Archives de l’auteur : Nicole Giroud

Les Testaments éclairent La Servante écarlate

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Margaret Atwood a écrit la suite de La Servante écarlate pour répondre aux interrogations de ses lecteurs qui voulaient savoir ce qui se passait réellement après la fin du roman, celle-ci autorisant différentes interprétations.

Trente-cinq ans laissent largement le temps de réfléchir aux réponses possibles, lesquelles ont évolué à mesure que la société elle-même évoluait et que les hypothèses devenaient réalité. (p. 535) […] Il arrive que les totalitarismes s’effondrent, minés de l’intérieur, parce qu’ils n’ont pas réussi à tenir les promesses qui les avaient portés au pouvoir ; il se peut aussi qu’ils subissent des attaques venues de l’extérieur ; ou les deux. Il n’existe pas de recette infaillible, étant donné que très peu de choses dans l’histoire sont inéluctables. (p. 536)

Les Testaments nous relatent les prémices de l’effondrement de Galaad (l’auteure a choisi cette fois-ci de traduire l’hébreu Gilead).

La construction est complexe et nécessite une adaptation de la part des lecteurs qui avaient pris l’habitude d’épouser le seul point de vue de Defred alias June dans La Servante écarlate. Dans cette suite polyphonique, trois personnages s’expriment, et il faut faire attention dans les premières dizaines de pages pour bien savoir qui parle, parce qu’autrement tout est confus.

L’auteure nous aide, bien sûr, mais sans nous mâcher le travail.

Le Testament olographe d’Ardua Hall concerne un des personnages les plus importants de Galaad, sans doute la femme la plus puissante de la théocratie, Tante Lydia. Elle figurait dans La Servante écarlate, femme retorse et cruelle dévouée au régime.

En premier lieu, le régime a besoin de moi. Je suis celle qui gère, d’une poigne de fer dans un gant de velours, lui-même glissé dans une mitaine en soie, le côté féminin de leur entreprise, et je fais régner l’ordre : tel un eunuque de harem, je bénéficie d’une position unique.

Deuxièmement, j’en sais trop sur les dirigeants – trop de scandales –, et ceux-ci ne sont pas sûrs de ce que j’ai pu fabriquer avec ces informations. S’ils me pendent haut et court, qui sait si ces fameux scandales ne s’ébruiteront pas d’une manière ou d’une autre ? Ils craignent peut-être que je n’aie pris soin de les sauvegarder ; ils n’auraient pas tort.

Troisièmement, je suis discrète. Tous ces hauts responsables ont toujours eu le sentiment que leurs secrets ne risquaient rien avec moi ; mais ce – je l’ai fait comprendre à mots couverts – tant que je ne risquais rien non plus. Il y a longtemps que je crois à l’équilibre des pouvoirs.

En dépit de ces mesures de sécurité, je ne me berce pas d’illusions. Galaad est un lieu où l’on perd vite pied : les accidents y sont fréquents. Quelqu’un a déjà rédigé mon éloge funèbre, c’est évident.

Quinze ans plus tard, nous découvrons comment elle a adhéré à l’idéologie totalitaire, poussée par l’instinct de survie. Continuer la lecture

Les Testaments
Margaret Atwood
traduit de l’anglais (Canada) par Michèle Albaret-Maatsch
Robert Laffont, octobre 2019, 552 p., 34,95 $
ISBN : 978-0-385-54378-1

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La Servante écarlate, de plus en plus d’actualité

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Ce roman écrit il y a presque quarante ans semble sorti de l’esprit d’une Pythie qui aurait anticipé les dérives théocratiques du monde occidental et les aurait porté à leur paroxysme.

L’histoire nous est racontée par une servante écarlate appelée Defred. Ce n’est pas son véritable nom, ce dernier signifie seulement qu’elle est attribuée à un homme qui s’appelle Fred, un des Commandants de Gilead, le nouvel ordre qui règne dans une partie des États-Unis après l’exécution de son président. Defred n’a plus d’identité, seulement une fonction. Elle a déjà donné naissance à une enfant normale, donc elle est devenue une  reproductrice dans ce monde menacé d’extinction par l’infertilité. Elle et ses semblables ont été conditionnées dans un centre où des Tantes, c’est-à-dire des femmes plus âgées armées d’un aiguillon électrique à bétail mataient toute tentative de rébellion.

Les reproductrices sont habillées de rouge, couleur du sang et de la vie, on les nomme les servantes écarlates.

Une forme, rouge avec des ailes blanches, une forme pareille à la mienne, une femme indéfinissable qui porte un panier s’avance vers moi le long du trottoir de briques rouges. Elle me rejoint et nous nous scrutons le visage, du fond des tunnels de tissu blanc qui nous enferment. (p. 39) […] Nous ne sommes pas autorisées à nous y [au centre de la ville] rendre, sauf à deux. […] La vérité, c’est qu’elle est mon espionne et moi la sienne.

Cette femme est ma partenaire depuis deux semaines. Je ne sais pas ce qui est arrivé à la précédente. (p. 40)

Tout est dit dans cette description : la déshumanisation, la reconnaissance et la méfiance entre semblables, la peur. Ces femmes n’ont aucun droit de regard, dans tous les sens du terme. Nous ne connaîtrons pas le véritable nom de la narratrice.

Defred raconte, passe du passé au présent, parle de son mari Luke et de sa fille dont elle ne dira pas le nom, comme si elle avait intégré de l’intérieur la déshumanisation qui attend la petite après la tentative de fuite de la famille.

