Mural numéro 2

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Un vilain portail en métal noir, hostile, et sur ce support improbable, une fille qui balance ses longs cheveux roux, une fille qui fait penser à la magnifique chanson de Léo Ferré, C’est extra:

Une robe de cuir comme un fuseau
Qu´aurait du chien sans l´faire exprès
Et dedans comme un matelot
Une fille qui tangue un air anglais
C´est extra…

La sensualité un peu triste de cette fille dont on ne voit que le nez et la bouche qui ne sourit pas, cette fille au visage masqué par la masse de ses cheveux, extatique, concentrée, cette fille saisie au moment où elle est penchée en arrière en un mouvement de masse qui la cache et la dévoile, cette fille provoque des vibrations contradictoires.

Elle est éclairée par une lumière qui vient de haut, soleil ou spotlights, et la dorure part de ses cheveux sur le front, glisse sur l’arête du nez, s’attarde sur la bouche et coule sur l’épaule avant de couler le long des plis de la manche de son pull. Ombre et  torse fondu dans le sombre support. Chaleur. Elle a remonté ses manches.  La lumière souligne sa magnifique chevelure en coulées désordonnées pleine d’une vie sauvage, l’or et le cuivre, la sauvagerie et le mystère, sur ce vilain portail noir plein de coulures sales quand on abandonne la belle danseuse.

L’artiste ne peut pas supprimer l’environnement déglingué mais il a fait surgir tant de vie, de vibrations et de sensualité que la jeune femme perdue dans son extase silencieuse réchauffe la froide journée londonienne. On se surprend à avoir envie de relever ses manches mais la pluie reprend.

Ecoutez Léo Ferré chanter C’est extra

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Mural numéro 1

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La belle fille aux yeux pers sur cet immense  mur de briques ne regarde pas les passants, elle semble plongée à l’intérieur d’elle-même, dans un paysage aussi triste que celui sur lequel on l’a emprisonnée.

Les yeux ourlés de cernes noirs, noyés d’une nostalgie indicible, mangent le regard des passants qui s’immobilisent, qui glissent ensuite vers son épaule nue au ras des ordures sur le trottoir. Le trouble de cette épaule nue, la proximité de la chair exposée et superbe avec les déchets jetés sur le trottoir kaléidoscopent l’immonde et le beau.

Elle enserre une rose dans sa main droite. Aucune expression de contentement sur son visage, comme si elle humait le vide, que la rose d’acrylique sur son visage figé n’était qu’un symbole kitch dont elle se serait bien passé.

Le peintre a d’ailleurs forcé sur les roses : une au sommet du crâne, une autre sous l’oreille droite comme les poupées espagnoles et la troisième dans sa main droite, était-ce le manque d’imagination, la facilité, l’envie de contrer la nudité de la fille alanguie sur le mur de briques ?  Trois roses pour cette fille épaule nue contre le bitume, n’est-ce pas un peu trop ?

Un homme passe, regard baissé, casquette rouge, il est pressé. Deux poteaux métalliques empêchent les voitures de se garer devant le mur aveugle envahi par cette fille si triste, une marée de tristesse et de beauté sous un ciel gris, un jour, à Londres.

 

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La vérité sur l’affaire Harry Quebert

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J’ai mis du temps à lire La vérité sur l’affaire Harry Quebert tant la publicité appuyée autour de ce roman m’avait irritée : je déteste les admirations imposées par les rois des médias. Alors je l’ai lu tranquillement, une fois le battage médiatique retombé.

Je ne me suis ni ennuyée, ni passionnée, juste étonnée de tant de « buzz » autour d’un livre si peu original. Où se trouve « l’épopée » que certains ont évoquée ? Mystère de la grande braderie des mots.

Tout le monde connaît l’argument : un jeune écrivain doit écrire son deuxième livre mais il est en panne d’inspiration ; ça tombe bien, son mentor et ami, l’écrivain Harry Quebert, vient d’être accusé du meurtre d’une Lolita dont on vient de retrouver son cadavre dans le jardin avec le manuscrit de son célèbre roman à côté d’elle. Le jeune Marcus Goldman vient au secours de son maître et enquête dans la petite ville où se sont passés les faits. Un auteur en panne qui vient en aide à un autre auteur qui était en panne lui aussi au moment des faits : jolie mise en abîme.

