Les brumes de l’apparence ne se déchirent pas

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Au tournant de la quarantaine, une femme qui a réussi sa vie dans l’événementiel à Paris, mariée à un chirurgien esthétique, vient d’hériter d’une forêt en France profonde. Elle désire la vendre au plus vite car elle déteste la campagne mais rien ne se passe comme prévu. La forêt est hantée, la jeune femme est un grand médium qui s’ignore, héritière d’une longue lignée de sorciers.

Magie noire, magie blanche, crise de quarantaine, opposition du bien et du mal, du rationnel et de l’irrationnel, tout se mêle et s’affronte dans la vie de Gabrielle. L’auteur a choisi pour son héroïne le prénom de l’ange visité par les visions et apparitions que lui envoie Dieu dans les Livres. Choix subtil car les révélations d’une autre vie ne manquent pas dans ce roman qui se lit agréablement ; le style alerte de Frédérique Deghelt, son art consommé de la narration et sa croyance intime en une vie qui nous échappe et envahit notre quotidien.

J’ai regretté le côté manichéen et sans nuances du roman : l’ombre contre la lumière, le Bien contre le Mal, la ville et la campagne, le superficiel et le profond, le rationnel et l’irrationnel. Comme si dans la vie nous n’étions pas noyés dans un gris où se mêlent intimement tant d’éléments contradictoires !

Le roman hésite entre plusieurs tendances de fond : on se prépare à une lutte grandiose et définitive contre le sorcier maléfique mais on en n’a que les prémices, l’héroïne est victime de son mari qui la fait interner mais sort le lendemain de Sainte Anne, aidée par l’esprit de la sœur du directeur, elle obtient un magnifique contrat d’une manière assez mystérieuse, toujours à gagner sa vie de la même façon alors que celle-ci est totalement chamboulée et la fin rose bonbon avec l’amour qui pointe de nouveau son nez surprend par son inadéquation avec ce qui précède.

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Le retour de la malédiction

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Tout à l’heure une vaniteuse curiosité m’a poussée sur Internet, histoire de vérifier si L’Anthogrammate apparaissait facilement aux éventuels lecteurs et acheteurs. Voilà que la barre défile. Satisfaction. Le livre est bien là, cité un certain nombre de fois.

Mais… mais… Un je-ne-sais-quoi, comme une poussière dans l’œil ou du poil à gratter attire mon regard. Je clique sur cet anthogrammate-là et douze pin-ups en position suggestive envahissent l’écran. Un calendrier comme on en voit dans les garages, je suppose que les camionneurs ont le même dans leur cabine pour mieux avaler leurs kilomètres solitaires.

MalédictionMarguerite Letourneur, vieille fille qui se dessale si tard que vraiment, l’imaginer poser pour un calendrier, même pour novembre ou décembre, est totalement inimaginable, Marguerite, l’héroïne de l’Anthogrammate, se retrouve mêlée au travail « artistique » d’un dessinateur aux Vénus callipyges dont les fesses rivalisent avec des obus mammaires destinés à équilibrer par effet de contrepoids une marche improbable. Il est vrai que les jeunes personnes représentées ne marchent pas, et que Marguerite fait de l’auto-stop, donc ne marche pas non plus. J’ai beau chercher, aucun autre point commun n’est possible.

Lovita, je reconnais, c’était plus facile. Et le dessin de couverture n’aidait pas, le côté callipyge attirant le regard des messieurs. Mais Marguerite ! une retraitée de l’Éducation nationale !

Les mystères d’Amazon ou de Google ?

Non, c’est plus profond. Une malédiction, l’émission de la part de puissants sorciers d’ondes si  lubriques que le potentiel lecteur-acheteur va se détourner, horrifié, devant des œuvres au contenu pourtant presque innocent. La faute à ces deux signes qui viennent d’une entité qui me dépasse et qui m’envoie un message : je devrais peut-être me reconvertir dans la littérature pour adultes…

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La vérité sur L’Anthogrammate I

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Un lecteur de L’Anthogrammate m’a félicitée pour mon imagination en me demandant où j’allais chercher tout ça, parce que, vraiment,  ce que je racontais dans ce livre était parfaitement invraisemblable.

