L’Envol du sari et les restes de l’avion indien sur le Mont-Blanc

Shares

Le dix novembre, un sujet du journal télévisé de France 2 (à 32mn:59s) a remis la fonte du glacier des Bossons et les catastrophes aériennes indiennes sur le devant de la scène.Sari-et-Montagnes

Deux avions indiens se sont écrasé sur le Mont-Blanc au même endroit, à seize ans d’écart, leurs restes ont été pillés ou enfouis dans les séracs, dans l’éternité du chaos glaciaire. Mais le géant surplombant la vallée de Chamonix qui semblait immuable est menacé de disparition et recrache les restes que les chercheurs de trésors n’ont pas trouvés.

C’est une drôle d’histoire, un mélange de destins tragiques et de secrets, une histoire improbable et terrible dont le glacier dévoilera peut-être certaines clés, à moins que celles-ci dorment déjà dans des coffres marqués secret défense.

Tout le monde a entendu parler du Malabar Princess qui s’est écrasé sur le Mont-Blanc en novembre 1950, ne serait-ce que grâce au joli film avec Jacques Villeret. Par contre, le Kangchenjunga, le deuxième avion qui a explosé au même endroit en janvier 1966, personne n’en a entendu parler, et pas seulement à cause de son nom imprononçable qui signifie « les cinq trésors de la grande neige », c’est-à-dire les cinq plus hauts sommets de l’Inde, ou de l’absence de film à son sujet. Reprenons l’histoire.

Le trois novembre 1950, le Malabar Princess n’arrivera jamais à son escale de Genève, il vient de s’écraser avec 48 personnes à bord sur le glacier des Bossons, à côté du sommet du mont Blanc.

Ce qui se passe ensuite tient du roman policier et du film politique.

Chamonix est envahie par un mélange hétéroclite de dirigeants d’Air India, de militaires, de hauts fonctionnaires français sans compter les journalistes qui débarquent de toute l’Europe. On apprend que le Constellation ne faisait pas partie des vols de ligne habituels, qu’il avait été affrété pour transporter trente-neuf marins devant rejoindre leur bateau dans le nord de l’Angleterre. On s’interroge très vite ; que ou qui transportait-il donc en dehors de ces malheureux esclaves modernes, cet avion venu d’un pays qui n’existait pas trois ans plus tôt ?

Les rumeurs s’amplifient, les journaux parlent d’un personnage clé de l’indépendance indienne qui aurait voyagé incognito dans l’avion, de valeurs importantes qui se seraient trouvées dans la soute…

Le 24 janvier 1966, un autre avion d’Air India s’écrase à peu près au même endroit que le précédent, son épave est localisée à proximité du rocher de la Tournette, à 4’677m d’altitude, comme pour le premier avion. Il y avait 117  personnes à bord, c’est le Kangchenjunga.

Le même mauvais temps. La même compagnie aérienne, alors qu’il n’y a eu jusqu’à aujourd’hui aucun autre accident de vol commercial. Si la présence de quelqu’un d’important avait été suspectée lors du crash du Malabar Princess, elle est avérée lors du crash du Kangchenjunga. Il s’agit du professeur Bahbha, le responsable du programme nucléaire indien qui se rendait à une conférence sur le désarmement des pays non-alignés à Vienne.

Le contexte international est tendu entre les blocs de l’Est et de l’Ouest qui se font la guerre par pays interposés, c’est la Guerre Froide. L’Inde fait partie des pays du tiers monde qui refusent de choisir de choisir entre l’OTAN (l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord) et le Pacte de Varsovie, ce que le Pandit Nehru nomme le « non-alignement ».

L’Inde progresse en direction de l’arme nucléaire grâce aux travaux du professeur Bahbha, ce qui inquiète le monde : que se passerait-il si le géant indien possédait la bombe et l’utilisait contre le Pakistan ou la Chine ? La mort du professeur Bhabha  retardera longtemps le programme nucléaire indien.

L’avion a-t-il été victime d’un attentat ? Le secteur est bouclé, côté français comme côté italien, et les journalistes sont interdits, tout comme les recherches non autorisées. Pendant des années le secteur sera étroitement surveillé et les documents sont classifiés.

La gendarmerie reçoit des courriers depuis Londres à l’en-tête de la compagnie d’assurance Lloyd’s, la compagnie qui assure les biens précieux sur la planète entière. Ils font mention d’un coffret en bois rempli de pierres précieuses et promettent une récompense importante à qui les retrouvera. Cette boîte a été retrouvée par un jeune homme en 2013.

Les rumeurs d’attentat n’ont pas disparu malgré l’hypothèse la plus probable selon laquelle  l’explosion en plein vol du Kangchenjunga serait due à la collision accidentelle avec un avion de chasse italien lors de manœuvres de l’OTAN.

