Archives par étiquette : Littérature américaine

American Dirt, symbolique de l’Amérique et de ses dissensions

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Le titre du roman de Jeanine Cummins n’a pas été traduit en français, « American Dirt » est resté tel quel, il est vrai que le mot « Dirt » désigne la saleté, la boue, la fange, un mot très évocateur de ce que l’Amérique ne veut pas voir aux marges de sa société, un titre très fort dans ce pays : American Dirt, ce qui salit non seulement les chaussures mais la bonne conscience américaine.

Jeanine Cummins, quadragénaire américaine née en Espagne et auteure peu connue outre-Atlantique, a voulu écrire un roman sur le sort des clandestins mexicains qui tentent d’émigrer aux États-Unis. Pendant cinq ans elle se documente, se rend au Mexique pour visiter des orphelinats et des refuges qui jalonnent le parcours de la « Bestia », le train de marchandises si dangereux que tentent de prendre les candidats au bonheur américain. Sa documentation et ses visites l’immergent dans ses personnages, et enfin elle écrit son roman dont voici le résumé grossier :

Lydia possède une librairie à Acapulco, au Mexique. Elle mène une vie tranquille auprès de son mari Sebastián qui est journaliste d’investigation, métier à haut-risque dans son pays. Ils ont un fils de huit ans, Luca. Dans sa librairie, la jeune femme s’est liée d’amitié avec Javier, un client amateur de littérature qui est un baron de la drogue, or Sebastián publie un article sur ce dernier. En guise de représailles, Javier fait massacrer toute la famille lors de la fête des quinze ans de la nièce de Lydia.

L’une des premières balles surgit par la fenêtre ouverte, au-dessus de la cuvette des toilettes devant laquelle se tient Luca. Il ne comprend pas tout de suite qu’il s’agit d’une balle – par chance elle ne le frappe pas entre les deux yeux, c’est à peine si son cerveau enregistre le bruit qu’elle fait en allant se loger dans le mur carrelé derrière lui.

Seize morts dans la cour de la maison, seuls Lydia et Luca échappent à la tuerie. Continuer la lecture

American Dirt
Jeanine Cummins
Traduit de l’anglais (États-Unis) par Françoise Adelstain et Christine Auché
10/18, janvier 2022, 572 p., 9,60€
ISBN : 978-2-264-07471-3

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Dans la forêt, robinsonnade de l’effondrement au féminin

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Deux adolescentes, Nell et Eva, se retrouvent seules dans la forêt où leurs parents ont construit leur maison. Dans cette famille fusionnelle, les filles étaient plutôt marginalisées vis à vis des autres enfants, puisque leur père – bien que directeur d’école – avait préféré la scolarisation à domicile de ses enfants. Nell et Eva ont donc évolué à leur propre rythme en suivant leurs passions, lecture pour Nell et danse pour Eva, loin de la socialisation de l’école. Leur mère, ancienne danseuse classique, meurt de maladie avant l’effondrement civilisationnel et leur père plus tard lors d’un accident en forêt. Les deux filles se retrouvent seules. Commence alors la survie, quand on redevient un animal sauvage à l’affût du moindre bruit.

Ces jours-ci, nos corps portent nos chagrins comme s’ils étaient des bols remplis d’eau à ras bord. Nous devons être vigilantes tout le temps ; au moindre sursaut ou mouvement inattendu, l’eau se renverse et se renverse et se renverse. (p.15)

Tout est là. Un style poétique pour décrire l’horreur de la situation et l’envie de vivre, la beauté de la forêt et l’ingéniosité nécessaire, mais aussi l’amour entre les deux sœurs, l’entraide, les tensions, la solitude. Tout est si parfaitement décrit, écrit, que le texte ne lasse jamais. Plus même, malgré le sujet difficile surtout en ce moment où les prémisses décrites de l’effondrement civilisationnel sont notre quotidien, ce roman est rassurant.

Dans la forêt est une sorte de robinsonnade au féminin, nous ne nous trouvons pas sur une île déserte à la suite du naufrage d’un navire, mais dans une forêt à la suite d’un effondrement de la civilisation. Comme Robinson, Nell et Eva doivent se débrouiller seules et trouver leurs propres solutions de survie, même si elles sont bien aidées par leur père qui, avant de mourir, leur a appris à faire un potager et a rempli les placards de la maison de provisions. Ces concessions à notre monde actuel mises à part, les jeunes filles sont confrontées à une situation totalement nouvelle en milieu inconnu. Il y a un abîme entre la connaissance de la forêt lors de jeux et promenades et celle destinée à la survie. Continuer la lecture

Dans la forêt
Jean Hegland
Traduit de l’américain par Josette Chicheportiche
Totem, mai 2018, 368 p., 10,50€
ISBN : 9782351786444

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Betty, les douleurs et la lucidité de la petite Indienne de Tiffany McDaniel

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Devenir femme, c’est affronter le couteau. C’est apprendre à supporter le tranchant de la lame et les blessures. Apprendre à saigner. Et malgré les cicatrices, faire en sorte de rester belle et d’avoir les genoux assez solides pour passer la serpillière tous les samedis. Ou bien on se perd, ou bien on se trouve.

Betty la petite Indienne se trouvera au bout d’un long chemin dans sa famille pleine de chaos, de drames et d’étrangeté.

Le roman de Tiffany McDaniel est inspiré de la vie de sa mère et celle de sa famille.