Les servantes écarlates sont destinées à procréer, pas à être des esclaves sexuelles. Il n’est pas question d’éprouver du plaisir et je vous laisse découvrir de quelle manière se passe le viol mensuel inspiré d’un passage de la Genèse. Les futurs enfants sont très importants, nous comprenons que peu de femmes sont fécondes, et qu’elles ont assez peu de chances de mettre au monde un enfant viable et en bonne santé. Raison pour laquelle la plupart des femmes des Commandants adhèrent à la nouvelle doctrine. Un enfant assoit leur pouvoir grâce à sa rareté. Continuer la lecture

La Servante écarlate
Margaret Atwood
traduit de l’anglais (Canada) par Sylviane Rué
Robert Laffont / Pavillons poche, octobre 2015, 544 p., 11,50€
ISBN : 978-2-221-20332-3

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Plautilla Nelli femme peintre de la Renaissance

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En ce temps de Pâques, je vous propose une Cène unique au monde. Elle a été peinte par une artiste du XVIe siècle, Plautilla Nelli (1524-1588). Cette sœur dominicaine issue d’une riche famille de marchands florentins a peint à l’huile la seule Cène connue peinte par une femme.

Détail de la Cène de Plautilla Nelli, domaine public, via Wikimedia Commons

Le tableau est immense, presque sept mètres de long sur deux mètres de hauteur (670 × 195 cm exactement) et il était très endommagé lorsqu’il a été découvert. En cliquant sur le tableau, vous verrez la Cène en grand et vous pourrez en admirer tous les détails. Son étrangeté devrait vous surprendre : cette Cène ne ressemble pas aux autres, celles que tant d’artistes de la Renaissance ont imaginée. Continuer la lecture

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Dakota Song, New York en pointillés

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Dakota Song nous plonge dans l’intérieur de l’immeuble Dakota, un îlot mythique de Manhattan peuplé de personnes riches et célèbres, entre autres Lauren Bacall, Leonard Bernstein, Rudolf Noureev et John Lennon et sa femme.

Le fonctionnement de ce genre d’immeuble où tout est assuré par un petit peuple de l’ombre chargé du bien-être des habitants nous est devenu familier avec Jean-Paul Dubois et son roman prix Goncourt 2019 Tous les hommes n’habitent pas le monde de la même façon.

 La comparaison s’arrête là.

Ariane Bois situe son roman en 1970, un moment clé de l’histoire new-yorkaise. Dans le premier chapitre un jeune noir de Harlem assiste à l’assassinat de son meilleur ami. Le mari de sa tante, portoricain, veut protéger son neveu et l’amène clandestinement dans les sous-sols du Dakota où il travaille. Ce très jeune homme, c’est Shawn Pepperdine, qui deviendra le premier portier noir du Dakota.

Le début du roman est passionnant, Ariane Bois possède l’art de plonger son lecteur dans les atmosphères les plus étrangères à sa vie. Nous sommes à Harlem, nous nous promenons à l’aube dans New-York, nous sommes plongés avec Shawn au cœur de l’hostilité raciste des autres employés du Dakota. Bientôt, lorsqu’il aura été promu portier, le racisme s’étendra à certains résidents.

Et puis cela dérape un peu. Les chapitres portent le nom du résident dont on lira une partie de l’histoire (ou le nom de Shawn lorsque c’est son tour d’intervenir dans la narration). C’est un parti-pris systématique et difficile à tenir sur le long terme. Les histoires s’entrecroisent et tous ces gens riches, célèbres ou non, finissent par lasser malgré la qualité de l’écriture. Le fil narratif est trop artificiel. Je crois que c’est le piège de l’excès de sérieux et d’accumulation. La documentation entourant cette période et cet immeuble est si riche qu’il a dû être difficile de choisir et par conséquent facile de se perdre. Comment choisir parmi tous ces personnages intéressants ceux qui allaient maintenir la tension dramatique ? Comment sélectionner les éléments historiques qui participeraient intimement à l’histoire des héros, et en définitive quels héros choisir ?

Dakota Song est un portrait pointilliste d’une Amérique en effervescence et d’un immeuble rivé à ses privilèges. Il faut le regarder de loin pour cerner le motif.

Dakota Song
Ariane Bois
Belfond, mars 2017, 448 p., 20€
ISBN : 978-2-7144-7541-1

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Histoire d’Adèle H, compositrice empêchée

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Voici enfin venu le moment de la mise en valeur des compositrices empêchées, écrasées par le génie de leur mari (Alma Mahler, Clara Schumann) ou de leur père (Adèle Hugo). Ces Grands Hommes ne supportant pas la concurrence disposaient des moyens nécessaires pour limiter une création qui aurait pu faire ombre à la leur.

J’aimerais vous parler d’Adèle Hugo – la fille cadette du grand Victor – dont certaines œuvres, les Mélodies, ont été jouées en première mondiale à Besançon, lieu de naissance de son illustre père, le trente-et-un mars, et le seront aussi à Dole le deux avril. Les partitions seront jouées par une cinquantaine de musiciens de l’Orchestre Victor Hugo Franche-Comté avant une série de rencontres autour d’Adèle Hugo. Il y aura également un enregistrement des Mélodies par un collectif de grands noms de la scène lyrique française. Juste revanche pour celle dont la créativité et la personnalité ont été écrasées par le génie autocratique paternel.

Vous n’avez peut-être jamais entendu parler d’Adèle autrement que par le film de François Truffaut L’Histoire d’Adèle H., avec une Isabelle Adjani habitée par le rôle. La cadette de Victor, cette pauvre folle était compositrice ? On a retrouvé ses partitions dans une malle où elles dormaient depuis cent-cinquante ans ? Comment cela est-il possible alors que l’on pensait tout connaître de la famille Hugo, patrimoine national ?

N’allons pas trop vite et commençons par le jeu de la famille. Continuer la lecture

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