Les mystères ne sont pas tous éclaircis, loin de là, et cette histoire qui m’avait bouleversée et qui est à l’origine de L’Envol du sari, retrouve toute son actualité. Le reportage de France 2 montre la photo d’un couple d’Indiens retrouvée par Timothée Mottin, le gérant de la buvette des Bossons. Impossible de ne pas songer à Firoz et Rashna, les héros de L’Envol du sari. Me revoilà plongée dans cette période et dans le désarroi des familles, leur besoin de compréhension et d’apaisement, la fascination que je ne demande qu’à vous faire partager.

Shares

Le Bureau des Jardins et des Étangs, superbe alternative au confinement

Shares

Besoin de vous évader ? De fuir annonces, autorisations et nouvelles grises ? Laissez-vous transporter au XIIe siècle dans le Japon médiéval, à l’époque Eian, grâce au Bureau des Jardins et des Étangs de Didier Decoin.

DecoinMiyuki, femme du pêcheur de carpes Katsuro, se retrouve veuve après la noyade de son époux. Elle a vingt-sept ans et la communauté la charge de livrer les carpes d’exception pêchées par son mari à Heiankyõ, la capitale de l’empire, où le maître du Bureau des Jardins et des Étangs, le vieux Nagusa les attend.

Tout va vous étonner dans ce roman exotique, le dépaysement sera si total que vous oublierez la période que nous vivons. Servi par une langue d’une richesse étonnante, sensuelle, gouleyante et vigoureuse, vous découvrirez la dure vie des paysans et celle des courtisans de la capitale, l’importance de la religion et l’obsession de la perfection à la cour, la poésie comme arme de pouvoir et les douze robes superposées portées par les dames de la cour pour créer une nuance indéfinissable.

Ce qu’il attend de toi, voici : va à sa rencontre, va sans hâte, en te glissant lentement parmi ces Dames affalées qui vont respirer, et avec quelle avidité, les encens embrasés par Son Excellence. Entravées par leurs toilettes, engourdies pour être restées longtemps pétrifiées, il faudra t’attendre à ce que toutes ne se relèvent pas pour te laisser passer. Ne te trouble pas, ne t’arrête pas, ne tente pas de les écarter, continue de glisser sans te soucier de rien. Les jûnihitoe empêchent de voir ce qu’il en est précisément, mais tu peux me croire : elles sont agenouillées, assises sur leurs talons, certaines semblent allongées, […], mais ne te soucie pas d’elles, enjambe-les, survole-les, et que les pans de tes douze robes en se soulevant les effleurent, les caressent, les polissent, les lèchent comme autant de pinceaux de soie. Sauf que, au lieu de les marquer d’une touche de couleur, c’est une empreinte parfumée que tu va déposer sur ces Dames : l’odeur de la demoiselle d’entre deux brumes. » (p. 338)

Le voyage de la jeune femme, long de plusieurs centaines de kilomètres, nous permet de faire connaissance avec les différentes composantes de la société, temples et brigands, maisons de passe et pêcheurs. Comme l’érotisme est différent du nôtre, et les notions de beauté, et les coutumes ! Continuer la lecture

Le Bureau des Jardins et des Étangs
Didier Decoin
Stock, janvier 2017, 396 p., 20,50 €
ISBN : 978-2-234-07475-0

Shares

Par la fenêtre : mise en abîme ou mise en abyme ?

Shares

 

Par-la-fenetreVoilà que, enfin, après de nombreuses années où il a été enseveli dans un tiroir, ce roman auquel je tiens tant est publié aux éditions Les Escales. Il s’intitule Par la fenêtre et la couverture est à l’unisson, elle vient de cet autre grand  rêveur qu’était le douanier Rousseau.

Par la fenêtre, c’est l’histoire d’une vieille dame qui s’enfuit de la maison de retraite pendant une fête et que des jeunes marginaux vont aider à réaliser son dernier rêve. Elle veut voir la mer. C’est le récit d’une existence paysanne très dure et des chimères qui ont permis de survivre à celle qui courbait l’échine, c’est le pouvoir de l’imagination qui sauve parfois de la réalité.

Par la fenêtre, c’est l’histoire de tous ces désirs qui nous poursuivent et dont au moins un doit être réalisé pour que notre vie ne soit pas vaine. Tant de jours passé à regarder par la fenêtre à attendre la fin de la semaine, ou les vacances, ou Noël. Et puis d’un coup la vieillesse est là. Nous ne l’avons pas entendue venir.

