Hiver, misère et tragédie

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Le récit que vous allez lire, je me refuse à l’appeler « nouvelle ». Je l’ai écrit il y a longtemps, dans des circonstances que je ne peux oublier. C’était en janvier et une vague de froid s’étendait sur l’Europe. Au chaud, bien au chaud dans ma maison, j’étais en congé maternité. Ma petite fille boule de tendresse et d’espoir reposait dans son berceau, endormie comme tous les bébés du monde, avant-bras dressés et poings fermés. Les nouvelles de ce matin-là ont fait entrer le froid et le désespoir dans la maison, j’ai écrit ce texte dans l’urgence sans réfléchir, sans retouches. Ce qu’il raconte est la transcription de ce qui s’est passé, l’exacte transcription.

janv. 1

On nous annonce depuis plusieurs jours une vague de froid semblable à celle qui a occasionné ce drame. Si je vous livre ce texte, c’est pour que rien ne se répète, que cette « nouvelle » n’en soit pas une à la radio, avec trémolos de circonstance avant de passer aux conditions de circulation ou à la météo.

La nouvelle s’intitule

Hiver

Ce n’est pas possible, cela ne peut pas durer, je ne sens plus mes pieds, plus mes mains, il y a juste toi qui bouge dans mon ventre, tes crispations, ta révolte.

Ce froid atroce m’engourdit la tête. J’ai les lèvres qui saignent. Avancer, encore avancer. Trouver un endroit chaud où nous poser, toi et moi. Tu as de la chance d’être dans mon ventre, au moins tu n’as pas froid, enfin j’espère.

Tout à l’heure, il y a ce vieux salaud qui a envoyé son chien quand il a vu les traces de pas dans la neige menant à sa cabane de jardin. Ce que j’ai couru malgré mes pieds gonflés, malgré la paralysie du froid…

Quel effet ça fait d’être au chaud, dans une maison ? Il y a des mois que j’erre dans les rues. Assise contre un mur, à côté d’un Monoprix, dans la pisse des chiens, l’odeur mélangée à celle du gras, de la friture. Le froid en bas des reins et les yeux baissés pour oublier les gens qui passent, ceux qui regardent la femme enceinte qui pue. « Merci, Madame ». Les gens furtifs. Ils ont aussi honte que moi.

Le Monoprix, c’est bien, parce que lorsque les portes s’ouvrent, c’est une bouffée de chaleur comme de la tendresse. C’est bien aussi parce que les gamins jettent souvent leur gaufre à demi entamée. « Pas au sucre, à la crème ! » Hurlements. Gifle ou rachat. Belle aubaine.

La suite se trouve ici.

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Les enfants qui traversaient le mur

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C’était la fin d’une journée épuisante au Chelsea Flower Show de Londres, le moment où, gavé des prouesses architecturales des plus grands créateurs de jardins de Grande-Bretagne, épuisé par les excès de fleurs, d’originalité et de poésie savamment orchestrés, anéanti par le brouhaha et les mouvements de foule, le visiteur n’aspirait qu’au vide et au silence.

Le reflux s’amorçait, les émerveillements avaient fait place à la lassitude et la rumeur s’amenuisait, remplacée par des pas traînants à la recherche de la sortie de la manifestation. Qui prenait le temps de regarder les dernières installations ?

Ce fut alors que je le vis, ce pavillon néo-grec bordé de chaque côté par un muret de pierre sèches, un mélange bizarre de cottage et de folie de jardin, submergé par les fleurs, bien sûr… Mais il y avait quelque chose d’incongru et d’une violence terrible : des enfants grandeur nature voulaient franchir l’espace séparé par des murets, des statues de bois si réalistes, si tragiques dans cet environnement fleuri et un peu mièvre que je n’ai pas pu avancer plus loin. Une fille avait réussi à traverser le mur droit avec son torse et tendait la main vers celle qui voulait la saisir. passage

C’était pour moi la métaphore violente des migrants qui essaient de traverser à la nage l’océan de notre indifférence et de notre méfiance. Ils oscillaient entre la noyade et l’espoir, tendant la main à travers le mur à la recherche de la main, du côté de la sécurité. Pour moi, l’espace sablé entre les deux murs représentait la mer. Continuer la lecture

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Carnet d’un imposteur, comment manipuler la paroi de verre

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hugo-3Hugo Horiot, comédien, a écrit un livre coup de poing pour décrire son autisme de l’intérieur, L’Empereur, c’est moi aux éditions l’Iconoclaste en 2013. En 2016 il récidive, toujours aux éditions l’Iconoclaste avec Carnet d’un imposteur.

Approfondissement après le cri de colère et de douleur ? Manière de surfer sur la vague après un premier succès ? Aucune importance. Le style est là, c’est ce qui compte, c’est ce qui signe l’écrivain, et Hugo Horiot semble en être un :

Ma mère m’a toujours dit d’écrire. J’ai suivi son conseil. Elle m’a libéré de mes prisons. J’écris et j’écrirai encore. (p.27)

Nous verrons. C’est toujours difficile de revenir sur les mêmes éléments de sa vie, cela tourne à la redite en général, mais qu’en est-il lorsque cet élément est votre vie même ? Qu’en est-il lorsqu’une différence à la naissance forme une paroi entre vous et les autres ?

