Soudain, seuls: un sens de la survie qui laisse K.O.

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Un jeune couple part faire un tour du monde à bord d’un voilier ; Ludovic, grand jeune homme sûr de lui, est amoureux de Louise, petite femme passionnée de montagne. Au cours de leur périple à bord de leur bateau, Jason, ils décident d’aborder sur une île déserte interdite à la visite entre la Patagonie et le cap Horn. Et soudain le drame : leur bateau disparaît dans la tempête, les laissant seuls sur cette île peuplée de manchots, d’otaries, d’éléphants de mer et de rats.

Comment survivre ? Les jeunes gens investissent une ancienne base baleinière, fabriquent des outils, apprennent à tuer les animaux qu’ils défendaient autrefois par conviction écologique. Ils se transforment, évoluent vers une dureté qui leur aurait parue impossible autrefois. L’instinct de survie est décrit avec une acuité, une rudesse et une précision qui laisse le lecteur pantelant.

Une peur animale les envahit, une peur froide et dure qui les absorbe. Au début, ils essaient d’en parler, se murmurent des histoires d’avant, du temps où la vie était normale. Mais, rapidement, cela devient un trop grand effort, tant leur esprit n’est tourné que vers le vacarme du dehors. Ils sont là, prostrés comme des bêtes, les poings serrés, sursautant aux à-coups du vent. (p. 99)

Dès les premières pages on se laisse happer par cette histoire qui n’a rien d’une robinsonnade. Ici la nature n’est pas pourvoyeuse de fruits délicieux et de douceurs accessibles. Elle est violente, secoue les naufragés de spasmes de froid, de faim, de désespoir. Pas d’éclaircies dans ce ciel changeant, épreuve après épreuve les lecteurs participent au calvaire de ces trentenaires qui avaient juste voulu faire l’excursion de trop. Nous assistons aux violentes disputes et aux réconciliations du couple :  survivre impose peu à peu un retour à une sauvagerie qui exclut tout sentimentalisme.

Combien de fois a-t-elle pensé mourir ? Combien de fois a-t-elle vu son cadavre desséché, gisant dans la position baroque où la chute l’a abandonnée, vêtements éclatés, chairs à nu, fouillées par quelques pétrels ? Elle ne sait plus, mais qu’importe. Rien ne compte vraiment que l’ultime concentration qu’elle développe pour mettre un pied devant l’autre, pour forcer ce corps souffrant à se mouvoir, encore et encore. (p. 115) […]

Elle se sent envahie d’un égoïsme primitif et animal qu’elle tente de justifier. Une bête va-t-elle se sacrifier pour une autre ? Non. Le sens de la vie est de se protéger, de se garder soi-même avant de s’occuper des autres. L’altruisme vaut pour les sociétés nanties. Au point de dénuement où elle en est arrivée, ce n’est pas une régression que de penser d’abord à elle. Il s’agit juste de remettre les priorités à leur place. (p. 122)

Il y aura ensuite le retour vers la civilisation et la suite de la vie que vous découvrirez par vous-mêmes. Soudain, seuls est un roman âpre qui nous met en face d’une réalité dont nous n’avons aucune idée. Nous nous mettons très vite dans la peau des personnages, et si ce qui leur arrive est du domaine de l’extrême, il est impossible de ne pas réfléchir. Un effondrement de civilisation est toujours possible, certains le prédisent depuis longtemps. Adieu l’abondance, bonjour le retour au primitif qui reste tapis au plus profond de nous-mêmes.

Soudain, seuls
Isabelle Autissier
Le Livre de poche, novembre 2016, 224 p., 7,40 €
ISBN : 978-2-253-09899-7

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