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Numéro deux, la douleur de l’échec

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En 1999 débutait le casting pour trouver le jeune garçon qui allait interpréter Harry Potter et qui, par la même occasion, deviendrait mondialement célèbre.

Des centaines d’acteurs furent auditionnés. Finalement, il n’en resta plus que deux. Ce roman raconte l’histoire de celui qui n’a pas été choisi.

Quatrième de couverture du roman.

Le monde entier connaît Harry Potter. L’histoire de J. K. Rowling, véritable conte de fée prélude à une œuvre qui a enflammé les adolescents – même ceux qui ne lisaient jamais d’ordinaire. Très vite le monde du cinéma s’intéressa au phénomène, et l’autrice de la saga exigea que les jeunes héros soient anglais.

Le début de Numéro deux de David Foenkinos nous raconte le casting du premier film avec précision, et nous voilà immergés dans les coulisses du phénomène Harry Potter, si bien ferrés par tant d’éléments véridiques que nous en oublions que nous nous trouvons dans une fiction. Les prétendants aux rôles défilent, Daniel Radcliffe ou Emma Watson, mais aussi Martin Hill le petit Londonien qui surgit par hasard dans le casting. Il se trouve auprès de son père accessoiriste dans un film quand il attire l’œil du producteur du film. Martin semble l’incarnation humaine de Harry : petites lunettes rondes et malheurs personnels, fragilité. Au fil des essais successifs, le petit garçon se prend au jeu, et lorsqu’ils ne seront plus que deux, Daniel Radcliffe et lui, il croira en son destin. Continuer la lecture

Numéro deux
David Foenkinos
Gallimard, janvier 2022, 234 p., 19,50 €
ISBN : 978-2072959028

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La liste de mes envies et celle de mes déceptions

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Comment ça, tu n’as pas lu La liste de mes envies ? Me demanda un de mes amis quelques mois après la parution du roman, en 2012. Cinq cent mille lecteurs s’étaient émus avant lui, et cela l’avait conforté dans son choix, puisqu’ils étaient si nombreux.

Non, je ne l’avais pas lu, et si la réaction mi-horrifiée mi-déçue de mon interlocuteur me fit comprendre l’importance de cette lacune je ne décidai de la combler que cet été en parcourant les étagères de la médiathèque de mon village.

Tout le monde connaît le thème de ce roman grand public très vite passé au théâtre et au cinéma. Ce n’est pas d’hier qu’un succès est adapté de multiples façons, parfois certains textes et auteurs en font les frais, comme Anne Frank, mais dans le cas présent cela ne semble pas être le cas. Je suis très heureuse que cette vague médiatique autour d’une mercière qui a gagné le gros lot de la Loterie Nationale soit devenue une sorte de prophétie autoréalisatrice pour son auteur, Grégoire Delacourt. J’espère seulement que le message un peu simpliste de son roman – « l’argent ne fait pas le bonheur » – ne s’est pas vérifié.

Jocelyne, mercière de son état, vit avec son mari Josselin à Arras ; elle est sans doute loin de ses rêves rose bonbon, son mari ressemble plus à un goujat macho qu’au prince charmant, mais bon, la femme entre-deux âges s’en accommode. Sa vie ressemble à un constat sociologique : les enfants partis qui mènent leur vie, un père vieillissant, un excès de poids, un mari qui s’éloigne.

J’ai vu ces années sur son visage, j’ai vu le temps qui nous éloigne de nos rêves et nous rapproche du silence.

Comment expliquer un tel succès ? La petite mélodie de Grégoire Delacourt, mode mineur, petite musique triste et désenchantée avec des préciosités dans son expression, ne cadre pas avec le milieu sociologique qu’il nous décrit. La vie de l’héroïne ne donne pas tellement envie de s’identifier à celle-ci, avouons-le. Tout change avec l’élément déclencheur : Jocelyne gagne le gros lot du Loto, une somme fabuleuse, mais elle n’en dit rien à personne, se contentant de rêver à de petits aménagements de sa vie. C’est là le coup de génie de l’auteur, publicitaire de son état. Il sait faire rêver les gens. Des centaines de milliers de lecteurs se sont identifiés à Jocelyne et à son dilemme. Bien sûr, ils ont peut-être rêvé plus grand que les modestes envies de cette gentille mercière dont nous découvrons petit à petit l’existence présente et passée, mais désormais l’identification marche à plein.

Jocelyne se rend à Paris encaisser son chèque et elle subit les recommandations d’usage destinées à lui éviter les catastrophes qui guettent la plupart des gagnants du Loto.

