Le prix des femmes esclaves dans l’état islamique et en Sicile

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Courrier International de la semaine du 13 au 19 novembre nous donne deux informations qui se télescopent concernant l’esclavage des femmes et qui nous forcent à réagir.

La première concerne le dernier document administratif  de Daech : « Le prix de vente des butins ». Pour faire face à la chute des prix des esclaves et donc à celle des taxes perçues, l’Etat islamique a institué un prix fixe selon l’âge des femmes yézigies et chrétiennes. Plus de loi de l’offre et de la demande, cette fragilisation du marché ; la marchandise est pléthorique mais Daech est là pour rétablir l’ordre ; la peine de mort pour les contrevenants devrait suffire à lutter contre l’effondrement du marché.

Les prix des esclaves ? La fourchette se situe entre 33 euros pour les femmes de quarante à cinquante ans jusqu’à 68 euros pour celles qui ont entre vingt et trente ans. Attention, les prix explosent pour les enfants entre un et neuf ans : 200 euros.

Le nombre des esclaves est limité à trois pour les administrés, mais il est illimité pour les autres pays musulmans.

Honte et dégoût, les médias et les liens sociaux arabes se déchaînent contre un tel document.

Du côté européen qu’en est-il au sujet du sort des Roumaines réduites en esclavage en Sicile ? Quel média a relaté le calvaire de ces femmes, chez nous, en Europe, avant l’article de Courrier International relayant celui du Corriere della Sera ?

Commençons par le prix, puisque l’argent est le moteur, dans un cas comme dans l’autre. Les esclaves de Raguse coûtent entre 15 à 20 euros par jour. C’est plus cher que les femmes chrétiennes ou yézigies, je vous l’accorde. Mais pour ce tarif (vous n’êtes d’ailleurs pas obligé de payer, distribuer irrégulièrement le salaire vous donne encore plus de pouvoir), vous avez une femme dans la force de l’âge habituée aux durs travaux agricoles, vous la logez dans des endroits où vous ne mettriez même pas votre chien, vous la violez quand vous voulez et vous l’offrez à vos amis lors des soirées entre hommes.

Nous sommes en Europe, dans l’arrière-pays de Raguse, dans un coin de serres et de petites fermes, en Sicile. On a viré les Tunisiens qui osaient exiger un salaire décent et se serraient les coudes. Les Roumaines les ont remplacés, dociles, isolées, silencieuses ; elles doivent faire vivre la famille au pays, elles viennent avec leurs enfants, convaincues que ceux-ci iront à l’école. Magnifique élément de chantage supplémentaire.

Des esclaves terrifiées qui avaient cru fuir la misère et n’osent se plaindre. Des femmes méprisées par les autres femmes du coin qui excusent leurs époux. Ceux-ci bombent le torse, quels séducteurs, de vrais hommes ! Sans doute ces femmes qui courbent l’échine devant eux leur donnent-elles un sentiment de puissance que leur vie à la limite de la gêne ne leur avait jamais procuré. Leurs épouses profitent de l’aubaine : bonne humeur du mari, moins de coups pour elles et leurs enfants. Les autres, les Roumaines, quelle importance ? Les demandes d’avortement explosent, l’hôpital de Modica n’arrive pas à suivre ? Quelle importance ?

Quelques députés alertés par le prêtre et les organisations humanitaires interpellent le gouvernement. L’hypocrisie parlementaire se met en marche : délégation en visite dans la région, bla-bla politique : « Nous allons mettre en place les premiers protocoles d’intervention (…) Les réponses ne peuvent pas être uniquement répressives (…) assurer une assistance sanitaire et du bénévolat »

Bla-bla politique.

Aucune sanction judiciaire, le viol en réunion et la contrainte sexuelle ne doivent pas être des délits en Sicile, Italie, Europe. Les femmes roumaines continueront de travailler dans la chaleur ou le froid, elles continueront à quémander l’eau potable, l’école pour leurs enfants et le misérable salaire que leur doit le patron tout puissant.

Nous nous indignons des placards de Daech avec le prix de ses esclaves ? Nous frémissons de peur devant ces barbares musulmans ? Nous avons l’indignation sélective, regardons de plus près ce qui se passe chez nous, dans un pays de grande tradition catholique.

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Entre humour et cruauté: Portrait de l’écrivain en animal domestique

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portraitL’écrivain, jeune femme qui approche la quarantaine et dont nous ne saurons jamais le nom, a mis sa plume au service de l’empereur du burger, Jim Tobold, pour écrire son Évangile, quelque chose entre l’hagiographie sacrilège et la promotion d’un capitalisme écrasant.

