Archives de l’auteur : Nicole Giroud

Hôtel Waldheim : nid d’espions et mémoire incertaine chez François Vallejo

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Hotel-WaldheimUn jour, Jeff Valdera reçoit une étrange carte postale venue tout droit du passé : l’hôtel Waldheim, où il a passé à trois reprises des vacances avec sa tante alors qu’il était adolescent. Cette carte est suivie de quelques autres, et chaque fois une question énigmatique posée en un étrange français interpelle l’homme mûr qu’il est devenu.

Il finit par rencontrer l’auteur des messages ; c’est une femme plus jeune que lui, Frieda, une Suisse Allemande, qui l’oblige à fouiller dans sa mémoire. Elle veut savoir ce qui s’est passé cet été-là de ses dernières vacances à l’Hôtel Waldheim, en août 1976, car elle est persuadée que Jeff a joué un rôle important dans la disparition de son père. Frieda sait un certain nombre de choses que l’homme qu’elle interroge ignore, parce qu’elle a lu la partie des archives de la Stasi concernant son père. Continuer la lecture

Hôtel Waldheim
François Vallejo
Viviane Hamy, août 2018, 304 p., 19 €
ISBN : 9782878589887

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Le théorème du homard, ou comment trouver la femme idéale quand on est autiste

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Il y a quelques mois je vous avais parlé d’un livre anglais, The Rosie project dans lequel nombre de lecteurs londoniens étaient plongés.

Depuis j’ai lu le livre de l’Australien Graeme Simsion en français, et si le titre n’a rien à voir avec le titre anglais, il se défend fort bien dans le contexte : Le Théorème du homard ou comment trouver la femme idéale.

HommardDon Tillman, professeur de génétique et brillant universitaire aimerait partager sa vie avec une épouse, mais il a de la peine à nouer des relations. Le professeur est atteint du syndrome d’Asperger. Syndrome mal nommé, entre parenthèses, car Asperger était un sale type qui a participé dès 1938 à des expériences sur des enfants, n’hésitant pas à envoyer à la mort les enfants qui ne correspondaient pas à ce qu’il cherchait. Les « Asperger » étant valorisés dans notre société, on pourrait leur donner un autre nom que celui de ce nazi qui n’a sauvé aucune petite fille de la mort, ce qui est significatif. Fin de la parenthèse !

Don décide de faire un questionnaire détaillé pour trouver une épouse et reçoit un certain nombre de réponses, mais cela ne se passe jamais comme il le voudrait :

J’avais pris la ferme résolution de ne plus jamais assister à des soirées de célibataires, mais le questionnaire devait me permettre d’éviter le supplice des interactions sociales non structurées avec des personnes étrangères.

Au fur et à mesure de l’arrivée des invitées, je leur distribuais des questionnaires à remplir au moment qui leur conviendrait le mieux et à me retourner le soir-même ou par courrier. […] Au bout de deux heures, une femme d’environ trente-cinq ans, IMC estimé à vingt-et-un, est sortie du salon avec deux coupes de mousseux dans une main, un questionnaire dans l’autre. Elle m’a tendu un verre.

— J’ai pensé que vous deviez avoir soif, a-t-elle dit avec un séduisant accent français.

Je n’avais pas soif, mais j’étais content qu’elle me propose de l’alcool. […]

— Ce vin est vraiment épouvantable, vous ne trouvez pas ? […] Et si nous allions dans un bar à vins voir s’ils n’ont pas quelque chose de meilleur ? A-t-elle demandé.

J’ai secoué la tête. La médiocrité du vin était gênante, mais pas déterminante. Fabienne a pris une profonde inspiration.

— Écoutez. J’ai bu deux verres de vin, ça fait six semaines que je n’ai pas couché avec un homme et je préférerais attendre encore six semaines plutôt que d’essayer avec qui que ce soit d’autre parmi ceux qui sont ici. Puis-je vous inviter à prendre un verre, maintenant ?

C’était une proposition très aimable. d’un autre côté, la soirée venait de commencer.

— Tout le monde n’est pas encore arrivé, ai-je dit. Si vous attendez un peu, vous trouverez peut-être quelqu’un d’adéquat.

Fabienne m’a remis son questionnaire :

— Je suppose que vous préviendrez les gagnantes en temps voulu.

Je lui ai répondu que oui. Après son départ, j’ai rapidement parcouru ses réponses. Comme j’aurais pu le prévoir, elle avait échoué sur un certain nombre de points. C’était décevant.

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Le théorème du homard ou Comment trouver la femme idéale
Graeme Simsion
traduit de l’anglais (Australie) par Odile Demange
Nil, mars 2014, 408 p., 20 €
ISBN : 9782841117208

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Sans compter la neige, le beau roman initiatique de Brice Homs

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Voici un roman dont la petite musique entêtante vous atteindra au cœur et vous poursuivra longtemps, et dont le beau titre un peu mystérieux – Sans compter la neige – trouvera de multiples implications.