Vous l’avez annoncé à vos proches ? Non, réponds-je. C’est parfait, dit-elle ; nous pouvons vous aider à le leur dire, trouver les mots pour minimiser le choc, vous verrez. Vous avez des enfants ? J’opine. Eh bien, ils ne vous verront plus seulement comme une mère, mais comme une mère riche et ils voudront leur part. Et votre mari ; peut-être a-t’il un travail modeste, eh bien il va vouloir arrêter de travailler, s’occuper de votre fortune, je dis bien votre fortune parce que désormais elle sera à lui comme à vous puisqu’il vous aime, ah çà oui il va vous le dire qu’il vous aime, dans les jours et les mois qui viennent, il va vous offrir des fleurs, je suis allergique la coupé-je, des … des chocolats, je ne sais pas, moi, poursuit-elle, en tout cas il va vous gâter, il va vous endormir, il va vous empoisonner. C’est un scénario écrit d’avance, Madame Guerbette, écrit depuis bien longtemps, la convoitise brûle tout sur son passage.

La catastrophe est annoncée. Avec un peu plus de lourdeur que nécessaire, me semble-t-il… Désormais les lecteurs conservent dans un coin de leur tête que trop d’argent peut être une malédiction et se demandent ce qui va arriver à la gentille quinquagénaire. Une légère amertume empreinte de douceur permet une émotion facile. Une certaine gêne également. Quelque chose s’agite dans un coin de la tête : cette mercière s’exprime trop bien, peut-être. D’où lui viennent ces expressions policées, ces phrases Grand Siècle, cette culture ?

J’ai écrit le Boléro de Ravel en images, maman, pour que les sourds puissent l’entendre

Ce côté un peu kitch des phrases vides et des effets faciles ?

Il y a des malheurs si lourds qu’on est obligé de les laisser partir. On ne peut pas tout garder, tout retenir.

Comme si l’auteur n’avait pu résister à la tentation de faire de la dentelle, d’ourler son propos sociologique de fioritures qui abîment son propos.

Surtout, surtout, les personnages ne sont pas tous crédibles. Jocelyne qui avait accepté certaines humiliations de son mari (franchement, sa façon de lui faire payer la mort d’un enfant frise l’odieux) et son manque de considération avec amour et patience, change totalement lorsqu’il se sauve avec le chèque qu’il a trouvé dans une des chaussures de sa femme.

Aucune colère dans un premier temps, juste une femme malheureuse qui doit se reconstruire. Puis, virage à 180 degrés : la femme blessée se durcit, découvre un homme qui l’aime, mieux que dans ses rêves de Ken et Barbie, mais c’est trop tard. L’époux a emporté la gentille femme avec le chèque, et Jocelyne ne fait plus confiance à personne.

Le personnage de l’époux de son côté perd son côté odieux. Après s’être gavé avec l’argent de sa femme en concrétisant des rêves à sa mesure (grosse voiture, grand appartement etc), il se rend compte qu’il aime sa femme. Il mourra seul, bien fait pour lui. Une prostituée à qui il confiait son amour pour sa femme (!!!) informe cette dernière. Mais c’est trop tard, l’argent a tout détruit.

On est un peu gêné devant des revirements si artificiels. Certes dans la première partie on se laisse prendre par l’émotion, comme dans des chansons populaires; l’héroïne est si gentille, si banale, si naïve que nous attendons le malheur qui va la frapper et compatissons par avance. Mais la deuxième partie n’est pas crédible : Jocelyne maigrit, séduit un bel homme, achète une belle maison, mais elle est pleine d’amertume.

Il n’y a que dans les livres que l’on peut changer de vie. Que l’on peut tout effacer d’un mot. Faire disparaître le poids des choses. Gommer les vilénies et au bout d’une phrase, se retrouver soudain au bout du monde.

À lire si les évidences et les fioritures vous séduisent, si vous rêvez de gagner le Loto pour changer de vie, si vous aimez les phrases définitives enrobées de douceur et vite oubliées.

La liste de mes envies
Grégoire Delacourt
JC Lattès, février 2012, 220 p., 16 €
ISBN : 978-2-7096-3818-0

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Jean-Paul Dubois et sa notion particulière du destin

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Paul Hansen, Français de père danois naturalisé Canadien, se trouve incarcéré dans la prison de Bordeaux à Montréal, à une faible distance de l’Excelsior, l’immeuble de soixante-huit appartements dont il a été pendant vingt-six ans le « superintendant » totalement dévoué à l’entretien de l’immeuble et au bien-être de ses résidents. Nous n’apprendrons qu’à la fin du roman la nature de l’acte qui a conduit cet homme exemplaire à purger sa peine pour un crime qu’il ne regrette pas une seconde d’avoir commis.

La narration oscille entre passé et présent, Paul nous raconte sa vie d’autrefois et celle de la prison en un balancier où le solaire se mêle au sordide, où l’humanité contrebalance la violence carcérale. L’humour sauve de l’étouffement, empêche le roman de basculer dans la noirceur absolue.

