Archives de l’auteur : Nicole Giroud

Ceux qui partent, une épopée contemporaine

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ceux qui partentAvec Ceux qui partent, Jeanne Benameur nous offre un roman d’une profondeur abyssale. Plus je le lis, plus cette difficulté de l’exil, la force qu’il exige de ceux qui partent, leurs renoncements, imprègnent ma lecture.

Le roman commence par une photo d’émigrants qui vont descendre du bateau, nous sommes à Ellis Island, à New York, en 1910 :

Ils prennent la pose, père et fille, sur le pont du grand paquebot qui vient d’accoster. Tout autour d’eux, une agitation fébrile. On rassemble sacs, ballots, valises. Toutes les vies empaquetées dans si peu. (p. 11)

Donato et Emilia Scarpa ne ressemblent pas aux émigrants poussés par la misère, ils sont là par choix, parce que Emilia veut goûter à une liberté qu’elle n’aura jamais en Italie. Andrew Jònsson, le jeune photographe, est le fils d’un émigrant islandais et d’une orgueilleuse « vraie Américaine » descendante d’une des immigrantes du Mayflower. Que cherche ce jeune homme riche, lorsqu’il prend des photos de ceux qui espèrent une vie meilleure ? Veut-il retrouver ses ancêtres dont on ne parle jamais chez lui ? Devenir le lien entre ces nouveaux émigrants et sa ville de New York ?

Parmi tous ces individus aux langues multiples qui ont quitté leurs terres, leurs drames ou leur misère pour tenter de devenir des citoyens américains, certains sont élevés au statut de personnages emblématiques, en particulier Emilia.

Il y a ceux qui restent et ceux qui partent. Toujours. Dans tous les grands textes. Et elle les connaît par cœur. Eux deux, désormais, font partie de ceux qui partent. Et elle pressent que le changement immense qui traverse les vies qui émigrent passera par elle, elle ne sait pas encore comment mais pressent oui, dans cet instant suspendu, que ce qu’on nomme le départ passe et repassera toujours par son corps à elle. (p. 19)

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Ceux qui partent
Jeanne Benameur
Actes Sud, août 2019, 336 p., 21 €
ISBN : 978-2-330-12432-8

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La femme révélée : Gaëlle Nohant entre libération féminine et grande Histoire

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Au début de ce roman à la très belle couverture, on ne saisit pas très bien ce que cette jeune femme Américaine vient faire à Paris, dans cet hôtel de passe plutôt sordide. Nous sommes dans les années cinquante, et Eliza Donnelley a abandonné son petit garçon pour fuir son mari. Elle se cache dans cet endroit improbable sous le nom de Violet Lee.

Eliza-Violet a tout laissé, sauf son Rolleiflex. Elle ère dans Paris, avec ce troisième œil qui lui tient d’élément vivant, de dignité aussi. L’exil est douloureux, l’abandon encore plus, même si nous comprenons que celui-ci était vital : une femme seule se fond dans une ville plus facilement qu’avec un enfant. Malgré la douleur, malgré l’incertitude des jours dans une ville qui se relève tout juste de la guerre, Eliza-Violet se sent enfin libre.

Il y a une forme d’ivresse à ne plus devoir rendre de comptes, décider de ses priorités, subvenir soi-même à ses besoins. Du plus loin que je me souvienne, la solitude m’a toujours manqué, comme on aspire à l’air des montagnes quand on grandit dans la trame serrée des villes.

La façon dont la jeune femme saisit les artistes et marginaux de l’après-guerre ou les prostituées évoque immédiatement Vivian Maier, la mystérieuse photographe dont on a découvert le travail après sa mort, quand on a ouvert le garde-meubles qui recelait des milliers de négatifs.

Eliza, Violet, Vivian, autant de femmes qui se mêlent, se fondent dans cette passion de la photographie, de la ville et de l’humain, dans la volonté de liberté et la solitude. Ce ne sont pas les seuls liens avec Vivian Maier, puisque celle-ci, comme Eliza, a longtemps habité Chicago.

Dans la première partie du roman, Eliza se trouve à Paris, découvre la ville et se laisse apprivoiser par un Américain séduisant et mystérieux, Sam, qu’elle abandonne lorsqu’elle apprend qu’il était chargé par son mari de la retrouver, puis par un jazzman noir aveugle, Horacio. Continuer la lecture

La Femme révélée
Gaëlle Nohant
Grasset, janvier 2020, 384 p., 22€
ISBN : 9782246819318

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Les Lettres d’Esther de Cécile Pivot : éloge des mots, de la lenteur et de l’échange

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Juste avant le confinement je me suis rendue dans une librairie que j’aime beaucoup, Histoires sans fin à La Roche-sur-Foron. Imaginez qu’elle est située dans la « rue du silence » au cœur de la cité médiévale dont je parle dans L’Envol du sari. Une librairie tortueuse, sinueuse, enchantée, loin des immeubles formatés où l’on rencontre aussi de merveilleux libraires.