L’écrivain ne se présente pas vraiment à son avantage : velléitaire, lâche, révoltée en pensées mais jamais en actes. Une belle plume cultivée qui se met au service d’une machine à broyer dans le but de la glorifier. Le luxe et l’argent, la grossièreté des puissants, notre intellectuelle avale beaucoup de couleuvres : spectatrice d’un monde qu’elle abomine mais qui très vite la fascine et la contamine, elle n’a plus beaucoup d’illusions sur son statut de pur esprit voué à la littérature.

Lydie Salvayre nous présente un beau portrait de self made man brut de décoffrage, ogre cynique et vulgaire, colosse aux pieds d’argile jamais consolé de ses souffrances et humiliations d’enfant pauvre. L’écrivain(e) n’est pas mal non plus, en créature coincée entre un individu trop fort pour elle, avec ses louvoiements et ses ruses, ses révoltes avortées et ses nombreux accommodements avec la morale.

Le début du roman est tout simplement éblouissant.

« J’avais le cou meurtri à cause de la laisse, et l’esprit fatigué de l’entendre me dire C’est noté ? Vingt fois par jour C’est noté ? Sur le ton qu’il réservait au personnel de service C’est noté ? Car je devais me rendre à l’évidence, j’étais à son service. Tenue de lui obéir, de l’admirer, de pousser des Oh, des Ah et des C’est merveilleux. Et j’avais beau me prétendre écrivain, j’avais beau me flatter de consacrer ma vie à la littérature, j’avais beau me convaincre du caractère romanesque de la besogne que j’avais acceptée, inconsidérément, il n’en demeurait pas moins que j’étais à la botte d’un patron promu par la revue Challenge leader le plus influent de la planète, lequel m’avait chargée d’écrire son évangile (c’était le mot dont il avait usé mi-amusé mi-sérieux), d’écrire son évangile contre rétribution, et la somme qu’il m’avait offerte était telle que je n’avais pas eu le cœur de la refuser ».

Tobold est marié avec Cindy mais parle surtout à son chien Dow Jones. Il règne sur la planète comme un char de combat, s’exerçant de temps à autre au machiavélisme :

« Je n’en ferai qu’une bouchée, se réjouit-il en se frottant les mains. Mais je ne sus s’il parlait de Cindy (son épouse), de Ronald (son rival), des États-Unis (son pays d’adoption), ou tout bonnement de la planète entière. Et lorsqu’on lui annonça l’arrivée du nonce apostolique, je le vis se concentrer quelques secondes, changer complètement d’expression pour se composer le visage qu’il appelait sa gueule d’entubeur, puis d’une voix soudain pleine de miel, Ayez la bonté de vous asseoir, dit-il au nonce avec une sorte de gourmandise, car il aimait s’exercer, par pur plaisir, aux manières courtoises qu’il avait révisées récemment (selon les confidences de sa secrétaire) lors d’un cours particulier d‘excess-conviviality ».

Cela retombe un peu au milieu du roman, difficile de faire très fort sur une si longue distance: les atermoiements de notre biographe s’éternisent, la sauce s’allonge, la fin cahote, bancale, entre prudences excessives et reprises artificielles mais qu’importe, je n’ai pas boudé mon plaisir avec ce roman drôlatique et cruel bien dans notre époque. Quant aux questions morales que l’auteur pose concernant la puissance de corruption de l’argent et ses accommodements avec le Charity business, le contrôle des masses laborieuses et leur exploitation, si elles ne font rire personne, elles sont magnifiquement montrées.

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L’enfant des marges ou l’impossible organisation du monde

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L'enfant des margesDans une autre vie Ioan était un célèbre photographe présent sur tous les fronts de guerre ou de catastrophes naturelles de la planète. Sur ses clichés, aucune présence humaine, aucune mise en scène de la détresse des humains. Seulement la brutalité de la destruction.

Et puis Ioan est devenu à son tour un territoire dévasté après la mort de son fils disparu en mer. Sa belle-fille Gina a coupé les ponts et Ioan n’a plus jamais revu son petit-fils Valentin. Ioan s’est réfugié dans les Cévennes, il remonte de manière obsessionnelle des murettes de pierre. « Il a depuis longtemps sectionné au plus profond de sa conscience les racines qui le relient aux siens.

Ni ascendant ni descendant. Etre une entité close sur soi-même, le seul moyen qu’il ait trouvé pour ne pas sombrer. D’autres choisissent la folie. »

Mais voilà que le téléphone sonne : Gina lui demande de retrouver Valentin, dix-sept ans, qui fugue à Barcelone.

Le fragile édifice de la tranquillité s’écroule. Ioan part en quête de ce petit-fils qu’il n’a pas vu depuis douze ans dans les squatts de Barcelone. Bien vite la quête de cet enfant se transforme en recherche plus complexe : Ioan recherche autant l’adolescent que la vérité sur son propre père ; dans la Barcelone contemporaine on n’en finit pas de liquider le passé de la guerre civile tout en vivant intensément.

