
Il est d’une maigreur extrême, il baisse les yeux. Il ne vit pas dans la rue : sa veste est très propre, sa casquette aussi. Rien de déchiré, d’abîmé. Il est sans doute marié, sa tenue trahit les soins d’une femme qui tient à sa dignité.
Son teint hâlé de travailleur en plein air, les muscles crispés de sa mâchoire, tout indique que jamais il n’aurait dû se retrouver là, à tendre sa misérable et dérisoire sébile de carton posée sur sa canne blanche. Canne d’aveugle suite à un accident de travail ? Impossible de le déterminer.
Restent le désespoir et la honte de cet homme, ce travailleur penché en avant, le dos parallèle à sa canne. Vivian Maier s’est peut-être mise à genoux (elle est grande) pour saisir la lumière éclatante qui descend depuis le cadre d’aluminium situé à l’arrière du mendiant, continue sur la lame de sa chemise, revient sur le gobelet et la canne. Une lumière plus douce tombe sur la casquette, le col et les épaules. À sa gauche, dans l’ombre noire d’un bâtiment obscur dont la porte est ouverte, trois mystérieux trous de lumière.
Cet homme est aussi désespéré que le clown qui n’arrive pas à sourire, mais si les deux hommes sont brisés, c’est de manière différente. Le clown respirait la solitude. Notre travailleur, lui, doit porter les soins, l’amour et l’angoisse de sa compagne.
Dans les deux cas, Vivian Maier essaie de leur rendre, à travers cette lumière qui les magnifie, leur dignité laminée.

Sur la page de couverture, une ravissante Bimbo à la robe rose bonbon très chic baisse ses faux cils avec modestie, son crâne décalotté servant de réceptacle pour la brosse des WC.
Je suis sûre que vous avez tous vu un jour ou l’autre un dessin de Gary Larson. Celui où les vaches et les poules discutent théorème mathématique, par exemple. Surgit le fermier ; on n’entend plus que des « Meuh » et des « Cot cot »…
Malgré son titre platement racoleur, ce livre n’est pas un hommage aux vies de papier mais à la littérature même et à tous ses passeurs. Cela commence par les écrivains qui sont souvent dépassés par leurs héros et sont amenés à écrire des phrases qui les confondent par leur vérité. Cela continue par les libraires et les traducteurs. Les libraires offrent l’objet livre dans leur établissement et les traducteurs permettent aux lecteurs qui ne connaissent pas la langue d’origine d’avoir connaissance d’une œuvre.