Il m’a vexée. C’est vrai que j’ai de l’imagination mais dans le cas précis elle m’a surtout servi à brouiller les pistes pour éviter que les gens se reconnaissent et mettent un contrat sur ma tête. Alors je vais dire la vérité, toute la vérité je le jure. Je commence le déballage comme cela me vient mais il est évident que je répondrai à toutes vos questions concernant le livre.

Marguerite Letourneur existe vraiment. Je  l’ai rencontrée deux fois.

C’était il y a pratiquement trente ans. Je revenais de la bibliothèque d’Annemasse chargée de livres, et à l’époque il y avait des feux de circulation, maintenant on les a remplacés par un rond-point plutôt complexe où il faut impressionner les autres pour pouvoir passer. Elle a ouvert ma portière juste au moment où le feu venait de passer au vert, une femme âgée, mal coiffée, misérablement vêtue, avec un gros sac. Exactement comme je l’ai raconté dans le roman. Elle n’arrêtait pas de parler, de papa qui était instituteur, de la vie qui était dure, des produits pour les aveugles qu’elle vendait. Je l’ai amenée chez moi. Elle est restée un bon moment, a fait des risettes au bébé, a profité du jardin. Quand j’ai voulu lui acheter des produits pour les aveugles elle m’a annoncé des prix si exorbitants que j’ai eu un mouvement de recul mais elle a tout de suite enchaîné pour me mettre à l’aise :  les jeunes femmes avaient tout ce qu’il leur fallait, elle comprenait… Puis le bébé s’est endormi. Elle m’a demandé de la descendre à Reignier, elle se débrouillerait ensuite pour trouver une voiture.

J’ai toujours un temps de réaction plus ou moins rapide. Le soir j’avais honte de ma pingrerie, le lendemain c’était devenu une avarice inouïe et une femme âgée était en train de mourir de faim à cause de moi. J’ai fait garder le bébé et je me suis mise en route pour Monnetier-Mornex où la vieille dame m’avait dit habiter. Me voilà qui affronte des chiens hargneux et des propriétaires qui ressemblent à leur chien avant de tomber sur une dame charmante qui me dit « Non, vraiment, cela ne me dit rien… Vous savez, la commune est riche, jamais on ne laisserait une femme de cet âge-là dans le besoin. »

Quelques mois plus tard, re-belote. Au même feu, dans la même situation. Même gros sac fatigué. Comme je l’ai écrit dans le roman : « Mais je vous reconnais ! Et votre papa qui était instituteur ! » Elle est devenue livide, j’ai cru qu’elle allait sauter en marche sur le pont qui enjambe l’autoroute, j’ai dû m’arrêter dès que cela a été possible à la sortie du pont.

Quelques années plus tard a eu lieu un recensement de la population : conditions de vie, combien de personnes, de pièces dans le logement, etc. Une dame charmante se présente chez moi : elle s’occupe d’un vaste secteur incluant Monnetier-Mornex où elle visite tous les logements. Tous les logements ? Alors elle a peut-être rencontré une vieille dame dans le dénuement le plus absolu obligée de vendre des produits pour les aveugles ? La dame me regarde, un mélange d’envie de rire et de pitié à la fois : « Vous aussi elle vous a eue ? » L’envie de rire prend le pas sur la pitié, elle éclate d’un rire bruyant : oui, elle l’a rencontrée. Elle habite Reignier, dans un des plus beaux immeubles qui ont été construits sur la commune. Elle est propriétaire de son grand F4, elle était fonctionnaire mais à la retraite elle s’ennuyait. Alors elle avait mis au point sa combine de produits pour les aveugles pour pénétrer dans la vie des autres. « Vous savez, vous êtes loin d’être la seule à être tombée dans le panneau… »

Voilà, vous connaissez le point de départ du roman : je me suis fait rouler dans la farine par une arnaqueuse pour le moins originale. Ne me demandez pas son nom, la dame du recensement ne me l’a pas donné. D’ailleurs je ne le lui ai pas demandé. Toujours un temps de réaction, je vous dis…

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Un ciel rouge, le matin, lyrique noirceur

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D’abord il n’y a que du noir dans le ciel, et ensuite vient le sang, la brèche de lumière matinale à l’extrémité du monde. Cette rougeur qui se répand fait pâlir la clarté des étoiles, les collines émergent de l’ombre et les nuages prennent consistance. La première averse de la journée descend d’un ciel taciturne et tire une mélodie de la terre.

