Archives de l’auteur : Nicole Giroud

Se lancer dans son autobiographie

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Cela me travaillait depuis quelque temps cette envie d’un retour aux échanges, de sortir de l’écriture solitaire et d’offrir aux autres une partie de l’expérience accumulée depuis des années d’écriture, que ce soit de romans, de nouvelles et d’une biographie.

Les Confessions2J’ai été confrontée à l’essai autobiographique d’une personne proche, à celle d’un vieil homme qui était passé par un biographe professionnel et à celui d’une jeune femme qui désirait réorienter sa carrière professionnelle et à qui on avait demandé d’écrire son autobiographie. Elle avait été surprise de la demande, mais elle s’était vite prise de passion pour l’exercice. Je me souviens également d’avoir pratiqué l’exercice avec un adolescent particulièrement violent et perturbé qui avait éructé sur la page un cri de colère et donné un éclairage cru sur la maltraitance paternelle dont il avait été victime. Cela l’avait beaucoup aidé à se calmer. La jeune femme a pu réorienter non seulement sa carrière professionnelle, mais sa vie privée ; son autobiographie était surtout une auto-analyse. Le biographe professionnel avait réussi à rendre plate une vie pleine de péripéties mêlées à l’Histoire, la faute peut-être aux délais, je ne sais pas. Quant à la personne proche, elle avait écrit dans l’urgence, son temps était compté. Elle n’a pas pu travailler son texte.

Tout ceci montre que le temps est nécessaire pour la réussite de l’essai autobiographique. La nécessité du recul par rapport à la vision des événements qui ont traversé l’existence, le travail sur la notion de vérité, sur la lucidité et la modestie nécessaires parce que celle ci ne sera jamais que partielle et partiale, ce que l’on veut que le lecteur potentiel retienne : tout ceci doit être mis au net avant le travail de mémoire. De nombreux conseils et exercices techniques aident au déblocage qui surgit souvent devant l’étendue de la tâche. Le travail en groupe soutient les apprentis biographes en leur montrant que les difficultés sont les mêmes pour tous, les observations des autres participants aident à progresser, à condenser le travail d’écriture, à cerner ce qui est en trop et ce qui mérite au contraire d’être développé. Ce travail est essentiel pour trouver son propre tempo, la façon unique dont on racontera sa vie.

C’est décidé. À la rentrée j’animerai un atelier initiation au récit autobiographique dans mon petit coin de montagne. Dans le texte ci-dessous j’explique les questions inhérentes à l’autobiographie, ses joies et ses difficultés. Continuer la lecture

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No et moi, de Delphine de Vigan, la porte qui reste fermée

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Des mois plus tard il faut en terminer avec les portes qui restent closes devant des enfants en demande d’amour.

No_et_moiSuite au roman Les loyautés de Delphine de Vigan, j’avais écrit sur ce blog un article sur le bouleversant reportage d’Arte sur Yanie. Histoire pleine de douloureux ricochets. J’avais parlé de mon ancien élève qui avait trouvé porte close chez ses grands-parents, Coumarine, elle-même maman d’accueil, a parlé de la porte close devant sa fille de seize ans. Continuer la lecture

No et moi
Delphine de Vigan
JC Lattès, novembre 2010, 286 p., 16 €
ISBN : 9782709636391

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Les loyautés 2 : Yanie enfant placé, enfant déchiré

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Comment ai-je pu oublier le prénom d’un des adolescents les plus lumineux qu’il m’a été donné de rencontrer lors de mes années d’enseignement ?

Je le revois, avec son rire aux éclats, toujours entouré de filles, celles de la classe et les autres : la coqueluche de ces dames, la vedette du collège.

— C’est toi, le tombeur de la classe ?

— Eh oui…

Aucune fanfaronnade, seulement une acceptation de son statut de chouchou d’amour, et cela devait durer depuis l’école primaire… Les autres garçons n’étaient pas jaloux. Ils étaient conscients que leur virilité n’était pas menacée par la gentillesse de celui qui acceptait de bonne grâce toutes les attentions mais ne les exploitait pas. Impossible de ne pas aimer ce garçon rayonnant d’amour de la vie. Il était un peu enrobé, petit ventre rond et joues pleines, on le sentait gourmand de tout, généreux de tout. Continuer la lecture

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Les loyautés : la noire densité du roman de Delphine de Vigan

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Les loyautés.