Pour qui regarde la télévision et va au cinéma, cette enquête évoque la série américaine Cold case puis le film Minority report avec la fâcheuse accumulation de preuves autour de celui qui est en fait la vraie victime de l’écrivain Harry Quebert, un malheureux entre Quasimodo et Cyrano.

Au niveau de l’enquête, les rebondissements s’enchaînent : la pauvre Nola passe par tous les stades, d’adolescente radieuse à l’état de quasi prostituée officielle de la petite ville avant de se révéler psychotique.

Trop c’est trop. Un grand roman américain ?

Ce que j’ai trouvé de très américain dans ce roman, c’est l’épaisseur, alors que sous nos contrées on préfère les livres anorexiques, les éditeurs surtout. Mais là, vraiment, cette abondance de dialogues creux, de coups de théâtres se contredisant les uns les autres, c’était vraiment utile ? Je me surprenais à penser Enlève ça, là c’est de trop, évite cette complaisance… Franchement, une gamine fille de pasteur des années 70, vous l’imaginez faire une fellation au chef de la police locale pour en faire un criminel et protéger l’écrivain qu’elle aime ? Le jeune auteur a transposé son époque, non ? Et la caricature de mère juive ?

Passons sur le copié collé avec le roman La tache de Philip Roth, les références admiratives de l’auteur sont touchantes, d’autres s’y sont essayé en leur temps, je pense à Régine Desforges et sa Bicyclette bleue très inspirée d’Autant en emporte le vent. Elle avait connu le même succès public.

Reste un roman qui n’est pas le chef d’œuvre que certains ont essayé de nous vendre avec insistance mais qui se lit très agréablement. La mise en abîme  sur la création littéraire et l’imposture  justifie amplement la lecture de ce succès de librairie. J’attends avec impatience les livres suivants de ce jeune homme doué, apparemment très au fait des pratiques de l’édition dont il saura je l’espère déjouer les pièges.

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Femme et actrice en Iran : la bise de Cannes

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Le Festival de Cannes est terminé, on a roulé le tapis rouge, remisé les paillettes, mais que va devenir l’actrice iranienne Leila Hatami confrontée aux censeurs de la république islamique ?

Le vent de la rigueur islamique s’est levé sur Cannes le 18 mai lorsque Leila Hatami, l’actrice et membre du jury du festival de Cannes 2014, a fait la bise au président du festival de Cannes, Gilles Jacob.

Anodin, me direz-vous… Pas du tout, c’est un problème crucial : depuis la révolution de 1979, une femme ne doit pas toucher le corps d’un homme de quelque manière que ce soit, à moins qu’il fasse partie de sa famille. Elle peut lui serrer la main, avec des gants, de la manière la plus neutre possible. La fameuse bise de bienvenue, filmée par toutes les télévisions étrangères, a été retransmise à la télévision iranienne, mais floutée tellement le crime était grave.

Aussitôt, selon l’IRNA (l’agence de presse de la république islamique), les autorités de la République islamique ont jugé que Leila Hatami avait eu un comportement inapproprié et le vice-ministre de la Culture, Hossein Noushabadi est monté au créneau pour défendre la pudeur des Iraniennes offensées par un tel crime : « Qu’elle soit artiste ou non, la femme iranienne est le symbole de la chasteté et de l’innocence, donc une telle attitude inappropriée (ayant eu lieu) récemment au festival de Cannes n’est pas conforme à nos principes religieux ».

Inapproprié. Cité deux fois. Cela ne vous rappelle rien? Bill Clinton et son comportement inapproprié avec Monica, les conséquences politiques qui s’en sont suivies? L’Iran n’a pas le monopole de la censure.

Devant l’ampleur du scandale, Gilles Jacob a pris sur lui la « faute » de Leila Hatami en postant un message sur Twitter : « C moi qui ai fait la bise à Mme Hatami. À ce moment, elle représentait pour moi tout le cinéma iranien, ensuite elle est redevenue elle-même ».

Jésuistique, pathétique et élégant de la part du directeur du Festival de Cannes.