Bienvenue en Irlande et dans la noire poésie de ce stupéfiant premier roman d’un Irlandais de 37 ans, Paul Lynch.

Un premier roman ce diamant noir aux arêtes polies ? Un premier roman ce texte lyrique, cruel, implacable comme une tragédie grecque ? Un premier roman cette narration qui vous emprisonne, vous subjugue et vous laisse pantois ?

Il y a très longtemps que je n’ai pas lu un roman dont mon esprit critique affûté ne me souffle pas « Ici c’est trop long, ce dialogue est inutile, mal construit », etc. Je me suis trouvée dans un sentiment d’urgence et d’étouffement, de sidération et d’admiration devant la progression implacable de la narration, de la richesse du vocabulaire et de la splendeur visuelle des images. Entre parenthèses, coup de chapeau à la traductrice, Marina Boraso.

L’histoire est très simple : en Irlande, au milieu du XIXe siècle, un jeune métayer vient d’apprendre par le fils du propriétaire que lui et sa famille seront expulsés. Il veut une explication mais la dispute tourne mal, Hamilton se tue accidentellement. Coll Coyle doit fuir pour éviter la pendaison. A sa poursuite, pendant tout le roman, Faller, le régisseur du domaine, peut-être le père biologique d’Hamilton, avec certitude l’incarnation du Mal. Nous suivrons la traque du jeune homme du Donegal à la Pennsylvanie où Coyle est devenu ouvrier du chemin de fer.

Une tension contracte tout son être et Coyle refuse d’admettre qu’il a peur. Pendant des heures il a contemplé avec effroi la lente éclosion du jour.

Première page du roman. Cette peur ne quittera plus Coyle, et nous non plus.

L’intensité de la traque, ce mélange étonnant de poésie et de cruauté, d’horreurs entrecoupées de descriptions lyriques de paysages ou de ciel, tout bouscule le lecteur dans ce roman. La peur et la mort rythment la narration, obsédantes. La mort ancienne du père, la mort douce du mouton que saigne Coyle pour se nourrir, la mort des malades du typhus sur le bateau ou dans le camp, les innombrables meurtres de Faller, le poursuivant.

Ce dernier est vraiment l’incarnation de la mort, un cavalier de l’Apocalypse de Saint Jean : Et j’ai vu, et voici un cheval blême ; et celui qui était assis dessus avait pour nom la Mort. Et l’Hadès le suivait de près. Faller est implacable, Coyle essaie de lui échapper avec courage et désespoir, porté par le souvenir de sa famille qu’il espère retrouver un jour : il a emporté un ruban de sa petite fille dans sa poche. Lorsqu’il perdra le ruban, nous saurons que le roman va se dénouer.

Nous suivons Coyle dans sa fuite, nous y participons avec intensité. Lorsqu’il s’embarque  pour l’Amérique sur la Murmod avec Cutter, un compagnon de rencontre, nous découvrons les terribles conditions de la traversée pour les émigrants irlandais. Même à bord du bateau, croyant avoir échappé à Faller, Coyle ne peut être tranquille. Il est poursuivi par la haine du Muet qui essaie de le tuer. Le Muet est le relais temporaire de Faller dans la narration, un moyen de ne pas laisser retomber la tension. Cutter – un des rares personnages rassurants de ce roman – sauve la vie de Coyle, c’est son ange gardien en quelque sorte. Il l’appelle Inishowen, d’après le nom de l’endroit d’où il vient puisqu’il ne sait rien de lui.

