Archives par étiquette : Littérature française

Quand tu écouteras cette chanson, le bouleversant memento mori de Lola Lafon

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« Le 18 août 2021, j’ai passé la nuit au Musée Anne Frank, dans l’Annexe. Anne Frank, que tout le monde connaît tellement qu’il n’en sait pas grand-chose. Comment l’appeler, son célèbre journal, que tous les écoliers ont lu et dont aucun adulte ne se souvient vraiment.
Est-ce un témoignage, un testament, une œuvre ?
Celle d’une jeune fille, qui n’aura pour tout voyage qu’un escalier à monter et à descendre, moins d’une quarantaine de mètres carrés à arpenter, sept cent soixante jours durant. La nuit, je l’imaginais semblable à un recueillement, à un silence. J’imaginais la nuit propice à accueillir l’absence d’Anne Frank. Mais je me suis trompée. La nuit s’est habitée, éclairée de reflets ; au cœur de l’Annexe, une urgence se tenait tapie encore, à retrouver. »

Le texte de Lola Lafon ci-dessus qui figure sur la quatrième de couverture décrit toute l’ambivalence et la richesse de cette nuit dans le musée dédié à Anne Frank. Que faire toute une nuit dans un musée vide où le sentiment d’absence creuse la solitude et incite à l’introspection ?  Un musée où l’auteure n’aura le droit ni de boire, ni de manger, lointain écho de la façon dont vivaient les huit reclus,

Ainsi, jusqu’à midi et demie, « pas une seule goutte d’eau, pas de chasse d’eau, pas une seule foulée, un silence absolu, » écrit Anne Frank. […] À 13h 30 il fallait retourner à l’immobilité. (p. 35-36)

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Quand tu écouteras cette chanson
Lola Lafon
Stock, août 2022, 180 p., 19,50 €
ISBN : 9782234092471

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La Sonate à Bridgetower d’Emmanuel Dongala : surabondance de notes

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« N’en déplaise à l’ingrate postérité, la célèbre Sonate à Kreutzer n’a pas été composée pour le violoniste Rodolphe Kreutzer, qui d’ailleurs ne l’a jamais interprétée, mais pour un jeune musicien tombé dans l’oubli. Comment celui-ci est devenu l’ami auquel Beethoven a dédié l’un de ses morceaux les plus virtuoses, voilà l’histoire qui est ici racontée.
Au début de l’année 1789 débarquent à Paris le violoniste prodige George Bridgetower, neuf ans, et son père, un Noir de la Barbade qui se fait passer pour un prince d’Abyssinie. Arrivant d’Autriche, où George a suivi l’enseignement de Haydn, ils sont venus chercher l’or et la gloire que devrait leur assurer le talent du garçon…
De Paris à Londres, puis Vienne, ce récit d’apprentissage aussi vivant qu’érudit confronte aux bouleversements politiques et sociaux – notamment la mise en cause de l’esclavage aux colonies et l’évolution de la condition des Noirs en Europe – les transformations majeures que vit le monde des idées, de la musique et des sciences, pour éclairer les paradoxes et les accomplissements du Siècle des lumières. »

La quatrième de couverture ci-dessus est très fidèle au contenu du roman d’Emmanuel Dongala. Nous nous retrouvons plongés dans le foisonnement des idées qui précèdent tout juste la révolution française, mais aussi dans la façon dont le talent des très jeunes musiciens était exploité par leur père, Wolfgang Amadeus Mozart étant le parfait représentant de cette réalité. En l’occurrence il s’agit de George Bridgetower, et nous allons le suivre à travers l’Europe, le regarder grandir depuis son départ d’Eisenstadt en Autriche. L’enfant joue divinement du violon à l’âge de neuf ans, mais ils sont un certain nombre à pouvoir être exhibés ainsi par leur paternel ; George possède quelque chose que les autres prodiges n’ont pas : il est métis, et il est très beau. L’exotisme fait vendre, et l’auteur décrit avec beaucoup de subtilité le racisme qui peut devenir un avantage lorsqu’on sait l’exploiter. Frederick de Augustus, le père de George, les met tous les deux en scène avec de somptueux habits exotiques, l’originalité flamboyante magnifiant le talent du fils. Continuer la lecture

La sonate à Bridgetower
Emmanuel Dongala
Actes Sud, janvier 2017, 336 p., 22,50 €
ISBN : 978-2-330-07280-3

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Connemara de Nicolas Mathieu : la danse de la France d’en-bas avec le temps

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C’est l’histoire d’une crise de quarantaine dans le Grand Est peu avant les élections de 2017.

Un peu court pour résumer un roman de presque 400 pages, le roman de Nicolas Mathieu vaut mieux que ce résumé lapidaire de l’histoire d’amour entre Hélène et Christophe.

Ils viennent tous les deux de la même petite ville perdue de Lorraine, mais ils ont choisi un chemin radicalement différent. Hélène était obsédée par l’idée de partir et de réussir, la petite bûcheuse un peu pimbêche a atteint son but : elle est devenue cadre supérieur – consultante dans une agence de communication. Mais le vernis est fragile. Après un burn out à Paris, elle s’est repliée à Nancy avec mari et enfants.

Elle se sentait étrangère à tout. Elle n’avait plus envie d’être nulle part. Le vide l’avait prise.

Belle situation, belle maison, beaux enfants, mari charmant. Mais la vacuité de sa vie, mais la colère qui enfle devant l’impression d’avoir été flouée, que les promesses de l’adolescence ont viré à l’arnaque.