HomsOn pourrait dire très grossièrement que nous nous trouvons devant un énième roman d’apprentissage : Russell Fontenot va être père et rejoint la maman à la maternité en se remémorant son enfance avec le vieux comme il appelle son père, et ses années universitaires. Du classique ? Très vite on se rend compte qu’on se trouve au-delà des clichés de la découverte de l’amour et des désillusions.

Ce beau roman dense est un peu comme un mille-feuilles gonflé d’amertume, de tristesse, d’amour et d’amitié.

Deux personnages s’imposent d’emblée dès le début du roman. Le père tout d’abord, Courville Fontenot, évoqué dès les premières lignes du texte à travers la destruction de son garage par son fils Russell, le narrateur héros du texte. Puis la femme de l’histoire : Jennie téléphone à trois heures. Le bébé s’annonce et Russell quitte son travail. Le roman sera rythmé par l’avancée du jeune homme en direction de la maternité, longue route semée d’embûches comme autant de stations accompagnant la privation des repères familiers : la perte du portable et la neige qui efface tout, mettant Russell face à lui-même et aux fantômes du passé. Continuer la lecture

Sans compter la neige
Brice Homs
Les Escales, décembre 2018, 176 p., 17,90 €
ISBN : 978-2-36569-429-2

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Les romans de John Fante : uppercut assuré

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Connaissez-vous l’auteur américain John Fante ? Cet insupportable matamore, cet odieux mari, cet individu qui remue les moulins à vent de la postérité et se débat avec sa misère et ses contradictions ? Ce magnifique écrivain italo-américain qui n’a été vraiment reconnu que peu avant sa mort, alors qu’il était devenu aveugle, amputé des jambes, soutenu par sa femme qui ne l’a jamais abandonné et à qui il a dicté son dernier livre ?

Pendant que je mangeais, Jim parlait.

« Tu lis tout le temps, il m’a dit. T’as jamais essayé d’écrire un livre ? »

Ça a fait tilt. Dès cet instant, j’ai voulu devenir écrivain.

« J’en écris un en ce moment même », j’ai dit.

Il a voulu savoir quel genre de livre.

« Ma prose n’est pas à vendre, j’ai répondu. J’écris pour la postérité.

— J’ignorais ça, il a fait. T’écris quoi ? Des nouvelles ? Ou de la fiction pure ?

— Les deux. J’suis ambidextre.

— Oh ! J’ignorais ça aussi.

John Fante romans IVoilà ce qu’il écrit au début de La route de Los Angeles et ce sera le projet de toute sa vie. Dès le départ il trouve son personnage, son alter ego Arturo Bandini. Et son langage si personnel, mélange d’un style parlé balançant entre humour et dérision.

Ce premier livre, John Fante aura beaucoup de mal à le faire publier, ce roman choque l’Amérique : trop excessif, le Rital semble avoir résisté au laminoir américain. Recalé. La religiosité envahissante de sa mère et de sa sœur, les galères, mais surtout sa quête de la femme ont de quoi choquer l’Amérique :

Une femme est entrée dans le magasin […] Son âge importait peu : elle était là – voilà ce qui comptait. Elle n’avait rien de remarquable, elle était plutôt banale, mais je devinais cette femme. Sa présence a bondi à travers la pièce pour aspirer l’air hors de mes poumons. C’était comme un déluge électrique. Ma chair tremblait d’excitation. Je me suis senti au bord de l’asphyxie, alors que le sang rouge se ruait dans mes veines.

Ce qui choque peut-être, plus que cette bouffée d’hormones, c’est que le jeune homme insiste : la femme n’est ni belle, ni jeune, ni bien vêtue. Continuer la lecture

Romans 1: La route de Los Angeles/Bandini/Demande à la poussière
John Fante
Christian Bourgois, juin 2013, 752 p., 22 €
ISBN : 978-2-267-02512-5

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Sérotonine : Houellebecq a vraiment besoin d’antidépresseurs

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CVT_Serotonine_9543Michel Houellebecq poursuit son introspection sexuelle et amoureuse entamée il y a fort longtemps maintenant. On retrouvera donc dans Sérotonine les ingrédients habituels qui forment peut-être le terreau d’une partie de son lectorat, à savoir une sexualité féminine un peu dévoyée. Pas question que le mâle occidental présenté au fil du temps soit adepte de l’homosexualité ou des amours bestiales, toutes les perversités décrites avec moult détails, ce sont les femmes qui les pratiquent. Dans le cas de Sérotonine, il s’agit de la jeune amie japonaise du narrateur, et les détails nauséeux intéresseront les amateurs.

Où sont vraiment les femmes dans ce roman ? Servent-elles uniquement à faire des fellations et à offrir abondamment leur petit cul ? Non, ce serait réducteur, et c’est en cela que Sérotonine est agaçant. On ne peut le limiter aux nombreux lieux communs qui parsèment le livre, ni à cette prose érotique navrante. Continuer la lecture

Sérotonine
Michel Houellebecq
Flammarion, janvier 2019, 352 p., 22 €
ISBN : 978-2-0814-7175-7

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