Archives par étiquette : Mondialisation

La mondialisation s’attaque au Toblerone

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Vous connaissez tous le Toblerone, ce chocolat à la forme si spéciale représentant la forme stylisée de la plus haute montagne de Suisse, le Cervin. Que de symboles dans ce petit triangle plutôt dur à détacher de la barre ! Ce chocolat mythique est fabriqué depuis 1908 à Berne, la capitale de la Suisse. Du chocolat suisse fabriqué au cœur de la Suisse, qui doit se mériter mais que l’on reconnaît aussitôt à son emballage où le Cervin trône en majesté.

En le croquant c’est le meilleur de la Suisse que vous mettez en bouche, celle qui est accessible à tout le monde, celle qui nous parle d’alpages où paissent les vaches, de haute montagne et de qualité rassurante.

Hélas, la mondialisation est passée par là, et le Toblerone est passé en mains américaines, la marque de confiserie Mondelez, très active à l’international. Inutile de vous dire tout ce qu’elle possède, vous seriez découragés de savoir que nombre de douceurs que vous pensez nationales sont en réalité américaines. Revenons à Toblerone. Le nouveau propriétaire a annoncé que dès cet été le Toblerone ne sera plus fabriqué à Berne, mais à Bratislava en Slovaquie. Continuer la lecture

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Le bonhomme de neige

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Il est un peu de guingois avec son sourire mangé par les flocons qui tombent, c’est un bonhomme de neige d’adulte qui essaie de se souvenir des gestes de ses enfants. Il y a longtemps que ces derniers se sont envolés. Contrées lointaines, vie professionnelle palpitante.

Les parents sont restés collés à leur maison et leur jardin, leurs enfants voyageurs n’ont pas fini de bouger. Et voudraient-ils d’eux dans les parages ?

La neige est tombée de nombreux hivers de suite, ou elle était absente, quelle déception. Retour des grands enfants, bonheur de recréer la fratrie, la famille, la magie de Noël. Quelques jours d’illusion avant la valse des aéroports.

Mais voilà que s’annonce un petit bonhomme, loin, très loin. Au chaud, au très chaud, celui qui exige une climatisation autrement c’est insupportable. Sa maman a peur de lui faire attraper des microbes pendant toutes ces heures d’avion, ces transferts, et la grand-mère encore plus angoissée comprend.

Le petit grandit. Il va avoir deux ans, et le virus planétaire est passé par là. Il n’a jamais vu la neige, seulement dans les beaux albums cartonnés qui lui décrivent une magie qu’il ne connaît pas. Bonhomme de neige et Père Noël se mélangent dans son esprit. Alors la grand-mère fait un bonhomme de neige, celui sur la photo, un peu maladroit, le sourire crispé : la dernière fois qu’elle a serré le petit dans ses bras il avait trois mois.

Il va être content, la neige c’est comme la crème du pâtissier, quand il viendra chez ses grands-parents il en mangera beaucoup, beaucoup.

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Vieillesse, solitude et marketing

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Voilà, c’est terminé, ces fêtes de fin d’années qui serrent le cœur de tous les solitaires. Les jeunes peuvent utiliser les médias sociaux et se réunir pour masquer bruyamment le manque, mais les vieux ? N’avoir que son chat ou son chien pour seul compagnon, ou pire, la télévision, alors que partout clignotent les lumières de Noël… La campagne ressemble désormais au village du Père Noël en Finlande, et chacun y va de sa débauche de guirlandes soulignant le toit ou le balcon ; la ville noie le piéton sous ses coulées d’or et ses scintillements qui font disparaître les étoiles. Quelle agitation ! En dehors des mouvements sociaux de fin de semaine, la grand-messe commerciale bouscule et agresse les vieux qui n’ont pas de cadeau à offrir et ne seront reçus par personne.

Chaque année il faut convaincre les acheteurs de choisir son magasin, et le supermarché allemand Edeka est devenu expert en la matière, remarquablement aidé par l’agence Jung von Matt Hambourg qui sait admirablement conjuguer phénomène de société, inquiétude et esprit de Noël. La publicité la plus remarquable à mon avis est le spot que l’agence a fourni pour Noël 2015.

Cette année-là, l’agence a choisi le thème de la vieillesse et de la solitude dans une publicité de deux minutes si émouvante que je gage quiconque de ne pas verser une larme. Je vous la laisse découvrir…

Noël_Edeka

Crédit Le Point

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Mondialisation, déchirements et manga bouleversant

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J’aime déambuler dans les bibliothèques aux heures nues, silencieuses, loin des bourdonnement des ados en train de faire un exposé pour le prof d’histoire, loin des cris excités des enfants ou des pleurs des tout-petits et loin des conversations bruyantes (elles entendent mal et ne le savent pas) des retraitées pétries de solitude.

Un-the-pour-YumikoCe jour-là je me suis retrouvée devant les bacs boursouflés des bandes dessinées. Déjà découragée, j’ai pris la première qui m’est tombée sous la main. Cela ressemblait à un manga, dessin de visage maladroit, esquisse de temple à l’arrière-plan sur fond de montagne. Pour couronner le tout, une vignette rouge en haut à droite de la première de couverture indiquait : « La BD RTL du mois ». J’ai failli reposer, mais j’ai tout de même lu les premières pages.

Et j’ai été bouleversée.

