Benjamin Teillac est ambulancier, il travaille en tandem avec son ami de toujours, David, qui prend soin de lui. Car Benjamin va mal. Sa femme Sylvie l’a quitté et son fils ne veut plus le voir, en plus voilà que ses crises d’épilepsie reprennent, de plus en plus violentes. Il sait qu’il risque de perdre son travail qui est sa raison de vivre, et il est prêt à tout pour juguler la maladie, y compris participer à l’essai thérapeutique très risqué que lui propose sa neurologue.
Durant ses crises, Benjamin fait un saut dans le temps : le voilà plongé dans un épisode dramatique de la Résistance durant l’hiver 44 en Haute-Savoie dans le massif des Glières.
Il ne s’appelle plus Benjamin Teillac, mais Benjamin Sachetaz, il est né en 1909 et fait partie de la résistance avec son frère Cyrille, un vigoureux abbé en soutane.
Pourtant Benjamin Teillac, fils unique, ne s’est jamais intéressé à l’histoire :
Je n’avais jamais porté d’intérêt à l’histoire, pas plus à la Seconde Guerre mondiale qu’à aucune autre période du passé. Je faisais partie de ces hommes cartésiens pour qui seul le présent comptait. Passer mon existence, comme Thibault, à ressasser les erreurs ou les actes glorieux de mes aïeux en oubliant de vivre, dépassait mon entendement, mais j’avais pourtant su citer sans hésitation, comme d’un fait connu de toujours, le nom de Tom Morel, héros d’une bataille dont il me semblait n’avoir jamais entendu parler.
Les crises se font plus fréquentes, les réalités se mélangent. Dans cette autre vie si dangereuse, Benjamin tombe amoureux de Mélaine :
J’aimais le futur qu’elle me vendait, une existence simple et paisible où nous vivions de l’élevage, des légumes et des fruits que nous produirions, où grandirait tout un tas d’enfants au milieu de la nature et des chèvres, où il n’y aurait plus ni la guerre, ni le malheur, ni la peur. Le dimanche nous irions à l’église, et en août à la fête des moissons. L’hiver nous resterions en ermites, bienheureux dans notre cocon de neige et seuls au monde, et au printemps nous redescendrions dans la plaine, il y aurait des fêtes et des rires, nous nous amuserions et chéririons l’existence, parce que disait Mélaine, il n’y a pas de plus grand bonheur que celui qu’on croyait à jamais perdu et que le Seigneur nous rend.
Vertige : « Le futur qu’elle me vendait », un futur vieux de plus de soixante-dix ans.
D’une vie à l’autre le passage est difficile.
Qu’est-ce qui était en train de m’arriver, bon sang ? Je ne connaissais pas cet endroit, je n’avais aucune idée de la manière dont j’y étais arrivé. Pourtant, le visage de cet homme et sa voix m’étaient familiers, sa présence à mes côtés une évidence.
Il faisait la moue, l’air à moitié satisfait. Il se releva souplement, et je remarquai à ce moment-là qu’il portait une soutane. Je me figeai, interrompant le mouvement que j’avais amorcé pour saisir la main qu’il me tendait. L’espace d’une seconde, je le vis, les yeux bandés, face à un peloton d’exécution prêt à tirer.
La tentation est grande d’incurver le passé, comme dans toute bonne uchronie. Il faut dire que l’auteure joue de ces deux époques avec une grande maestria. Continuer la lecture →