Christophe vient du même endroit, il était la vedette de la ville, l’espoir local du club de hockey, celui dont toutes les filles étaient amoureuses. Le soufflé est retombé. Désormais il vend de la nourriture pour chien et passe ses soirées à boire de la bière avec les copains, il vit toujours avec son père qui perd un peu la tête et son fils Gabriel. Mais son ex-compagne va partir de la ville et le séparer du petit.

Les deux mondes sont parfaitement décrits, le cynisme de ces consultants qui jouent des faiblesses de ceux qui leur font face d’un côté, la vie qui ne décolle pas avec de pauvres satisfactions de l’autre. Continuer la lecture

Connemara
Nicolas Mathieu
Actes Sud, février 2022, 400 p., 22€
ISBN : 978-2-330-15970-2

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L’ego des parents ou Les enfants sont rois ?

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Les parents qui projettent sur leurs enfants leurs ambitions déçues, cela ne date pas d’hier, mais ce qui est nouveau dans notre société, c’est que grâce aux chaînes YouTube, l’intrusion dans la vie des enfants est plus insidieuse, plus violente. Dans son roman Les enfants sont rois (quelle antiphrase !) Delphine de Vigan nous plonge dans la vie de ces enfants influenceurs qui nous viennent tout droit d’Amérique. La fortune générée par certains enfants commence à faire des émules en France.

Dans la plupart des cas, ce sont les parents qui filment leurs enfants et postent des vidéos plusieurs fois par semaine. Le phénomène a commencé aux États-Unis et s’est développé un peu partout ces trois dernières années parce que cela s’est révélé très, très lucratif. Cette année, le youtubeur qui a gagné le plus d’argent au monde est un petit Américain de huit ans. Il s’appelle Ryan et il est filmé par ses parents depuis ses quatre ans. Rien que pour 2019, le magazine Forbes a estimé ses revenus à vingt-six millions de dollars.

Être reconnu, quel qu’en soit le prix puisque c’est la seule manière de se sentir exister, tant le vide emplit son existence. Mélanie, recalée d’un obscur ersatz du mythique Loft, trouve des années plus tard le moyen de combler ses ambitions déçues grâce à ses enfants, Kimmy et Sammy. Les petits deviennent des enfants influenceurs, comme aux États-Unis, et reçoivent des cadeaux devant lesquels ils s’extasient. Tout s’enchaîne : le succès, l’argent, les heures durant lesquelles les enfants sont filmés par leurs parents pour la chaîne YouTube que ces derniers ont créée. Et puis la petite fille disparaît, nous entrons alors dans une sorte d’enquête policière. Personnellement je ne trouve pas que ce soit une réussite, le happy end est d’un rose bonbon artificiel. L’anticipation sur les adultes que sont devenus les ex-enfants influenceurs me semble plus judicieuse.

Delphine de Vigan possède un talent et une empathie extraordinaires pour décrire de l’intérieur le succès prison, le désarroi des enfants qui ne se retrouvent pas dans cette violation de leur vie privée. Le personnage central de la mère est d’une justesse incroyable, même si dans l’anticipation cette dernière devient presque caricaturale, mais qui sait ? L’avenir peut-être montrera que, dans un univers de coquilles vides où les relations humaines auront cédé la place au Métavers, de nombreuses Mélanie peupleront l’univers de leurs enfants.

Les enfants sont rois
Delphine de Vigan
Gallimard, août 2022, 368 p., 8,40€
ISBN : 9782072977374

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Adieu la morosité avec Loin d’Alexis Michalik

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Enfin un roman qui vous secoue de rire, qui vous tient en haleine pendant 750 pages, un texte qui cavale à toute allure, pas le temps de souffler pour ce pauvre Antoine embarqué dans un périple inattendu, et le lecteur en redemande, poussé par tant de vitalité, d’humour et de roublardise.

Si vous arrivez à répondre sans irritation à la personne de votre vie qui vous signale qu’il est déjà deux heures du matin et que vous travaillez dans quelques heures ou autres billevesées destinées à vous sortir de votre lecture, félicitations !

Par pure paresse, et parce que cela reflète fort bien l’argument, je vous livre la quatrième de couverture :

Tout commence par quelques mots au dos d’une carte postale : « Je pense à vous, je vous aime. » Ils sont signés de Charles, le père d’Antoine, disparu dix-sept années plus tôt sans laisser d’adresse. Avec son meilleur ami, Laurent, et sa jeune sœur, Anna, aussi instable qu’irrésistible, Antoine part donc, à vingt-six ans, sur les traces de ce père fantôme. L’affaire d’une semaine, pense-t-il… De l’ex-Allemagne de l’Est à la Turquie d’Atatürk, de la Géorgie de Staline à l’Autriche nazie, de rebondissements en coups de théâtre, les voici lancés dans un road movie généalogique.

Antoine est un jeune homme posé limite ennuyeux qui va se marier bientôt, le genre de garçon destiné à faire toute sa vie le même trajet jusqu’au travail, tout le contraire d’Anna, sa jeune sœur, incapable de faire autre chose dans sa vie que de séduire tout ce qui se trouve à sa portée, y compris Laurent, le meilleur ami de son frère. D’autres éléments se greffent dans la fratrie dont on comprendra très vite que, si elle ne paraît pas simple, elle va se compliquer encore. Continuer la lecture

Loin
Alexis Michalik
Le live de Poche, avril 2021, 768 p., 9,40€
ISBN : 978-2-253-10359-2

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