Ce sont des liens invisibles qui nous attachent aux autres – aux morts comme aux vivants –, ce sont des promesses que nous avons murmurées et dont nous ignorons l’écho, des fidélités silencieuses, ce sont des contrats passés le plus souvent avec nous-mêmes, des mots d’ordre admis sans les avoir entendus, des dettes que nous abritons dans les replis de nos mémoires.

Ce sont les lois de l’enfance qui sommeillent à l’intérieur de nos corps, les valeurs au nom desquelles nous nous tenons droits, les fondements qui nous permettent de résister, les principes illisibles qui nous rongent et nous enferment. Nos ailes et nos carcans.

Ce sont les tremplins sur lesquels nos forces se déploient et les tranchées dans lesquelles nous enterrons nos rêves. (p. 7)

Les-loyautesAinsi s’exprime Delphine de Vigan en prélude à ce roman coup de poing, cet objet noir et brillant où la vie s’exprime en actes violents, révoltes avortées, souffrances souterraines, invisibles aux regards des autres.

Ils sont quatre à s’exprimer dans ce qui est une juxtaposition de points de vue, dans un jeu subtil de regards et de personnes. Dans Les loyautés les deux protagonistes principaux sont deux jeunes garçons, Théo et Mathis, qui ont bientôt treize ans. Ils sont à la fois les objets et les sujets de l’inquiétude et de l’observation des deux adultes. On les voit dans leur cachette sous un escalier, on les voit penser, louvoyer, tenter de se trouver un espace personnel ; et ce n’est pas innocent si l’espace de liberté qu’ils ont trouvé est une espèce de cagibi condamné par les adultes de l’école. Continuer la lecture

Les loyautés
Delphine de Vigan
JC Lattès, janvier 2018, 208 p., 17 €
ISBN : 9782709661584

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Sacrifice numéro un : la danseuse du Malabar Princess

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J’admire les écrivains qui couchent leur roman sur le papier sans états d’âme, d’un seul jet, comme Stendhal couchant La Chartreuse de Parme sur le papier en cinquante–huit jours. Un roman sorti tout droit du cerveau de son auteur, sans redites ou contradictions, sans remords d’écriture, avec la certitude jubilatoire du juste.

Hélas, j’écris par coup de cœur, incapable de suivre un plan, ce qui m’oblige à réécrire mon texte un nombre impressionnant de fois tant je me retrouve régulièrement dans une impasse. Il y a pire encore : les chapitres que l’on aime d’amour et dont il faut se séparer parce que l’économie du texte l’exige. Je hais le mot économie, je hais plus encore d’être obligée de me soumettre à son diktat.

Des rapaces et des hommes s’inscrit dans le cadre des deux catastrophes aériennes qui ont marqué la vallée de Chamonix ; mais on ne peut tout écrire : le lecteur se lasserait. Le lecteur français, puisque le lecteur Américain par exemple n’a pas peur des pavés où il trouvera des informations foisonnantes. Le grand Victor Hugo écrivait ainsi, dans la jubilation de l’excès, mais qui lit encore ses digressions savantes et souvent passionnantes ?

Pour Des rapaces et des hommes, j’ai dû amputer mon texte, comme d’habitude, et je vous livre ici l’un des chapitres sacrifiés, dans l’attente de vos réactions. Bonne lecture !

VIII La danseuse du Malabar Princess

Les deux prêtres avançaient lentement, pieds nus dans la boue chaude et collante mêlée de bouse, oppressés par la chaleur et les odeurs de poisson pourri. Ils allaient de village en village au bord de la mer d’Oman, obsédés par la pluie, le rythme de la pluie sur le sol auquel répondait la respiration de la mer.

Ils avaient dépassé Mangalore, les pieds dans la boue et l’âme en transe, la pluie ruisselant sur leur robe safran, lorsqu’ils la virent. Elle pouvait avoir cinq ou six ans et portait un panier sur la tête contenant un filet avec des bouchons de liège ; elle avait surgi d’un sentier qui venait de la mer, tête immobile et grâce infinie, les eaux grises de la mer d’Oman haletant dans son dos. Aucun tressaillement de l’osier ou du liège : une danseuse immobile traversant les énormes gouttes d’eau sans même les sentir et rétablissant la fluidité de l’air.

C’était elle. Une fille de pêcheur. La transaction ne serait pas longue. Continuer la lecture

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