Les inévitables têtes de gondole, les squatteurs de télé, de radio, de journaux divers. Un matraquage peut-être justifié mais lassant.

— Quel livre vous a beaucoup émus tous les deux récemment ?

Les-lettres-d-EstherLe libraire et Émilie la jeune vendeuse se regardent et sont d’accord, il me faut lire Les Lettres d’Esther de Cécile Pivot. Ils m’expliquent tous les deux pourquoi ils ont été touchés par ce livre, ils prennent du temps. Voilà à quoi servent les libraires, voilà ce qui les différencie des vendeurs qui cherchent le titre sur leur terminal, mais n’ont pas lu le livre.

Esther, une libraire du Nord de la France, se lance dans un atelier d’écriture pas comme les autres : les participants vont expédier de vraies lettres par la poste à la personne de leur choix. Les personnes qui se lancent dans l’aventure sont toutes cabossées par la vie. Deuil impossible, perte de sens du métier, dépression post-partum, solitude, petit à petit les mots vont se poser sur les maux, avec la lenteur nécessaire à l’échange de courrier.

C’est ce qui m’a beaucoup plu dans ce livre, ce retour à l’attente de la lettre, le temps de la réponse et de la réflexion, loin des courriels dont la personne qui vient de les envoyer attend déjà la réponse. Continuer la lecture

Les Lettres d’Esther
Cécile Pivot
Calmann-Lévy, août 2020, 320 p., 19,50€
ISBN : 978-2-7021-6907-0

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L’Envol du sari et les restes de l’avion indien sur le Mont-Blanc

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Le dix novembre, un sujet du journal télévisé de France 2 (à 32mn:59s) a remis la fonte du glacier des Bossons et les catastrophes aériennes indiennes sur le devant de la scène.Sari-et-Montagnes

Deux avions indiens se sont écrasé sur le Mont-Blanc au même endroit, à seize ans d’écart, leurs restes ont été pillés ou enfouis dans les séracs, dans l’éternité du chaos glaciaire. Mais le géant surplombant la vallée de Chamonix qui semblait immuable est menacé de disparition et recrache les restes que les chercheurs de trésors n’ont pas trouvés.

C’est une drôle d’histoire, un mélange de destins tragiques et de secrets, une histoire improbable et terrible dont le glacier dévoilera peut-être certaines clés, à moins que celles-ci dorment déjà dans des coffres marqués secret défense.

Tout le monde a entendu parler du Malabar Princess qui s’est écrasé sur le Mont-Blanc en novembre 1950, ne serait-ce que grâce au joli film avec Jacques Villeret. Par contre, le Kangchenjunga, le deuxième avion qui a explosé au même endroit en janvier 1966, personne n’en a entendu parler, et pas seulement à cause de son nom imprononçable qui signifie « les cinq trésors de la grande neige », c’est-à-dire les cinq plus hauts sommets de l’Inde, ou de l’absence de film à son sujet. Reprenons l’histoire.

Le trois novembre 1950, le Malabar Princess n’arrivera jamais à son escale de Genève, il vient de s’écraser avec 48 personnes à bord sur le glacier des Bossons, à côté du sommet du mont Blanc.

Ce qui se passe ensuite tient du roman policier et du film politique.

Chamonix est envahie par un mélange hétéroclite de dirigeants d’Air India, de militaires, de hauts fonctionnaires français sans compter les journalistes qui débarquent de toute l’Europe. On apprend que le Constellation ne faisait pas partie des vols de ligne habituels, qu’il avait été affrété pour transporter trente-neuf marins devant rejoindre leur bateau dans le nord de l’Angleterre. On s’interroge très vite ; que ou qui transportait-il donc en dehors de ces malheureux esclaves modernes, cet avion venu d’un pays qui n’existait pas trois ans plus tôt ?

Les rumeurs s’amplifient, les journaux parlent d’un personnage clé de l’indépendance indienne qui aurait voyagé incognito dans l’avion, de valeurs importantes qui se seraient trouvées dans la soute…

Le 24 janvier 1966, un autre avion d’Air India s’écrase à peu près au même endroit que le précédent, son épave est localisée à proximité du rocher de la Tournette, à 4’677m d’altitude, comme pour le premier avion. Il y avait 117  personnes à bord, c’est le Kangchenjunga.

Le même mauvais temps. La même compagnie aérienne, alors qu’il n’y a eu jusqu’à aujourd’hui aucun autre accident de vol commercial. Si la présence de quelqu’un d’important avait été suspectée lors du crash du Malabar Princess, elle est avérée lors du crash du Kangchenjunga. Il s’agit du professeur Bahbha, le responsable du programme nucléaire indien qui se rendait à une conférence sur le désarmement des pays non-alignés à Vienne.