Tout de suite après l’IRNA a affirmé que l’actrice avait envoyé une lettre d’excuse à l’organisation du cinéma iranien où elle expliquait qu’elle avait essayé de respecter les règlements mais que Gilles Jacob, 83 ans, « a oublié ces règlements, ce qui arrive avec l’âge, et ma tentative (…) de lui serrer la main a échoué ». Si Leila Hatami a réellement envoyé cette lettre, c’est montrer beaucoup d’ingratitude que de sous-entendre le président du festival de gâtisme, mais la peur a des raisons que la conscience ne connaît pas.

Selon l’agence de presse du régime iranien, le site d’informations Tasnimnews, des étudiantes iraniennes auraient porté plainte contre Leila Hatami, réclamant pour son péché des coups de fouet et de la peine de prison. Désinformation ? Manière de mettre la pression sur toutes les femmes susceptibles de prendre un peu de liberté face à la loi islamique ? Réalité d’un pays soumis depuis si longtemps à la mise au pas ?

Le vent noir (c’est la signification étymologique du mot bise) des femmes voilées et de la surveillance religieuse qui musèle le pays depuis 1979 doit faire frissonner l’actrice mais pas seulement : toutes les femmes attentives à la réduction des droits des femmes de par le monde doivent rester vigilantes. Rien n’est acquis, jamais.

Les journalistes ont déserté la Croisette, le mini scandale de la bise de l’actrice est tombé aux oubliettes. Gageons que Leila Hatami, devra subir encore longtemps les remous provoqués en Iran par ce geste qui nous a semblé si anodin. Sera-t-elle à Cannes, l’année prochaine ?

 

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La leçon de natation, saut dans le grand bain de la littérature

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Pendant ses études à Toronto Rohinton Mistry a publié des nouvelles concernant sa terre natale, Bombay, et plus précisément la communauté parsie dont il est originaire. Ces Tales from Firozsha Baag ont eu beaucoup de succès et ont été publiés en un volume en 1987, traduit et repris ensuite par les éditions Hatier en 1991.

Ce volume de jeunesse, c’est l’origine de l’œuvre, les personnages des livres futurs qui prennent vie et ressuscitent l’enfance et la prime jeunesse de l’auteur. Chaque nouvelle est une brique de la construction future et petit à petit les habitants et leurs travers se renvoient en écho, se complètent, et toute une communauté s’anime.

J’ai souvent pensé à Isaac Bashevis Singer en lisant les nouvelles de celui qui était un tout jeune homme lorsqu’il les a écrites. Cette même façon de ressusciter une communauté religieuse fermée, avec le surnaturel et la satire, ses doutes, la force de la tradition aussi…

La dernière nouvelle, La Leçon de natation, m’a bouleversée par sa force et sa subtilité : là, sans rien connaître de lui, on sait qu’on a affaire à un grand écrivain.

Cette nouvelle décrit la vie dans l’immeuble de Toronto où vit le narrateur, et la description de la vie nous renvoie en écho aux nouvelles précédentes, car la vie, ici ou ailleurs, ce sont les êtres humains qui souffrent et qui vont mourir, qui aiment et qu’on abandonne. Un vieil homme meurt, double du grand-père. L’auteur essaie d’apprendre à nager, tentative cocasse et inaboutie, comme à Bombay sur la plage de Chaupatty. Il envoie à ses parents des nouvelles banales sur sa vie et les frustrent d’autant. Jusqu’à ce qu’ils reçoivent un paquet en recommandé, le premier livre de leur fils :

« Dans les nouvelles que papa a lues jusqu’ici, toutes les familles parsies sont pauvres ou de classe moyenne, mais ça ne le gêne pas ; ça ne le gêne pas non plus d’y reconnaître ses propres souffrances ; mais tout de même il faudrait montrer quelques aspects positifs de la communauté parsie, elle a de quoi s’enorgueillir (…)

Quant à maman, ce qu’elle préfère, c’est la précision des souvenirs, tout est merveilleusement décrit, y compris les choses tristes ; et même les récits qu’il a inventés sonnent vrai. »

Et la conclusion, véritable définition de la littérature :

« Ne vois-tu pas, réplique papa, que tu confonds la fiction et la réalité, la fiction ne crée pas la réalité mais se nourrit d’elle, les faits, on les fusionne, on les transpose, on les exagère, on les minimise comme on veut pour les besoins de la fiction ; mais il ne faut pas confondre la cause et l’effet, ni ce qui est véritablement arrivé avec ce que raconte l’histoire, il ne faut pas perdre le sens de la réalité, c’est courir à la folie ».

 

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