Plautilla Nelli femme peintre de la Renaissance

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En ce temps de Pâques, je vous propose une Cène unique au monde. Elle a été peinte par une artiste du XVIe siècle, Plautilla Nelli (1524-1588). Cette sœur dominicaine issue d’une riche famille de marchands florentins a peint à l’huile la seule Cène connue peinte par une femme.

Détail de la Cène de Plautilla Nelli, domaine public, via Wikimedia Commons

Le tableau est immense, presque sept mètres de long sur deux mètres de hauteur (670 × 195 cm exactement) et il était très endommagé lorsqu’il a été découvert. En cliquant sur le tableau, vous verrez la Cène en grand et vous pourrez en admirer tous les détails. Son étrangeté devrait vous surprendre : cette Cène ne ressemble pas aux autres, celles que tant d’artistes de la Renaissance ont imaginée. Continuer la lecture

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Dakota Song, New York en pointillés

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Dakota Song nous plonge dans l’intérieur de l’immeuble Dakota, un îlot mythique de Manhattan peuplé de personnes riches et célèbres, entre autres Lauren Bacall, Leonard Bernstein, Rudolf Noureev et John Lennon et sa femme.

Le fonctionnement de ce genre d’immeuble où tout est assuré par un petit peuple de l’ombre chargé du bien-être des habitants nous est devenu familier avec Jean-Paul Dubois et son roman prix Goncourt 2019 Tous les hommes n’habitent pas le monde de la même façon.

 La comparaison s’arrête là.

Ariane Bois situe son roman en 1970, un moment clé de l’histoire new-yorkaise. Dans le premier chapitre un jeune noir de Harlem assiste à l’assassinat de son meilleur ami. Le mari de sa tante, portoricain, veut protéger son neveu et l’amène clandestinement dans les sous-sols du Dakota où il travaille. Ce très jeune homme, c’est Shawn Pepperdine, qui deviendra le premier portier noir du Dakota.

Le début du roman est passionnant, Ariane Bois possède l’art de plonger son lecteur dans les atmosphères les plus étrangères à sa vie. Nous sommes à Harlem, nous nous promenons à l’aube dans New-York, nous sommes plongés avec Shawn au cœur de l’hostilité raciste des autres employés du Dakota. Bientôt, lorsqu’il aura été promu portier, le racisme s’étendra à certains résidents.

Et puis cela dérape un peu. Les chapitres portent le nom du résident dont on lira une partie de l’histoire (ou le nom de Shawn lorsque c’est son tour d’intervenir dans la narration). C’est un parti-pris systématique et difficile à tenir sur le long terme. Les histoires s’entrecroisent et tous ces gens riches, célèbres ou non, finissent par lasser malgré la qualité de l’écriture. Le fil narratif est trop artificiel. Je crois que c’est le piège de l’excès de sérieux et d’accumulation. La documentation entourant cette période et cet immeuble est si riche qu’il a dû être difficile de choisir et par conséquent facile de se perdre. Comment choisir parmi tous ces personnages intéressants ceux qui allaient maintenir la tension dramatique ? Comment sélectionner les éléments historiques qui participeraient intimement à l’histoire des héros, et en définitive quels héros choisir ?

Dakota Song est un portrait pointilliste d’une Amérique en effervescence et d’un immeuble rivé à ses privilèges. Il faut le regarder de loin pour cerner le motif.

Dakota Song
Ariane Bois
Belfond, mars 2017, 448 p., 20€
ISBN : 978-2-7144-7541-1

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Histoire d’Adèle H, compositrice empêchée

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Voici enfin venu le moment de la mise en valeur des compositrices empêchées, écrasées par le génie de leur mari (Alma Mahler, Clara Schumann) ou de leur père (Adèle Hugo). Ces Grands Hommes ne supportant pas la concurrence disposaient des moyens nécessaires pour limiter une création qui aurait pu faire ombre à la leur.

J’aimerais vous parler d’Adèle Hugo – la fille cadette du grand Victor – dont certaines œuvres, les Mélodies, ont été jouées en première mondiale à Besançon, lieu de naissance de son illustre père, le trente-et-un mars, et le seront aussi à Dole le deux avril. Les partitions seront jouées par une cinquantaine de musiciens de l’Orchestre Victor Hugo Franche-Comté avant une série de rencontres autour d’Adèle Hugo. Il y aura également un enregistrement des Mélodies par un collectif de grands noms de la scène lyrique française. Juste revanche pour celle dont la créativité et la personnalité ont été écrasées par le génie autocratique paternel.