Traversée hallucinante, typhus, partage sauvage des possessions des morts par les vivants et enfin l’arrivée en Amérique. Coyle et Cutter se font embaucher pour la construction du chemin de fer en Pennsylvanie. Condition de quasi esclaves. Faller a lui aussi traversé l’océan et la traque reprend.

Toutes ces fadaises qui prétendent qu’on est maître de son destin. Quelle étroitesse de vue. Chaque homme, chaque peuple est convaincu de contrôler un monde qui ne fait que les jeter aux quatre vents déclare Faller.

Le roman se termine par une sorte de superbe choral antique :

Le jour s’achève sous un ciel muet. Le forgeron lève les yeux vers les rougeurs du couchant. À l’ouest une estampe d’ombres sur le ciel, et les nuages embusqués, avec leur provision de pluie. Le vent exhale de longs soupirs, les feuilles tiennent fermement aux branches, seul l’automne les décrochera. Le monde s’enfonce dans la nuit, les oiseaux enfouissent la tête sous leur aile. Il règne un grand silence jusqu’à ce que les nuages crèvent, et un déluge descend sur la terre impassible, la vielle terre tremblante qui tourne le dos au soleil déclinant.

Comment un tel roman de la désespérance peut-il être aussi lumineux ? Je ne suis pas encore revenue de ma surprise. Voilà un très grand talent, amis lecteurs, ne le ratez surtout pas.

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Une imposture et un malaise

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Un pavé pour la plage ou les jours de pluie ? Ne cherchez plus : plongez-vous dans Une imposture de Juan Manuel de Prada. Vous aurez tout ce qu’il vous faut : une histoire palpitante, un héros attachant plein de zones d’ombre et en plus vous apprendrez beaucoup de choses sur l’Espagne franquiste, puisque le roman commence à Madrid en 1942 et s’achève une petite quinzaine d’années plus tard. Cependant, avant de vous lancer dans les aventures d’Antonio la petite frappe sympathique accessoirement assassin, n’oubliez pas de lire cette critique jusqu’au bout.

Antonio Expósito vit de petits trafics dans Madrid et cherche une complice pour détrousser le chaland naïf : ce sera Carmen au doux regard de génisse. Mais l’affaire tourne mal : Carmen tue une de ses victimes qui allait étouffer Antonio et celui-ci n’a bientôt plus d’autre solution, la police étant à ses trousses, que de s’engager dans la División Azul, qui combat sur le front de l’Est sous l’uniforme allemand pour lutter contre le communisme. C’est en tout cas ainsi que nous le présente l’auteur. Antonio se retrouve après sa formation sur le front russe. Il y fait connaissance de Gabriel Mendoza, un riche madrilène qui lui ressemble de manière troublante. Ensemble ils se retrouvent prisonniers des Russes et vivront une terrible captivité avant de tenter de s’évader. Gabriel assassiné, les Russes accordent la vie sauve à Antonio à condition qu’il prenne l’identité de Gabriel pour espionner les autres Espagnols.

On apprend beaucoup de choses sur ces engagés volontaires partis en triomphe combattre le bolchevisme et oubliés ensuite par Franco et leur pays. Ils furent les derniers à rentrer parce qu’ils n’intéressaient personne dans une Espagne bouillonnante qui voulait oublier la guerre.

Vous devinez la suite, lorsque les Espagnols seront enfin libérés en 1954, Antonio conservera l’identité de Gabriel et les crimes succéderont aux crimes pour conserver tout ce qu’Antonio n’aurait jamais pu rêver d’avoir.

Au début j’ai eu un peu de peine, l’auteur, lorsqu’il part dans de grandes envolées, ne sait pas s’arrêter et le lyrique vire facilement au comique : Mais, devant l’imminence de la mort, la grandiloquence va sans voile de concert avec la sincérité, main dans la main.

Il faut oser. Le couchant était aussi ensanglanté que la pierre du sacrifice, et pendant qu’il s’enfonçait dans la meseta castillane, la nuit devenait aussi tendue qu’une peau de tambour de résonance sombre, ou d’une résonance de cloche dont le battant a été emmailloté dans des chiffons.