Je mets « vous » en avant, parce que c’est bien ce qui transparaît dans ce livre, la présence obsédante de qui veut trouver une place dans la société alors que les codes lui manquent, ces codes qu’il faut intellectualiser puisque rien d’instinctif n’est possible.

Le masque

Il ne communique pas, disait-on de Julien.

Pas de communication, pas de lien dans ce monde. Pourtant, les paroles souvent dérapent et trahissent. Les mots sont les ennemis. On les interprète, on les analyse et on les déforme. Malentendus, dialogues de sourds. Mensonges et trahisons. Au diable la communication !

Pour me protéger du monde et prendre part à la comédie sociale, j’ai mis en route une machine de guerre. C’est moi qui organise le chaos. Partout où je vais, je joue de tactique et de manipulation. Je crée des élans et dirige des manœuvres de plus ou moins grande envergure. Toute mon adaptation sociale repose sur la distance. Regarder les êtres et les choses avec la plus grande distance possible me permet de tirer une meilleure analyse de la situation et d’agir en conséquence. J’avance masqué. Je semble rassurant et sympathique. Je suis rassurant et sympathique. Bonhomie, chaleur et trivialité. Et surtout légèreté. (p.41)

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Carnet d’un imposteur
Hugo Horiot
L’Iconoclaste, septembre 2016, 158 p., 15€
ISBN : 9791095438182

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L’extase de la lumière qui chante

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La cathédrale Saint-Étienne est la plus ancienne cathédrale gothique de France, cela vaut un détour, même en ce début de décembre, même si nous n’avons pas prévu cette coulée glacée qui engourdit la petite ville.

Comme il fait froid ! Tout est figé, en attente, ralenti par cet effondrement du mercure. La cathédrale ? des chapeaux pointus au-dessus des toits, il suffit de suivre la direction. Sur le parvis, calés devant l’entrée, deux jeunes policiers frigorifiés contrôlent mon sac avec le sourire. Mais c’est l’heure de la messe, beaucoup de fidèles, marche arrière toute.

Enfin un semblant d’animation dans la vieille ville de Sens : des commerçants installent leurs stand sur le marché de Noël en face de la cathédrale – gros gants, concentration, pas le temps de sourire – ; quelques femmes tête baissée, un sac à provisions courbant leur bras ; des sans-abri avec leur chien, en groupe, autour d’un feu imaginaire. La ville médiévale avec ses maisons à colombages et leurs personnages impertinents sculptés dans le bois qui narguent le passant depuis six siècles, avec ses palais à l’orgueilleuse richesse, ressemble à la cité de la Belle au bois dormant. Tout vibre d’un silence renvoyé par le ciel bleu dur. Nous sommes en semaine, début décembre, il est près de midi.

Retour à la cathédrale. Les jeunes policiers ont déserté, même les sans-abri sont partis, il fait de plus en plus froid, nous entrons.

cathedrale-2Et cela nous saisit : la pureté de l’immense vaisseau de pierre, vingt-cinq mètres de haut, quinze de large, la chaleur (toute relative) après tout ce froid, la musique qui semble sourdre des colonnes, et la lumière. La lumière du soleil qui joue dans les vitraux comme je n’ai jamais vu. La solitude, aussi, car il n’y a absolument personne dans cette merveille de pierre qui murmure, qui chante, qui scintille dans la lumière de midi. Continuer la lecture

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Le droneport de Norman Foster

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Le droneport est le grand projet pour désenclaver l’Afrique de l’architecte mondialement connu Norman Foster. Fait-il partie de ces personnes qui n’ont plus rien à prouver au point de vue professionnel et se penchent sur la misère du monde ? Suit-il l’exemple de Shigeru Ban qui est présent depuis si longtemps sur les lieux de toutes les catastrophes ?

Ce n’est pas si simple…

Ce projet du plus petit aéroport du monde, issu de la créativité de celui qui a construit le plus grand aéroport du monde à Pékin, a mobilisé nombre d’équipes de spécialistes, y compris un as de la pose de briques. Il a fait preuve d’une remarquable interdisciplinarité pour créer un module de base pouvant être dupliqué autant de fois que nécessaire. Hautement adaptable, ce droneport est un mélange de technologie de pointe et d’architecture traditionnelle. Celui-ci est prévu pour servir de base aux drones, mais peut fonctionner comme une plate-forme d’hôpital ou servir au commerce. Il a été conçu pour que les populations locales puissent le construire à peu de frais, à l’aide cependant de la DuraBric résultant des recherches de LafargeHolcim.

Le dernier hors-série de ′A′A′ (l’Architecture d’Aujourd’hui) détaille fort bien ce projet dont le prototype a été présenté à la 15e biennale d’architecture de Venise. Le pavillon – très beau – s’intègre d’une manière parfaite dans le site de l’Arsenal.

droneport-venise

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