Vous n’avez peut-être jamais entendu parler d’Adèle autrement que par le film de François Truffaut L’Histoire d’Adèle H., avec une Isabelle Adjani habitée par le rôle. La cadette de Victor, cette pauvre folle était compositrice ? On a retrouvé ses partitions dans une malle où elles dormaient depuis cent-cinquante ans ? Comment cela est-il possible alors que l’on pensait tout connaître de la famille Hugo, patrimoine national ?

N’allons pas trop vite et commençons par le jeu de la famille. Continuer la lecture

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Le monde d’Hannah et ses douloureux fantômes

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Ce roman paru en 2011 recrée le monde d’avant-guerre de la communauté du quartier populaire du XIe arrondissement où se mélangent sans conflit apparent immigrants juifs d’origine espagnole et turque avec les Français modestes dits « de souche ».

Ariane Bois possède un talent particulier pour rendre l’atmosphère de ce quartier populaire surnommé le « petit Istanbul ». Hannah a huit ans et découvre l’amitié avec Suzon. Nous accompagnons sa vie comme si nous y étions, le texte est d’une grande puissance d’évocation. Les grands-parents maternels d’Hannah, ses parents Cécile et Haïm, les voisins, les cafés et les gens au travail, tout cela est extrêmement vivant. C’est un plongeon dans un univers bruissant qui va disparaître brutalement. Continuer la lecture

Le monde d’Hannah
Ariane Bois
R. Laffont, octobre 2011, 288 p., 19 €
ISBN : 978-2-221-12592-2

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La disparition programmée d’un symbole culturel

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Voici venu le temps – fin mars début avril – où les familles japonaises se déplacent en masse pour célébrer la courte saison des cerisiers en fleurs et pique-niquer sous leurs frondaisons. C’est l’hanami, un des moments importants de la vie japonaise. Cet attachement des Japonais à la nature n’a rien d’un folklore, il est signe de la force du lien entre amour de la nature et spiritualité. La signification profonde de ce qui est devenu un argument de vente pour les voyages touristiques nous échappe. Tout est spiritualité, tout est signe de l’instabilité du monde au Japon. Saisir le moment exact du changement des saisons (très marquées dans ce pays) permet de construire des repères dans le temps de sa propre vie.

C’est l’essence même des haïkus, ces poèmes très courts qui font partie du socle de la culture de l’archipel nippon. Dix-sept sons pour happer un instant d’éternité dans cette vie qui toujours nous fuit. Un concentré de l’amour de la vie et de la nature, de l’attention aux éléments et à leur impermanence. Tout change, tout passe, et l’inscription fugace d’un instant dans un poème aussi court crée un sentiment d’éternité et d’éphémère.

Tant de mots sont codifiés pour évoquer un infime changement de saison :  une nuance de couleur dans les feuilles des arbres ou une variation dans le rythme de la pluie ! Ces mots appelés kigos sont consignés dans un dictionnaire particulier, le saïjiki. Tout haïku contient au moins un kigo. Cette forme poétique existe depuis le VIIIe siècle, elle est un pilier de la culture du pays depuis le XVIIe siècle, moment des plus grands poètes comme Basho. Les haïkus, pour ceux qui pratiquent cet art, c’est une façon de faire partie de l’univers, de relier la fragilité de l’instant et l’éternité de la nature.

Pluie de printemps

Toute chose

Embellit.

(Chiyo-Ni, 1703-1775)

Arrive la plénitude de l’été :

L’étang, là, calme, ancien !

Une grenouille a sauté de la berge.

L’éclaboussure retentit.

(Matsuo Basho, 1644-1694)

Instants fugaces, beauté et éternité de la nature, tous ces poèmes qui comblent l’angoisse des Japonais depuis des siècles vont connaître le vacillement de leurs principes.

Rien ne dit

Dans le chant de la cigale

Qu’elle est près de sa fin

(Matsuo Basho)

Au Japon comme ailleurs les saisons commencent à connaître le grand bouleversement du changement climatique. Les saisons très marquées il y a peu se mélangent, se fondent les unes dans les autres. Déjà l’hiver n’est plus si rigoureux, déjà le vert délicat des feuilles au tout début du printemps devient fugace : comment écrire des haïkus avec des kigos vidés de leur substance ?

Les poètes japonais devront trouver d’autres mots pour dire, en dix-sept sonorités, leur désarroi devant la disparition de leurs points de repères dans ce monde qui s’effondre.

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