Axel a quarante-six ans, une famille parfaite pour les statistiques, une fille, un garçon, un pavillon dans un lotissement. Et voilà qu’il reçoit une enveloppe du programme national de dépistage du cancer colorectal. L’angoisse qui s’installe, la routine qui déraille. Son fils a fait un dessin pornographique au collège mettant en situation gênante sa ravissante enseignante qui va très vite faire fantasmer son paternel, sa fille vient de se faire larguer par son copain et demande à son père de l’aider, les amis de sa femme veulent qu’il parte faire du paddle à Biarritz pour les vacances, tout cela sans compter le voisin amateur de whisky à qui il n’a pas osé avouer qu’il déteste ça. Apéritif obligatoire tous les trois mois, lotissement et paix du voisinage obligent. Continuer la lecture
Ombres devant les ronces
L’ombre d’un couple se détache devant un roncier et un arbre mort, dos au couchant. C’est l’hiver, seuls quelques cynorrhodons apportent une touche de couleur dans ce fouillis de brun, perles rouges au bout des branches d’un églantier.
Ces silhouettes serrées l’une contre l’autre ne se sont pas quittées depuis un demi-siècle. Deux gamins qui s’aiment, et petit à petit les années grignotent comme des petites souris invisibles la substance de leur vie. Drames et joies mêlés, l’usure du quotidien et les surprises, les enfants et les deuils, les jours s’entassent, pile invisible.
Un jour, il n’y aura plus qu’une ombre pour attendre dans le flamboiement du couchant que le printemps revienne. Une ombre désemparée avant de rejoindre le cortège de ceux qui ne sont plus qu’un souvenir.
Le mystère Henri Pick et la satire réjouissante du monde éditorial
David Foenkinos nous entraîne dans une balade autour de la littérature et du monde de l’édition, avec Le mystère Henri Pick. Nous apprenons un certain nombre d’éléments concernant les célèbres refusés des maisons d’édition – Proust bien sûr, mais aussi les Américains John Kennedy O’Toole et Richard Brautigan. Ce dernier imagina, dans L’Avortement publié en 1971, une bibliothèque conservant les manuscrits refusés par les éditeurs. Juste revanche de celui qui avait souffert de tant de refus avant de devenir un écrivain mythique et de se suicider, comme John Kennedy O’Toole. L’histoire ne s’arrête pas là :
En hommage, un lecteur passionné a créé « la bibliothèque des livres refusés ». C’est ainsi que la Brautigan Library, qui accueille les livres orphelins d’éditeur, a vu le jour aux États-Unis. La structure a aujourd’hui déménagé pour être hébergée à Vancouver au Canada. (p. 14)
Une note en bas de page nous précise l’adresse du site de la librairie. Parfait. Sauf que les notes en bas de page vont se multiplier, certaines intéressantes, la plupart commentant les états d’âme du personnage et autres billevesées. On comprend petit à petit que certains éléments sont là pour égarer le lecteur : vénérable grande maison d’édition et véritables membres du microcosme littéraire et éditorial (hilarante prestation de François Busnel dans une interview), copies conformes d’autres éléments, sans compter des vérités sur les écrivains. Continuer la lecture
Soudain, seuls: un sens de la survie qui laisse K.O.
Un jeune couple part faire un tour du monde à bord d’un voilier ; Ludovic, grand jeune homme sûr de lui, est amoureux de Louise, petite femme passionnée de montagne. Au cours de leur périple à bord de leur bateau, Jason, ils décident d’aborder sur une île déserte interdite à la visite entre la Patagonie et le cap Horn. Et soudain le drame : leur bateau disparaît dans la tempête, les laissant seuls sur cette île peuplée de manchots, d’otaries, d’éléphants de mer et de rats.
Comment survivre ? Les jeunes gens investissent une ancienne base baleinière, fabriquent des outils, apprennent à tuer les animaux qu’ils défendaient autrefois par conviction écologique. Ils se transforment, évoluent vers une dureté qui leur aurait parue impossible autrefois. L’instinct de survie est décrit avec une acuité, une rudesse et une précision qui laisse le lecteur pantelant.
Une peur animale les envahit, une peur froide et dure qui les absorbe. Au début, ils essaient d’en parler, se murmurent des histoires d’avant, du temps où la vie était normale. Mais, rapidement, cela devient un trop grand effort, tant leur esprit n’est tourné que vers le vacarme du dehors. Ils sont là, prostrés comme des bêtes, les poings serrés, sursautant aux à-coups du vent. (p. 99)
Dès les premières pages on se laisse happer par cette histoire qui n’a rien d’une robinsonnade. Ici la nature n’est pas pourvoyeuse de fruits délicieux et de douceurs accessibles. Elle est violente, secoue les naufragés de spasmes de froid, de faim, de désespoir. Pas d’éclaircies dans ce ciel changeant, épreuve après épreuve les lecteurs participent au calvaire de ces trentenaires qui avaient juste voulu faire l’excursion de trop. Nous assistons aux violentes disputes et aux réconciliations du couple : survivre impose peu à peu un retour à une sauvagerie qui exclut tout sentimentalisme. Continuer la lecture
Isabelle Autissier
Le Livre de poche, novembre 2016, 224 p., 7,40 €
ISBN : 978-2-253-09899-7
Quand tu écouteras cette chanson, le bouleversant memento mori de Lola Lafon
« Le 18 août 2021, j’ai passé la nuit au Musée Anne Frank, dans l’Annexe. Anne Frank, que tout le monde connaît tellement qu’il n’en sait pas grand-chose. Comment l’appeler, son célèbre journal, que tous les écoliers ont lu et dont aucun adulte ne se souvient vraiment.
Est-ce un témoignage, un testament, une œuvre ?
Celle d’une jeune fille, qui n’aura pour tout voyage qu’un escalier à monter et à descendre, moins d’une quarantaine de mètres carrés à arpenter, sept cent soixante jours durant. La nuit, je l’imaginais semblable à un recueillement, à un silence. J’imaginais la nuit propice à accueillir l’absence d’Anne Frank. Mais je me suis trompée. La nuit s’est habitée, éclairée de reflets ; au cœur de l’Annexe, une urgence se tenait tapie encore, à retrouver. »
Le texte de Lola Lafon ci-dessus qui figure sur la quatrième de couverture décrit toute l’ambivalence et la richesse de cette nuit dans le musée dédié à Anne Frank. Que faire toute une nuit dans un musée vide où le sentiment d’absence creuse la solitude et incite à l’introspection ? Un musée où l’auteure n’aura le droit ni de boire, ni de manger, lointain écho de la façon dont vivaient les huit reclus,
Ainsi, jusqu’à midi et demie, « pas une seule goutte d’eau, pas de chasse d’eau, pas une seule foulée, un silence absolu, » écrit Anne Frank. […] À 13h 30 il fallait retourner à l’immobilité. (p. 35-36)