Les lecteurs d’Henri Zerdoun

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J’aimerais vous parler d’un livre indiscret, à la fois voyeur et complice qui surprend des lecteurs de tous âges et de toutes conditions plongés dans leur lecture.

Le photographe Henri Zerdoun s’est posté en embuscade dans des lieux publics,  parcs souvent, mais aussi dans la rue ou un café, une mosquée pour un cliché étonnant, des lieux privés où le lecteur est saisi dans l’intimité de son rapport à la lecture.

« Quel enseignement pouvait m’apporter cette aventure ? Peut-être la confirmation  que l’attitude de notre corps dans l’acte de lire (son mouvement, son expression, son rythme) reste celle qui est la plus proche de notre image réelle car tournée vers notre miroir intérieur »

Les superbes clichés ont été confiés chacun à un écrivain différent et l’effet de miroir se conjugue à la mise en abîme : telle photo reflète tel écrivain, les univers se confondent, se télescopent, implosent en autoportraits pleins d’humour ou de poésie.

Troublant.

Cette re-lecture d’images d’êtres humains en train de lire, cette re-création de l’instant capturé où le lecteur immergé dans l’univers de papier baisse la garde et se révèle, c’est un monde diffracté en autant de parcelles qui reflètent votre image ou la mienne.

De l’extrême jeunesse à l’extrême vieillesse, les lecteurs capturés par l’objectif d’Henri Zerdoun lisent, le plus souvent assis, parfois en marche ou en attente, ils lisent, clos dans leur univers. Et les écrivains s’emparent de leur image, leur inventent une vie, voilà un univers clos qui nous saisit de nouveau, nous nous retrouvons captifs de ces lecteurs en marche.

Seuls les enfants restent au bord de cet univers : un petit garçon face à une malle pleine de livres, un groupe de petites filles attentives qui écoutent un jeune homme lire au bord d’une fontaine. Les enfants sont saisis au bord de la lecture, avant la plongée dans l’infini des mondes créés par l’imagination humaine.

Photos lumineuses, drôles, touchantes, émouvantes. Les humains saisis par l’objectif fraternel d’Henri partagent tous une intimité dont nous sommes exclus.

Ce livre, ce beau livre paru aux éditions Eboris en 1996,  je ne sais pas si vous pourrez le lire. Il se trouve en bibliothèque, peut-être chez des bouquinistes, plus sûrement d’occasion sur le site internet d’Amazon et de la FNAC. Les éditions Eboris ont mis la clé sous la porte, sa propriétaire ruinée par la société de distribution à qui elle avait fait confiance. Mort de ce beau projet de faire correspondre écrivains et artistes.

En attendant allez faire une visite sur le site d’Henri, le regard infini, pour découvrir quelques unes des superbes photos de ce beau livre.

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La Suisse et les étrangers : haro sur l’amalgame

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La Suisse est le pays de la démocratie directe par excellence : on vote pour tous les éléments de la vie citoyenne au niveau fédéral (les lois concernant l’ensemble de la Suisse) mais aussi au niveau des cantons, par exemple pour la rénovation d’une route ou la construction d’un immeuble. Les Suisses votent très souvent pour les articles les plus divers qui régissent leur vie. Lorsqu’un groupe de citoyens, parti politique ou association de circonstances, est mécontent d’un état de fait, il lance une initiative et s’il obtient un nombre de signatures de citoyens suffisant, le peuple vote. Le Conseil fédéral peut aussi proposer une modification de la constitution, mais le peuple est souverain, ce qui implique nombre de surprises. C’est ce vote par exemple qui a refusé l’entrée de la Suisse dans l’Europe.

Dans le cas présent, l’initiative « contre l’immigration de masse » initiée par l’UDC, le parti d’extrême droite helvétique, a été approuvée par 50,3% des Suisses qui ont voté. Le taux de participation de 55,8% est un niveau extrêmement élevé pour la Suisse ; on n’avait pas vu ça depuis Schengen et les accords sur la libre circulation.

On aboutit ainsi à une contradiction très forte : la Suisse qui est le pays où le nombre d’étrangers est le plus important d’Europe montre sa peur de l’autre et approuve un texte de l’extrême droite. De quoi faire rêver Bleue Marine.

Les régions les plus concernées par les populations étrangères, les villes et les régions frontalières, ont refusé le texte xénophobe de l’initiative ; ce sont les populations des campagnes de Suisse allemande et le Tessin qui ont voté massivement pour. S’agit-il d’un vote d’extrême droite, puisque celle-ci est à l’origine de l’initiative ?

