Quand la prison remplace la maison de retraite au Japon

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La publicité allemande mettant en scène un vieil homme qui ne trouve que l’idée d’annoncer sa mort pour réunir sa famille était une fiction qui vous a beaucoup émus, amis lecteurs… Angoisse de ce qui pourrait vous arriver un jour ? Peur de la solitude ?

C’était de la fiction, mais Edmée de Xhavée parle dans son commentaire d’un vieillard (belge sans doute, car l’euthanasie n’est pas légale en France) qui avait décidé de se faire euthanasier. Et devant le bonheur de revoir ses enfants qui avaient choisi de l’accompagner dans ce moment définitif, il avait repris goût à la vie et renoncé à son projet.

photo Shiho Fukada

photo Shiho Fukada

De manière moins dramatique peut-être, mais infiniment douloureuse et inquiétante, j’aimerais évoquer ce véritable phénomène de société au Japon, à savoir l’explosion du nombre de personnes âgées en prison depuis une dizaine d’années. Continuer la lecture

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Vieillesse, solitude et marketing

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Voilà, c’est terminé, ces fêtes de fin d’années qui serrent le cœur de tous les solitaires. Les jeunes peuvent utiliser les médias sociaux et se réunir pour masquer bruyamment le manque, mais les vieux ? N’avoir que son chat ou son chien pour seul compagnon, ou pire, la télévision, alors que partout clignotent les lumières de Noël… La campagne ressemble désormais au village du Père Noël en Finlande, et chacun y va de sa débauche de guirlandes soulignant le toit ou le balcon ; la ville noie le piéton sous ses coulées d’or et ses scintillements qui font disparaître les étoiles. Quelle agitation ! En dehors des mouvements sociaux de fin de semaine, la grand-messe commerciale bouscule et agresse les vieux qui n’ont pas de cadeau à offrir et ne seront reçus par personne.

Chaque année il faut convaincre les acheteurs de choisir son magasin, et le supermarché allemand Edeka est devenu expert en la matière, remarquablement aidé par l’agence Jung von Matt Hambourg qui sait admirablement conjuguer phénomène de société, inquiétude et esprit de Noël. La publicité la plus remarquable à mon avis est le spot que l’agence a fourni pour Noël 2015.

Cette année-là, l’agence a choisi le thème de la vieillesse et de la solitude dans une publicité de deux minutes si émouvante que je gage quiconque de ne pas verser une larme. Je vous la laisse découvrir…

Noël_Edeka

Crédit Le Point

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Souriez, vous êtes prisonnier

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Vous souvenez-vous de la série Person of Interest  dans laquelle « la Machine » était un système de surveillance de masse utilisant de nombreuses caméras de surveillance et d’innombrables données informatiques ? C’était de la science-fiction, même si Edward Snowden avait révélé l’importance de la surveillance globale aux États-Unis et dans le monde entier.

L’évolution vertigineuse de la technologie a rendu la série obsolète. Le gouvernement chinois va beaucoup plus loin que la Machine et utilise la surveillance de masse à une échelle que nous avons peine à imaginer dans une optique de normalisation totale de sa population, un programme pour une « société de l’intégrité » qui sera mis en place sur tout le territoire en 2020 au plus tard.

Quarante-quatre expérimentations ont commencé en 2015 et 2016, et une première généralisation a eu lieu en mai 2018. Ce flicage porte le nom poétique  de « réseau céleste » et comprend l’installation de deux cent millions de caméras de surveillance en cinq ans complétant toute la surveillance mise en place précédemment.

Le fichage existe depuis longtemps en Chine, mais il a pris une tout autre dimension avec l’essor des outils informatiques. Reconnaissance faciale, contrôle des réseaux sociaux et des conversations privées, traçage des déplacements, surveillance de chaque instant : l’étau se resserre. Le moindre retard de paiement d’une facture peut avoir des conséquences incalculables non seulement sur la personne qui a commis cette « faute », mais aussi sur les membres de sa famille. Continuer la lecture

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Sourires de loup, Zadie Smith déchiquète la société anglaise

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Sourires de loupVoici un pavé jeté dans la mare de la littérature anglaise en 2001 par une jeune auteure de vingt-cinq ans, de père jamaïcain et de mère anglaise, dont c’était le premier roman.

Pavé au sens propre, parce qu’il fait voler en éclat le mythe de l’intégration, et pavé littéraire de plus de 550 pages qui manie l’humour anglais, le parler jamaïcain, l’argot londonien, les lamentations anglo-indiennes et le snobisme bourgeois : un véritable défi pour le traducteur Claude Demanuelli !

Dans cette saga multiethnique très dense, pleine d’humour et d’émotion, de finesse et de cruauté, on suit deux familles liées par l’amitié indéfectible entre l’Anglais Archi Jones et le Bangladais Samad Iqbal qui se sont rencontrés pendant la seconde guerre mondiale et qui sont liés par un pacte de sang. Trente ans après la fin de la guerre, ils se retrouvent à Willesden, près de Londres, et on suit leur évolution et celle de leur famille respectives pendant presque la même durée.

Ce roman-fleuve s’inscrit dans un contexte historique précis, quand l’Angleterre peine à intégrer harmonieusement tous les peuples de son ancien empire et à admettre son déclin. Zadie Smith a réussi pour son premier roman une fresque d’une surprenante maturité et d’une densité étonnante. Chacun des personnages – et ils sont nombreux – possède une véritable identité : pas de silhouettes hâtivement bâclées, mais des vraies personnes, attachantes ou inquiétantes, solidement arrimées à l’histoire. Continuer la lecture

Sourires de loup
Zadie Smith
trad. de l’anglais par Claude Demanuelli
Gallimard, juillet 2001, 544 p., 23,30€
ISBN : 2-07-075806-0

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Concerto pour la main morte : Olivier Bleys exorcise l’angoisse créatrice

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Concerto pour la main morteComment résister à un titre pareil, surtout quand le roman est chaleureusement conseillé par une amie ? Olivier Bleys et son Concerto pour la main morte m’étaient inconnus et j’aimerais vous faire partager cette tardive et belle découverte.

L’histoire, entre fable surréaliste et conte moral se passe dans un endroit perdu de Sibérie :

Le petit village se nommait Mourava, ce qui traduit de l’ancien russe donne à peu près « la jeune herbe ». Encore ne l’appelait-on « village » que par commodité, ou pour le distinguer d’autres plus frustes encore, parfois de simples campements qui s’échelonnaient sur de grandes distances le long du fleuve Ienisseï, région de Touroukhansk, Sibérie centrale. (p. 9)

Débarquent du bateau un pianiste français et son piano. Colin Cherbaux aborde ce lieu improbable dans le but précis de se mesurer avec son piano et son incapacité à jouer le concerto n°2 de Rachmaninov. Son agent lui a procuré un concert où il doit jouer celui-ci, or :

— Je joue, mais pas ce concerto… Quand j’essaie de m’y mettre, mes doigts enfoncent les touches n’importe comment. Après quelques mesures, ça devient du potage et je dois retirer mes mains du clavier. (p. 96)

À partir de cette situation un tantinet surprenante et absurde,  Olivier Bleys nous offre un feu d’artifice littéraire. J’ai eu souvent l’impression qu’il serait capable de nous montrer toute la poésie du mode d’emploi d’un lave-vaisselle ! Continuer la lecture

Concerto pour la main morte
Olivier Bleys
Albin Michel, août 2013, 240 p., 18 €
ISBN : 978-2-226-24966-1

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