Heureusement ma vieille dame a de la ressource, et ce n’est pas grâce à moi, mais à mes enfants qui étaient adolescents lorsque j’écrivais ce récit qu’ils suivaient avec passion :

— Pas question ! Tu vas nous réécrire ce chapitre tout de suite ! Non mais, tu as vu l’existence que tu lui a faite ? Elle a droit au bonheur, il doit y avoir de la lumière dans sa vie.

Alors voilà. La jeunesse autour de moi a fait remonter des souvenirs, comme ma grand-tante Julie qui tirait drôlement bien sur les visites avec des noyaux de cerise. La famille avait eu l’interdiction d’apporter des fruits à noyaux à la maison de retraite. Et puis c’est remonté, le tragique des regards morts, mais aussi l’amour, la coquetterie des vieilles dames, les roublardises. Le grand-père de mon mari avait eu un coup de foudre pour « la jeunesse », une ravissante vieille dame un peu perdue, et les deux vieux amoureux s’étaient montrés jaloux de notre petit appartement, lorsque nous les avions invités. Ils figurent dans ce roman, comme les autres, car je n’ai pas beaucoup inventé. Hélas.

Tant d’existences douloureuses avec leurs percées de bonheur et d’espoirs dans un ciel chargé. Et puis la jeunesse, celle qui ne dure pas et celle que nous ne savons pas enfuie, celle qui survit par éclats jusqu’à la fin de la vie. Celle qui sauve.

mise en abîme-blogJ’ai fait une photo du roman près de la fenêtre, une mise en abyme de l’histoire et de ses personnages. J’ai écrit en dessous « Mise en abîme », un sacré lapsus dû à la malencontreuse date de parution, ce jeudi 5 novembre, alors que toutes les librairies sont fermées. De magnifiques marque-pages devaient attendre les lecteurs sur les comptoirs. Ce ne sera que partie remise, n’est-ce pas ? J’espère que les lecteurs n’enverront pas ma fugueuse de quatre-vingts ans au fond du gouffre, comme disaient mes enfants, Amandine a droit à la lumière. Elle attend depuis si longtemps.

Média :

Vidéos :

Coups de cœur des libraires (les plus récentes d’abord) :

Critiques (les plus récentes d’abord) :

Shares

Le service des manuscrits d’Antoine Laurain : meurtres, cynisme et littérature

Shares

Croyez-vous au hasard, attribuez-vous du sens aux coïncidences fortuites ou estimez-vous que seule la façon dont nous traitons les événements a du sens? Au moment-même où un de mes romans est publié chez Pocket et l’autre incessamment aux Escales, je tombe sur un court roman d’Antoine Laurain, Le Service des manuscrits.

Le service des manuscrits d'Antoine LaurainAutant dire que je me suis jetée sur ce roman jubilatoire et cruel racontant la façon dont on reçoit les manuscrits dans une maison d’édition. J’espère que ce qui est décrit ici n’est pas totalement fidèle à ce qui se passe dans les maisons d’éditions, mais j’avoue que mes excellentes relations avec la mienne se teintent désormais d’une légère suspicion.

Voici la quatrième de couverture, plutôt fidèle à la marchandise :

« À l’attention du service des manuscrits. »
C’est accompagnés de cette phrase que des centaines de romans écrits par des inconnus circulent chaque jour vers les éditeurs.
Violaine Lepage est, à 44 ans, l’une des plus célèbres éditrices de Paris. Elle sort à peine du coma après un accident d’avion, et la publication d’un roman arrivé au service des manuscrits, Les Fleurs de sucre, dont l’auteur demeure introuvable, donne un autre tour à son destin. Particulièrement lorsqu’il termine en sélection finale du prix Goncourt et que des meurtres similaires à ceux du livre se produisent dans la réalité.
Qui a écrit ce roman et pourquoi ? La solution se trouve dans le passé. Dans un secret que même la police ne parvient pas à identifier.
Continuer la lecture

Le Service des manuscrits
Antoine Laurain
Flammarion, janvier 2020, 224 p., 18 €
ISBN : 9782081486096

Shares

Le Grand Art de Léa Simone Allegria : les mafieux du monde de l’art

Shares

Le Grand ArtLes écrivains morts peuvent attendre, ils ont l’éternité devant eux, alors je vais vous parler du deuxième roman enthousiasmant d’une jeune auteure, Léa Simone Allegria, Le Grand Art.

C’est un livre mené au pas de charge, dont les premières pages surprennent (euphémisme pour désorientent) le lecteur. C’est le début de la journée de Paul Vivienne, et il prend son petit déjeuner à l’hôtel Saint-James qui ressemble à son nom et à ses habitués : old school. Malin, malin : on est tout de suite dans la tête de ce commissaire priseur sur le retour, égoïste et cynique. Et ça va vite ! À vous donner le tournis : à peine le café avalé que vous vous trouvez dans les arcanes d’une maison de vente aux enchères.