Le vote du Tessin voisin de l’Italie procède du rejet de tout ce qui vient de Berne : le Conseil fédéral avait manifesté son opposition à l’initiative. Les campagnes de Suisse allemande, les dernières à accorder le droit de vote cantonal aux femmes alors qu’elles l’exerçaient depuis des décennies au niveau fédéral, ces campagnes qui ne voient que rarement un étranger ont voté par peur de ce monde qui évolue trop vite à leur goût et qui leur fait peur. La nostalgie de Heidi dans ses montagnes et la peur de la mondialisation.

Franchement, lorsque ma voisine, une paysanne catholique et très sympathique m’explique qu’on va être envahis par les Roms alors que nous habitons un hameau perdu  de montagne, quand je lui demande si elle en a vu  et s’ils lui ont volé quelque chose, je ne vois pas beaucoup de différences avec le vote de la campagne suisse allemande.

Les Suisses font envie au reste de l’Europe ; leur taux de chômage tient du rêve le plus fou, leur prospérité attire des entreprises du monde entier, la banque fédérale doit lutter pour que le franc suisse ne s’envole pas. Aucune médaille ne peut briller des deux côtés. Mais le pragmatisme helvétique surprendra encore le reste du monde, j’en suis sûre.

 

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Le sexe des arbres 6

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Une créature effarée, œil rond, tête oblongue rejetée en arrière, oscille entre le cri et la surprise; une liane enserre sa gorge, remonte le long du tronc puissant qui la tient en laisse.

Un peu plus bas que les stries qui soulignent la courbure de son cou, la béance de deux trous enrobés d’une boursouflure ; violence de la cicatrice.

Elle se tient figée  contre la cuisse puissante, sa bouche d’ombre aux lèvres charnues ouverte en un cri.

 

 

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Élucidations, consternation, déception

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L’art de la guerre m’avait surprise, ravie par l’originalité de son propos et son style, autant dire que j’attendais beaucoup du deuxième livre d’Alexis Jenni. Hélas, trois fois hélas, ces élucidations sous-titrées 50 anecdotes n’auraient jamais dû sortir des tiroirs de l’auteur.

Des souvenirs d’enfance revisités à l’âge adulte, cela aurait pu aboutir à une œuvre pour le XXIème siècle, je ne sais pas, quelque chose entre Proust et Annie Ernaux.

Hélas ! Ces souvenirs d’une banalité et d’une platitude assumées sont aggravés, boursouflés par une écriture pleines de répétitions obsessionnelles et de tournures qui se veulent précieuses. Un exemple parmi tant d’autres :

« La lumière fatiguée reposait, elle brillait doucement, un peu d’or apparaissait au sommet des bois. Après deux mois de chaleur l’air devenu épais sentait bon, caressait la peau avec la suavité d’une confiture de fruits jaunes » .

Cela continue sur trois pages, avec « ce bébé qui est moi » repris à plus soif. Consternation. Nous n’en sommes qu’à la page 26.

J’ai lu les 208 pages de ce livre parce que je suis têtue, parce que je me disais non, ce n’est pas possible, à un moment où un autre il va abandonner ses absurdes coquetteries, ses platitudes présentées comme des trouvailles, recouvrer les fulgurances qui m’avaient enchantée.

Hélas ! Un seul moment de sincérité et d’émotion à l’évocation de l’ami disparu :

« Comme un membre fantôme il continue de bouger.

Il manque.

Il disparut, mais je sens sa présence ; c’est comme cela, mourir : disparaître, mais rester »

On n’échappe pas à la platitude mais au moins un instant à l’autosatisfaction naïve.

Recevoir le Goncourt, accéder à la célébrité après avoir écrit pendant des années sans accéder à une quelconque reconnaissance peut être comme le Loto, une malédiction. Gageons qu’Alexis Jenni va survivre à ce faux pas. Je l’espère, je l’attends.

On peut imaginer que l’éditeur, ayant gagné beaucoup d’argent avec Alexis Jenni, n’a pas hésité à publier ce qu’il savait ne pas rester dans les mémoires. N’y a-t-il plus de devoir moral de conseil et d’honnêteté dans l’édition?

 

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Le sexe des arbres 5

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C’est un rassemblement grouillant, comme les vipères entremêlées au printemps dans une copulation indifférenciée, un amas de racines lovées dans la masse, sécurisées par l’instinct de la multitude.

Cet enchevêtrement étouffant de racines qui s’enlacent, s’interpénètrent, resserre à chaque circonvolution la puissance de la masse. Il avance sur le lit sombre et fragile de lianes brisées, il se tord avec une puissance que rien n’arrête.

Nœud gordien de la vie.

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