Alka Lark s’est donnée un peu par hasard à un Indien Cherokee, né pour être père, Landon Carpenter. De cette union naîtront de nombreux enfants à la couleur variée. Betty est la plus sombre, la plus Indienne. Toujours maquillée, un peu indifférente au monde qui l’entoure, dépressive, Alka laisse la maisonnée aux soins de Landon le rêveur. La famille déménage beaucoup au rythme du travail que trouve un Indien dans les années quarante à soixante dans une Amérique raciste et violente. La famille finit par revenir s’installer à l’endroit d’où elle était partie, en Ohio.

Le lien profond entre tous ces enfants si différents, c’est leur père et ses magnifiques histoires. Malgré le baume au cœur que ces dernières mettent sur ses blessures, Betty souffre du racisme et de toutes les vexations qu’elle subit à l’école. Une de ses sœurs lui demande de ne pas se mettre à côté d’elle dans le car scolaire : elle est blanche et ne veut rien avoir de commun avec la petite Indienne en dehors du cercle familial. Exclusion, humiliations, Betty découvre que le monde des Blancs est très éloigné de la philosophie et de la poésie cherokee de son père. La petite fille aimerait pouvoir blanchir sa peau. Continuer la lecture

Betty
Tiffany McDaniel
traduit de l’américain par François Happe
Gallmeister, août 2020, 720 p., 26,40 €
ISBN : 978-2-35178-245-3

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Le Chant des revenants de Jesmyn Ward : cruel, douloureux et poétique

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Le-chant-des-revenantsLe Chant des revenants de l’Américaine Jesmyn Ward est un roman sauvage et douloureux, d’une violence qui vous prend au ventre et à la gorge, d’une poésie qui vous instille une douleur poignante mêlée de douceur. Il a été couronné par le National Book Award, en 2017. La version origi­nale anglaise du titre est « Sing, unburied, sing », c’est-à-dire « Chante, défunt sans sépulture, chante », ce qui est plus exact que la traduction française, même si celle-ci est belle.

Le roman dresse un état des lieux actuel du Mississippi, ce Sud profond qui n’a jamais exorcisé ses démons et où le racisme règne toujours, accompagné de l’injustice, du rejet de la population noire et de la violence.

Joseph dit Jojo, treize ans, vit avec sa petite sœur Kayla ainsi que sa mère Léonie  accro à la drogue – chez ses grands-parents. Son grand père River lui apprend la vie à travers ses récits qui parlent de violence, de mort et d’exclusion, pendant que sa grand-mère Philomène se meurt d’un cancer. Jojo est né des amours adolescentes de ses parents, peu de temps après que le frère aîné de Léonie s’est fait tuer par un blanc, meurtre impuni bien sûr. Et le meurtrier n’était autre que le cousin de Michael, le père des enfants. Continuer la lecture

Le chant des revenants
Jesmyn Ward
traduit de l’américain par Charles Recoursé
Belfond, février 2019, 272 p., 21 €
ISBN : 9782714454133

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Les romans de John Fante : uppercut assuré

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Connaissez-vous l’auteur américain John Fante ? Cet insupportable matamore, cet odieux mari, cet individu qui remue les moulins à vent de la postérité et se débat avec sa misère et ses contradictions ? Ce magnifique écrivain italo-américain qui n’a été vraiment reconnu que peu avant sa mort, alors qu’il était devenu aveugle, amputé des jambes, soutenu par sa femme qui ne l’a jamais abandonné et à qui il a dicté son dernier livre ?

Pendant que je mangeais, Jim parlait.

« Tu lis tout le temps, il m’a dit. T’as jamais essayé d’écrire un livre ? »

Ça a fait tilt. Dès cet instant, j’ai voulu devenir écrivain.

« J’en écris un en ce moment même », j’ai dit.

Il a voulu savoir quel genre de livre.

« Ma prose n’est pas à vendre, j’ai répondu. J’écris pour la postérité.

— J’ignorais ça, il a fait. T’écris quoi ? Des nouvelles ? Ou de la fiction pure ?

— Les deux. J’suis ambidextre.

— Oh ! J’ignorais ça aussi.

John Fante romans IVoilà ce qu’il écrit au début de La route de Los Angeles et ce sera le projet de toute sa vie. Dès le départ il trouve son personnage, son alter ego Arturo Bandini. Et son langage si personnel, mélange d’un style parlé balançant entre humour et dérision.

Ce premier livre, John Fante aura beaucoup de mal à le faire publier, ce roman choque l’Amérique : trop excessif, le Rital semble avoir résisté au laminoir américain. Recalé. La religiosité envahissante de sa mère et de sa sœur, les galères, mais surtout sa quête de la femme ont de quoi choquer l’Amérique :

Une femme est entrée dans le magasin […] Son âge importait peu : elle était là – voilà ce qui comptait. Elle n’avait rien de remarquable, elle était plutôt banale, mais je devinais cette femme. Sa présence a bondi à travers la pièce pour aspirer l’air hors de mes poumons. C’était comme un déluge électrique. Ma chair tremblait d’excitation. Je me suis senti au bord de l’asphyxie, alors que le sang rouge se ruait dans mes veines.

Ce qui choque peut-être, plus que cette bouffée d’hormones, c’est que le jeune homme insiste : la femme n’est ni belle, ni jeune, ni bien vêtue. Continuer la lecture

Romans 1: La route de Los Angeles/Bandini/Demande à la poussière
John Fante
Christian Bourgois, juin 2013, 752 p., 22 €
ISBN : 978-2-267-02512-5

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