Aquarelles de foule en marche, impression de vitesse et de multitude, immeubles qui provoquent une impression de déjà vu. Continuer la lecture

Un thé pour Yumiko
Fumio Obata
traduit de l’anglais par Isabelle Troin
Gallimard, 2014, 155 p., 22 €
ISBN : 978-2-07-065770-4

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Le grand Cœur, alias Rufin

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le Grand CoeurJacques Cœur, grand argentier du roi de France Charles VII, a fui la haine de celui-ci et se retrouve sur l’île grecque de Chio. Très vite il comprend qu’il n’échappera pas à ses poursuivants et entreprend d’écrire ses mémoires :

Le temps enfui a noué dans mon esprit une pelote serrée de souvenirs. Il me faut lentement la dévider pour tendre enfin le fil de ma vie, et comprendre qui doit un jour le couper. C’est ainsi que je me suis mis à écrire ces Mémoires.

L’exercice est convenu mais fort bien annoncé. Nous allons dès lors, grâce à l’art consommé de Jean-Christophe Rufin, osciller entre le présent insulaire de cet homme pourchassé de cinquante-six ans, et son passé mouvementé. La narration à la première personne mêle biographie et confession. Une manière habile de se concentrer sur ce que l’auteur connaît de la vie du grand argentier de Charles VII, de lui prêter bien de ses traits et propres réflexions sur le pouvoir… et d’occulter toute référence à la période historique, car il est bien connu qu’on n’évoque jamais la période dans laquelle on vit, puisque justement on la vit. Lumineuse façon de masquer une certaine ignorance historique ?

Le bien nommé Jacques Cœur s’éleva, à la fin de la guerre de Cent ans et du Moyen-Âge, de sa condition de modeste bourgeois au statut envié de prêteur du roi et des puissants de son temps avant de se retrouver emprisonné, torturé et poursuivi de la haine du roi de France.

Comment un destin aussi romanesque n’aurait-il pas tenté l’écrivain qui a passé son enfance au pied du palais de Jacques Cœur à Bourges ?

Accointances…

Cela nous donne un roman trépidant, j’allais écrire un roman de cape et d’épée si ce n’était un anachronisme. Le fils du pelletier n’oubliera pas les humiliations de son père devant les nobles arrogants. Son ascension sociale commence par son mariage avec Macé de Léodepart, la fille d’un riche changeur. Par son beau-père, le jeune homme accède au monde de l’argent. L’auteur excelle à nous relater la progression du jeune homme vers  les plus importantes fonctions de cette royauté encore en élaboration. Il évoque avec beaucoup de subtilité les relations d’amour-jalousie entre le bourgeois dont l’ascension sociale semble irrépressible et le roi contrefait qui cherche à asseoir son pouvoir. Jacques Cœur alimente les caisses du roi, lui permet d’entretenir une armée sans faire appel aux nobles et introduit le luxe dans une cours qui se civilise. Il prête à tout le monde mais il s’enrichit, et plus cette richesse croît, plus il se trouve à la limite de la disgrâce. Jusqu’à l’apparition d’Agnès Sorel, première favorite royale, dont on ne sait si elle fut réellement la maîtresse du Grand Argentier, mais  le romancier tranche. Plus dure sera la chute, bien sûr, jusqu’à cette fuite sur une île grecque où l’histoire nous est racontée par le héros.

J’aime beaucoup les postfaces de Jean-Christophe Rufin, parfois même je les préfère au roman qui précède, comme celle du Collier rouge, si émouvante, si sincère. La postface de ce roman nous livre les raisons et intentions de l’auteur concernant le choix de Jacques Cœur et son intérêt pour l’une des premières mondialisations de l’histoire. Elle est aussi aveu :

Je ne sais ce qu’il penserait d’un tel portrait et sans doute me ressemble-t-il plus qu’à lui.

Certes. Les superbes réflexions désabusées sur le pouvoir et l’argent appartiennent à celui qui s’est blessé au contact du politique… Mais que penser des manques troublants dans la vie du héros ? Par exemple jamais on ne saura combien d’enfants a eu Jacques Cœur avec sa femme ; il est vrai qu’à cette époque la mortalité infantile était effroyable, mais vraiment, nous sortir du chapeau deux prénoms au moment où un fils devient évêque et où une fille fait un somptueux mariage, cela montre pour le moins une paternité défaillante ! Cet homme qui vient d’un passé si lointain parle beaucoup de voyages en Orient, de commerce, de stratégie, il converse avec un pape supposé athée, avec le roi, il tombe amoureux de la lumineuse Agnès, bien sûr. Pourtant, je sens poindre un malaise : où se trouve le contexte ?

Ne cherchez pas d’immersion dans une époque disparue, vous ne la trouverez pas. Proximité de pensée et d’actions avec notre époque, absence de points de repères chronologiques (pas une seule date !), ce grand Cœur ne se veut certainement pas roman historique. Il manque de  goûts, d’odeurs, de vie quotidienne, de chair, de doutes, de contradictions. Cet homme inconnu et fascinant comme son palais à double face, l’une médiévale, l’autre tournée vers l’Italie, cet homme qui a vécu dans une époque à jamais inconnaissable pour nous est restitué en une sorte d’autoportrait de l’auteur. Chacun y choisira ce qui le séduit, mais en étant conscient qu’il lit un roman contemporain astucieux, fort bien écrit, mais un peu vide de ce passé qui nous a créés.

Le grand Coeur
Jean-Christophe Rufin
Gallimard, janvier 2014, 592 p., 8,70€
ISBN : 9782070456154

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