Ne plus voir, tous les soirs, Patrick Horton baisser son pantalon, s’asseoir sur la lunette et déféquer en me parlant des « bielles entrecroisées » de sa Harley qui au ralenti « tremblait comme si elle grelottait ». À chaque séance, il œuvre paisiblement et s’adresse à moi avec une décontraction confondante qui donne à penser que sa bouche et son esprit sont totalement découplés de sa préoccupation rectale. (p. 15)

Ce prisonnier qui n’avait jamais enfreint la loi partage sa cellule avec Patrick Horton, un colosse suspecté de meurtre qui parle avec amour de sa moto et de trucider la moitié de l’humanité, mais terrifié devant une souris et tombant de faiblesse à l’idée de se laisser couper les cheveux.  Petit à petit la vie de Paul se dessine. Il va nous raconter comment son père, pasteur danois d’une grande beauté à la foi chancelante, a gâché sa vie plusieurs fois, comme si le bonheur se dérobait toujours devant certaines personnes. Le couple que Johanes Hansen formait avec Anna, une Toulousaine libertaire et athée propriétaire d’un cinéma a éclaté lorsque celle-ci a accepté de passer « gorge profonde » dans la salle. Le film pornographique qui divisait la France a provoqué la fin du couple. Continuer la lecture

Tous les hommes n’habitent pas le monde de la même façon
Jean-Paul Dubois
Éditions de l’Olivier, août 2019, 256 p., 19 €
ISBN : 978-2-8236-1516-6

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Le mystère Henri Pick et la satire réjouissante du monde éditorial

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David Foenkinos nous entraîne dans une balade autour de la littérature et du monde de l’édition, avec Le mystère Henri Pick. Nous apprenons un certain nombre d’éléments concernant les célèbres refusés des maisons d’édition – Proust bien sûr, mais aussi les Américains John Kennedy O’Toole et Richard Brautigan. Ce dernier imagina, dans L’Avortement publié en 1971, une bibliothèque conservant les manuscrits refusés par les éditeurs. Juste revanche de celui qui avait souffert de tant de refus avant de devenir un écrivain mythique et de se suicider, comme John Kennedy O’Toole. L’histoire ne s’arrête pas là :

En hommage, un lecteur passionné a créé « la bibliothèque des livres refusés ». C’est ainsi que la Brautigan Library, qui accueille les livres orphelins d’éditeur, a vu le jour aux États-Unis. La structure a aujourd’hui déménagé pour être hébergée à Vancouver au Canada. (p. 14)

Une note en bas de page nous précise l’adresse du site de la librairie. Parfait. Sauf que les notes en bas de page vont se multiplier, certaines intéressantes, la plupart commentant les états d’âme du personnage et autres billevesées. On comprend petit à petit que certains éléments sont là pour égarer le lecteur : vénérable grande maison d’édition et véritables membres du microcosme littéraire et éditorial (hilarante prestation de François Busnel dans une interview), copies conformes d’autres éléments, sans compter des vérités sur les écrivains. Continuer la lecture

Le mystère Henri Pick
David Foenkinos
Gallimard, avril 2016, 288 p., 20,50 €
ISBN : 978-2-07-017949-7

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Soudain, seuls: un sens de la survie qui laisse K.O.

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Un jeune couple part faire un tour du monde à bord d’un voilier ; Ludovic, grand jeune homme sûr de lui, est amoureux de Louise, petite femme passionnée de montagne. Au cours de leur périple à bord de leur bateau, Jason, ils décident d’aborder sur une île déserte interdite à la visite entre la Patagonie et le cap Horn. Et soudain le drame : leur bateau disparaît dans la tempête, les laissant seuls sur cette île peuplée de manchots, d’otaries, d’éléphants de mer et de rats.

Comment survivre ? Les jeunes gens investissent une ancienne base baleinière, fabriquent des outils, apprennent à tuer les animaux qu’ils défendaient autrefois par conviction écologique. Ils se transforment, évoluent vers une dureté qui leur aurait parue impossible autrefois. L’instinct de survie est décrit avec une acuité, une rudesse et une précision qui laisse le lecteur pantelant.

Une peur animale les envahit, une peur froide et dure qui les absorbe. Au début, ils essaient d’en parler, se murmurent des histoires d’avant, du temps où la vie était normale. Mais, rapidement, cela devient un trop grand effort, tant leur esprit n’est tourné que vers le vacarme du dehors. Ils sont là, prostrés comme des bêtes, les poings serrés, sursautant aux à-coups du vent. (p. 99)

Dès les premières pages on se laisse happer par cette histoire qui n’a rien d’une robinsonnade. Ici la nature n’est pas pourvoyeuse de fruits délicieux et de douceurs accessibles. Elle est violente, secoue les naufragés de spasmes de froid, de faim, de désespoir. Pas d’éclaircies dans ce ciel changeant, épreuve après épreuve les lecteurs participent au calvaire de ces trentenaires qui avaient juste voulu faire l’excursion de trop. Nous assistons aux violentes disputes et aux réconciliations du couple :  survivre impose peu à peu un retour à une sauvagerie qui exclut tout sentimentalisme. Continuer la lecture

Soudain, seuls
Isabelle Autissier
Le Livre de poche, novembre 2016, 224 p., 7,40 €
ISBN : 978-2-253-09899-7

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