Le contexte international est tendu entre les blocs de l’Est et de l’Ouest qui se font la guerre par pays interposés, c’est la Guerre Froide. L’Inde fait partie des pays du tiers monde qui refusent de choisir de choisir entre l’OTAN (l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord) et le Pacte de Varsovie, ce que le Pandit Nehru nomme le « non-alignement ».

L’Inde progresse en direction de l’arme nucléaire grâce aux travaux du professeur Bahbha, ce qui inquiète le monde : que se passerait-il si le géant indien possédait la bombe et l’utilisait contre le Pakistan ou la Chine ? La mort du professeur Bhabha  retardera longtemps le programme nucléaire indien.

L’avion a-t-il été victime d’un attentat ? Le secteur est bouclé, côté français comme côté italien, et les journalistes sont interdits, tout comme les recherches non autorisées. Pendant des années le secteur sera étroitement surveillé et les documents sont classifiés.

La gendarmerie reçoit des courriers depuis Londres à l’en-tête de la compagnie d’assurance Lloyd’s, la compagnie qui assure les biens précieux sur la planète entière. Ils font mention d’un coffret en bois rempli de pierres précieuses et promettent une récompense importante à qui les retrouvera. Cette boîte a été retrouvée par un jeune homme en 2013.

Les rumeurs d’attentat n’ont pas disparu malgré l’hypothèse la plus probable selon laquelle  l’explosion en plein vol du Kangchenjunga serait due à la collision accidentelle avec un avion de chasse italien lors de manœuvres de l’OTAN.

Les mystères ne sont pas tous éclaircis, loin de là, et cette histoire qui m’avait bouleversée et qui est à l’origine de L’Envol du sari, retrouve toute son actualité. Le reportage de France 2 montre la photo d’un couple d’Indiens retrouvée par Timothée Mottin, le gérant de la buvette des Bossons. Impossible de ne pas songer à Firoz et Rashna, les héros de L’Envol du sari. Me revoilà plongée dans cette période et dans le désarroi des familles, leur besoin de compréhension et d’apaisement, la fascination que je ne demande qu’à vous faire partager.

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Le Bureau des Jardins et des Étangs, superbe alternative au confinement

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Besoin de vous évader ? De fuir annonces, autorisations et nouvelles grises ? Laissez-vous transporter au XIIe siècle dans le Japon médiéval, à l’époque Eian, grâce au Bureau des Jardins et des Étangs de Didier Decoin.

DecoinMiyuki, femme du pêcheur de carpes Katsuro, se retrouve veuve après la noyade de son époux. Elle a vingt-sept ans et la communauté la charge de livrer les carpes d’exception pêchées par son mari à Heiankyõ, la capitale de l’empire, où le maître du Bureau des Jardins et des Étangs, le vieux Nagusa les attend.

Tout va vous étonner dans ce roman exotique, le dépaysement sera si total que vous oublierez la période que nous vivons. Servi par une langue d’une richesse étonnante, sensuelle, gouleyante et vigoureuse, vous découvrirez la dure vie des paysans et celle des courtisans de la capitale, l’importance de la religion et l’obsession de la perfection à la cour, la poésie comme arme de pouvoir et les douze robes superposées portées par les dames de la cour pour créer une nuance indéfinissable.

Ce qu’il attend de toi, voici : va à sa rencontre, va sans hâte, en te glissant lentement parmi ces Dames affalées qui vont respirer, et avec quelle avidité, les encens embrasés par Son Excellence. Entravées par leurs toilettes, engourdies pour être restées longtemps pétrifiées, il faudra t’attendre à ce que toutes ne se relèvent pas pour te laisser passer. Ne te trouble pas, ne t’arrête pas, ne tente pas de les écarter, continue de glisser sans te soucier de rien. Les jûnihitoe empêchent de voir ce qu’il en est précisément, mais tu peux me croire : elles sont agenouillées, assises sur leurs talons, certaines semblent allongées, […], mais ne te soucie pas d’elles, enjambe-les, survole-les, et que les pans de tes douze robes en se soulevant les effleurent, les caressent, les polissent, les lèchent comme autant de pinceaux de soie. Sauf que, au lieu de les marquer d’une touche de couleur, c’est une empreinte parfumée que tu va déposer sur ces Dames : l’odeur de la demoiselle d’entre deux brumes. » (p. 338)

Le voyage de la jeune femme, long de plusieurs centaines de kilomètres, nous permet de faire connaissance avec les différentes composantes de la société, temples et brigands, maisons de passe et pêcheurs. Comme l’érotisme est différent du nôtre, et les notions de beauté, et les coutumes ! Continuer la lecture

Le Bureau des Jardins et des Étangs
Didier Decoin
Stock, janvier 2017, 396 p., 20,50 €
ISBN : 978-2-234-07475-0

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