux mais certainement pas à celui en dessous de la ceinture !

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