Fantômes à l’ombre de Winnicott

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Le titre du roman À l’ombre de Winnicott m’a immédiatement fait penser au célèbre psychiatre anglais avec sa mère moyenne, «  good enough mother », la mère assez bonne, quand ma fille se plaignait de la sienne. Je ne voyais pas très bien ce que la couverture avait à voir avec Winnicott, et je fus fort surprise de découvrir un roman gothique que je m’apprêtais à refermer. Autant le dire tout de suite, je ne suis pas amatrice de ce genre de littérature. Mais dès la première page du texte, le mélange de stéréotypes et d’humour est détonant :

Viviane Lombard, puisque tel était son nom, hésita à s’engager dans l’allée cavalière encadrée de bois denses et bordée de chênes moussus dont les ramures se rejoignaient en une voûte de branches dénudées. Lui vint alors à l’esprit l’idée qu’elle pouvait encore faire demi-tour et reprendre un train pour Londres,

où se jeter sous un train pour Londres.

Non, cela créerait trop de désagréments au chef de gare, aux voyageurs, à tout le monde. Et causerait beaucoup trop de chagrin à Émilienne, sa cousine. (p.11)

J’étais intriguée et déjà conquise. Pourtant nous avons affaire à tous les stéréotypes du genre. Un jeune couple innocent (et fortuné) vient d’emménager dans un inquiétant manoir perdu dans la campagne du Sussex, en Angleterre, pays où les fantômes sont estampillés d’origine. Ils ont hérité la demeure de Winnicott Hall où ils comptent vivre avec leur fils de dix ans qui est aveugle. Une gouvernante française vient s’occuper de l’enfant. Nous avons donc un château hanté, un enfant aveugle, une mère un peu snob, un père archéologue (comme le deuxième mari d’Agatha Christie), une gouvernante gothique et dépressive, ainsi qu’un majordome quintessence de Down Town Abbey, des jeunes bonnes un peu évaporées et une cuisinière rassurante ; il ne manque plus que les fantômes ! Justement, « Y en a aussi », comme on dit dans les Tontons flingueurs. Continuer la lecture

À l’ombre de Winnicott
Ludovic Manchette / Christian Niemiec
Le Cherche Midi, août 2024, 504 p., 22,50 €
ISBN : 978-2-7491-7992-6

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Pourquoi écrire un roman sur un faussaire ?

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« Pourquoi avoir choisi un faussaire comme personnage principal ? », me demande le jeune journaliste. Il n’a pas osé dire comme héros, parce que cela heurte son sens moral.

La raison principale, la plus évidente, est que la vie des faussaires célèbres est plus intense que celle de bien des héros de romans. Les faussaires d’exception sont avant tout des artistes, la plupart d’entre eux ont fait des études d’art, ils aiment les peintres qu’ils copient ou imitent. Il est vrai qu’ils exploitent leur don pour escroquer d’honnêtes collectionneurs, mais ils sont bien aidés par nombre de marchands d’art qui leur achètent leurs tableaux en toute connaissance de cause. Ils aiment l’argent pour le luxe et le prestige qu’il procure, la plupart d’entre eux sont flamboyants, originaux, de véritables célébrités de la jet set comme on dit. Les grands faussaires se lancent rarement seuls dans l’industrie du faux et travaillent avec leur femme la plupart du temps. Ils sont souvent eux-mêmes marchands d’art et finissent par être trahis, soit par une négligence, soit par les soupçons que suscite auprès des enquêteurs leur insolente réussite. La morale est sauve. Continuer la lecture

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Salon du livre de Gaillard 2024

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C’était ce week-end, à la fin des vacances scolaires genevoises et en plein milieu des vacances scolaires françaises. Impossible de déplacer la date, il y a tant de manifestations !

Les auteurs pâtissent de cette situation, eux qui sont venus nombreux à ce rendez-vous littéraire. Nous étions une soixantaine, dont certains habitent parfois fort loin ce qui leur occasionne des frais pas si annexes que cela : transport, logement, repas du soir. Le déjeuner offert par la municipalité et la gentillesse de tous les bénévoles sont appréciés par tous, mais ne compensent pas le lourd investissement de ceux qui sont venus montrer leur travail, sortir de la solitude de l’écrivain pour rencontrer celui à qui on destine tous ces efforts, le lecteur et le plus souvent la lectrice. Continuer la lecture

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Les affres d’un titre

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Écrire un roman est une chose (je vous expliquerai une autre fois pourquoi je me suis lancée dans cette histoire de faussaire), lui trouver un titre en est une autre. Pour tout vous avouer, je ne suis pas douée pour les titres. À moi les titres trop longs, ou les noms incompréhensibles comme l’Anthogrammate : qui pouvait savoir que celui-ci est un spécialiste du langage des fleurs ? Le flop était assuré. Bon, je me rassure en me disant que les lecteurs se souviennent parfois approximativement du titre du livre qu’ils cherchent, même s’il est très bon comme Le Silence des agneaux. Une amie libraire m’avait raconté qu’une cliente était venue chercher Le Silence des moutons…

Le titre d’un roman doit donner une idée du contenu tout en titillant la curiosité et l’imagination des futurs lecteurs, nous sommes d’accord. Mais quel titre donneriez-vous pour la vie d’un faussaire, un sale type alcoolique, cocaïnomane, amateur de jeunes prostituées, que sa femme et ses enfants ont pourtant soutenu pendant les pires moments de sa vie ? Un bon père, mais un escroc, incapable de voir les souffrances de la population néerlandaise pendant les deux guerres mondiales ? Cet individu dépassé par les événements qui a été obligé de vendre un faux Vermeer à Göring ? Cet ancien enfant méprisé par son père qui a essayé désespérément de lui montrer sa valeur ? Cet homme passé en quelques jours d’individu le plus haïssable de Hollande à la personnalité préférée des Néerlandais ? Cet homme détestable auquel on ne peut s’empêcher de s’attacher ? Continuer la lecture

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Pando, la société en train de mourir

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De loin, en automne, le spectacle est magnifique quand tous les arbres de cette forêt du centre de l’Utah virent au jaune vif. Elle s’étend sur 43 hectares, et il n’y a pas d’autre espèce d’arbres à part les peupliers faux-tremble qu’on appelle ainsi parce que le moindre souffle de vent agite ses feuilles. Lorsque tous les arbres se mettent à frémir à l’unisson, que ressentent les hommes qui lèvent la tête et écoutent le murmure de millions de feuilles ?

On a constaté dans les années 1970 que cette forêt n’est pas vraiment une forêt. Les scientifiques ont découvert que tous les arbres étaient reliés par un même système racinaire, formant comme un seul arbre aux 47 000 tiges. Ils ont nommé cette merveille Pando, ce qui signifie « je m’étends » en latin. Continuer la lecture

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