C’est une plongée dans l’Histoire, celle de la guerre civile avec l’aspect mal connu des massacres des anarchistes par les communistes qui ont combattu à leur côté, mais aussi une histoire d’hommes à laquelle nous convie Frank Pavloff, filiation difficile, reconnaissance, pardon. En même temps nombre de femmes aident la recherche et le passage dans ce livre dont l’héroïne semble la ville même, avec ses voleurs et ses révoltés, ses personnalités obsédantes et la Sacrada Familia la figure tutélaire.

« La basilique se rappelle à nous. Elle gémit, siffle, hurle de tous ses poumons, claironne. On vante l’architecture primitive et avant-gardiste de Gaudi mais quand tu vis ici tu comprends que cette église a été élevée avant tout pour faire chanter le vent. Les tours ont chacune leur tonalité les courbes et les bosses des façades vibrent au diapason, la pierre et le ciment accordent leurs timbres, le bronze des portes monumentales sonne les graves, la céramique affûte les aigus ».

Rien de touristique dans cette balade, mais du vivant, du douloureux, de l’idéaliste aussi. La jeunesse est en marche et désire un autre monde, Ioan approuve sa révolte, avance dans sa découverte de ce bouillonnement perpétuel, et en même temps il avance vers une forme d’apaisement : « On n’hérite pas de la faute de ses parents, pas plus qu’on ne détermine l’avenir de ses enfants ».

Il y a de telles richesses dans ce beau livre poétique et douloureux ! Ne passez pas à côté de cette interrogation très fine sur le passé et ses implications dans notre vie.

« Si le passé ne revient pas il ne se gomme pas non plus, c’est dans cet espace incertain que les hommes s’évertuent à ajuster leur vie ». »

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Les enfants, les chercheurs et les maths

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On parle beaucoup de la grande misère des chercheurs et la plupart d’entre nous se montrent indifférents aux difficultés des scientifiques, pensant que cela n’a pas d’impact sur notre vie.

V.IzardGrave erreur, et dans des domaines inattendus qui nous touchent de près. Un exemple : les recherches de Véronique Izard sur l’apprentissage des nombres. Ses recherches commencent avec les nouveau-nés : avec une autre chercheuse, Arlette Streri, elle constate que les nouveau-nés âgés de quelques heures à trois jours sont capables de faire la différence entre les nombres 4 et 12. Dès la naissance pratiquement, les petits d’hommes peuvent faire la différence entre « peu » et « beaucoup ». 2 ou 3 représentent peu pour le nouveau-né et tout ce qui est en-dessus est beaucoup. Cette limite augmente ensuite, et les expériences de Véronique Izard continuent, d’abord des bébés de un an puis des enfants en pré-scolarité.

Elle constate qu’avant même d’aller à l’école, les enfants sont capables de gérer les nombres approximatifs, et vous pouvez faire l’expérience à la maison : faites deux tas de bonbons, le premier en contenant quatre et le deuxième douze. Inutile de regarder où vont se diriger les petites mains gourmandes, vous le savez déjà !

Quel est le rapport avec l’apprentissage des mathématiques ? Le passage aux nombres exacts. Lorsque l’enfant fait une addition, il a une idée approximative du résultat. Il a de la peine à comprendre qu’un résultat est faux ou juste. Pour lui, il y a une grande différence s’il s’est trompé de quelques unités ou de plusieurs dizaines, toujours la pensée du peu et du beaucoup. Il faudrait d’autres chercheurs, en pédagogie ceux-là, pour rendre le passage de l’appréhension spontanée du nombre à celle du nombre exact plus facile et plus rapide.

Véronique Izard poursuit ses recherches en direction de la compréhension de la géométrie chez les bébés, mais sa bourse du Conseil européen de la recherche se termine bientôt. Êtes-vous toujours persuadé que les conditions de recherches des chercheurs n’ont aucun impact sur votre vie ?

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La recherche du disparu

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La recherche du disparuVoici la première nouvelle du recueil Vivre après la guerre ; elle s’intitule La recherche du disparu et est disponible sur mon blog en format PDF, Kindle et EPUB pour plus de confort.

Si vous préférez la lire sur le blog, elle se trouve à cette page. Dans tous les cas de figure, j’aimerais beaucoup avoir vos commentaires ou à défaut de commentaire, que vous cliquiez sur le bouton J’aime ; ce sera en effet déterminant pour la suite du recueil. Je ne mettrai les autres nouvelles en accès payant (0,99 euro, même pas la moitié du prix d’un journal…) que si cela intéresse suffisamment de personnes. Bonne lecture à tous !

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