Vous l’aurez compris, rien ne fait peur à l’auteur, mais vous, lecteur, surtout ne vous arrêtez pas à cela. Eclatez d’un bon rire, cela vous détendra car le roman bouillonne, ne vous laisse aucun répit, passé les vingt premières pages vous voilà captif et vous le resterez jusqu’à la 509ème, je vous l’assure.

Quel art ! Quelle construction ! Pas un temps mort, une tension permanente car Antonio est une crapule, mais si sympathique, un assassin, mais par nécessité, un esprit retors, mais si intelligent. Vous n’avez pas envie qu’il soit découvert, pas plus que vous ne vouliez qu’il meure en Sibérie. Vous voilà roulé comme un galet, ballotté comme Antonio par l’Histoire, prisonnier comme Antonio d’un piège où vous vous êtes vous-mêmes fourré.

Et si vous étiez roulé dans la farine ?

Revenons à ce sentiment de gêne, p. 80, au début du roman, quand Antonio prête serment :

— Pour finir, mon ami, fit le capitaine d’une voix pudique ou contrite, le règlement m’impose de vous demander de prêter serment…

Antonio, déconcerté, tendit le bras en direction du crucifix posé sur le bureau, et le capitaine leva la main.

Jurez-vous devant Dieu et sur votre honneur d’Espagnol obéissance absolue au chef de l’armée allemande, Adolf Hitler, dans son combat contre le communisme ? (…)

N’oubliez pas que les responsabilités que vous venez d’assumer n’incluent pas d’autre engagement que celui de la lutte contre le communisme, précisa l’officier, pointilleux, avec une vague grimace de dégoût.

J’en tiendrai compte, mon capitaine.

Celui-ci lança alors, presque furtivement, un regard sur le crucifix, et changea brusquement de visage. Ses traits sanguins devinrent d’une pâleur de cire.

Ces fumiers de nazis infligent aux gens des abominations, soldat. Ce sont de foutus chacals assoiffés de sang. Conduisez-vous en digne chrétien avec les civils russes, qui ne sont pas nos ennemis.

Surprenant, ce passage. Honneur christique, refus de la barbarie, code d’honneur : que font les volontaires de la Légion Azul ? Ils défendent l’honneur de l’Occident et de notre sainte mère l’Eglise. Ils ont tellement souffert dans les terribles camps soviétiques ! La description de ceux-ci est hallucinante, on pourrait faire un copié-collé des camps de concentration nazis. Et quand enfin ils rentrent, ils ne sont pas les bienvenus, on les traite de nazis, quelle honte !

Malaise…

Cela vous prendra comme un prurit à de nombreuses occasions dans ce roman passionnant. L’impression qu’un message pas du tout subliminal vous est asséné régulièrement. Les héros se trouvaient sur le front, dans la division Azul, les purs, les forts, ceux que l’on étouffe désormais sous l’hypocrisie technocratique. On se dit que l’on comprend pourquoi on trouve Antonio la crapule si sympathique : lui au moins ne se gargarise pas d’idéal, même si, bien sûr, il a eu un comportement par moments exemplaire sur le front et s’il se pose des questions (toujours par moments) sur sa conscience. Très subtil, ce mélange de brave type et de crapule : autrement comment s’identifier à lui s’il est d’un cynisme absolu ? On sait dès le départ que Dieu ne le laissera pas s’en sortir, mais l’auteur manie la justice divine avec subtilité. Le malheureux Cifuentes, ami de Gabriel forcé de pratiquer un avortement par l’imposteur, ne le fait qu’avec déchirement. Tout le monde est puni : la jeune femme meurt, Cifuentes se suicide (mais son honneur sera sauf car l’hôpital n’ébruitera pas la chose), quant à Antonio il ne perd rien pour attendre.

Malgré ces réserves, si vous cherchez à lire un livre haletant, intelligent, admirablement construit avec des personnages d’une grande épaisseur, des lieux et une époque magnifiquement décrits, précipitez-vous sur Une imposture.

Et ne vous laissez pas rouler dans la farine ou les sous-entendus ultra-réactionnaires d’un auteur extraordinairement doué.

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