Capable de reconnaître ceux qui étaient décidés à se séparer de leur bien rien qu’à leur façon de défaire l’emballage. En passant, il observe leur mine, leurs ongles, la coupe de leur costume. La vieille a un sac pourri, le blanc de son crâne tire sur le violet, mais elle a une certaine allure. Et son parfum ! Approchez-vous : sentez-la. J’en étais sûr, madame. Shalimar de Guerlain. C’est du propre, faites attention : ici nous pesons autant les hommes que les choses. Un sens quasi divinatoire de la cote. [p.18]

Il entre dans son bureau comme dans l’appartement d’un mort. Il donne un prix à tout ce qu’il voit, machinalement. [p.19]

Vivienne se trouve au creux de la vague. La soixantaine nostalgique, dépassé par les nouvelles technologies mises en œuvre dans le monde des enchères, il sent que le fils de la maison où il officie voudrait bien le mettre définitivement sur la touche.

Mais, mais… surgit une vente aux enchères en Toscane proposée par un notaire qui débusque les possibles bonnes affaires… Et voilà notre homme de nouveau guilleret. Le mafieux propriétaire du château vient d’être assassiné, ce qui est bon signe.

Des quatre coins de l’Europe, les vautours se mettent en route. Ne suis-je pas, moi aussi, un vautour comme les autres ? [p.26]

Et la machine se met en marche. Une cavalcade insensée qui laisse le lecteur ébloui, terrassé par cette plongée dans les pratiques du monde de l’art, que l’auteure connaît fort bien pour posséder elle-même une galerie. Tout se mêle, le cynisme et le rire, l’érudition et la crapulerie. On se trouve dans une parodie des Barbouzes, quand les espions essaient tous de séduire la veuve du malfrat, seulement les espions sont remplacés par les commissaires-priseurs.

Notre homme trouve dans la chapelle du château un retable magnifique qui provoque chez lui une épiphanie. Rien à voir avec la galette des rois, plutôt avec la philosophie. Grâce à cette apparition quasi miraculeuse, Paul Vivienne le cynique, le désabusé, est complètement bouleversé. Il comprend soudain le sens de sa vie, de son métier, il sait.

Une œuvre d’art porte en elle un fragment de notre monde intérieur, dont l’écho peut être fatal. L’œuvre d’art est notre monde intérieur. Voilà – tout simplement. Il y a une explication à tout. À mesure qu’il rationalise ses sentiments, ses larmes sèchent. Il était peut-être un peu tôt pour siffler une bouteille de rouge, se dit-il. [p.80]

La jeune experte dépêchée sur les lieux, Marianne, va mener l’expertise : selon ce qu’elle va trouver, l’œuvre se retrouvera au niveau de croûte ou de chef-d’œuvre. À ce moment se situe un éblouissant passage d’érudition, mais ce n’est pas le seul dans le roman où alternent passages quasi poétiques et trivialité, érudition et magouilles, manipulations, jeux de séduction, jeux de dupes.

Je ne vais pas vous résumer le roman, parce que si vous lisez le premier chapitre vous ne pourrez plus le lâcher, amateur d’art ou pas.

Jusqu’à la dernière page les rebondissements s’enchaînent, un véritable polar dans le monde soi-disant feutré de l’art, où les coups tordus et les faux s’accumulent. Mais au fond, où se situe « le vrai » ? Une œuvre très subtile de faussaire peut être beaucoup plus réussie que les véritables œuvres du peintre, et celui-ci n’a revendiqué que très tard ses œuvres, choisissant dans son atelier celles qui lui semblaient les plus réussies dans le travail de ses assistants. Allez au British Museum, à Londres, et vous comprendrez en visitant par exemple la salle des Canaletto…

Le roman semble léger. Cette galerie de personnages cyniques et malhonnêtes récompensés par la société alors que le seul naïf de l’histoire est condamné semble excessive. Bien sûr l’imagination de l’auteure lui suggère sans doute des moments délirants, comme l’incroyable fête de funérailles du mafieux défunt ou la danse de Madonna ; sa description de la grande vente aux enchères de Paul Vivienne est un morceau de bravoure, mais il y a aussi des moments bouleversants comme la découverte du retable ou les regrets de Vivienne.

Du grand art, cette cavalcade effrénée dans le monde des experts et des ventes aux enchères.  Le lecteur, partagé entre le rire et la fascination, peine à suivre mais ne s’essouffle pas, fasciné par ce torrent de vie et de cynisme où les bons sentiments seraient hors de propos. Du Grand Art, jusqu’au bout.

Le Grand Art
Léa Simone Allegria
Flammarion, mars 2020, 352 p., 20€
ISBN : 9782081486140

Shares