Archives par étiquette : Littérature française

S’adapter, de Clara Dupont-Monod : conte et réalité cruels

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Si l’on commençait par l’histoire du cacatoès ?

Mon amie brésilienne se proposa pour garder pendant leur absence le cacatoès de compatriotes partis au pays. Ce bel oiseau blanc avait appris à siffler l’hymne brésilien, c’était un perroquet patriote qui adorait la vie en société. Pas de problème, il y a toujours de l’animation chez mon amie. Un jour elle oublia de fermer la cage et l’oiseau s’enfuit. Panique à bord, téléphones aux différentes associations de défense des oiseaux, rien pendant un temps qu’elle estima très long, d’autant plus que les amis devaient rentrer bientôt du Brésil.

C’est alors qu’il y eut une sorte de petit miracle : un particulier très investi dans le soin des animaux perdus avait récupéré un cacatoès à huppe jaune trois semaines plus tôt. Vite la cage et la voiture, mais arrivée dans l’arche de Noé, perplexité : il y avait trois cacatoès parfaitement identiques en face d’elle. Mon amie eut un éclair de génie : elle se mit à siffler l’hymne national brésilien et l’un des cacatoès devint complètement fou, s’agitant à se blesser dans sa cage. Aucun doute possible, c’était lui.

Je me suis envolée pareillement de la cage où, semaine après semaine depuis des années, je vous faisais part de mes enthousiasmes ou réticences face aux livres que j’avais lus. Cette pause m’a permis de me concentrer sur mes propres textes et sur ce qu’on appelle, faute de mieux, la vie. Et puis, comme le perroquet de mon amie, un livre bouleversant porté par une écriture magnifique me ramena à mon blog.  Il s’agit de S’adapter de Claire Dupont-Monod. Ce n’est pas une nouveauté, il a provoqué l’effervescence il y a un an et a été récompensé par de nombreux prix, en particulier le Goncourt des lycéens 2021, ce qui prouve que la jeunesse a du goût et du cœur.

Ce livre, j’ai mis du temps à le lire, aspirée par un maelstrom de sensations et le besoin d’aller happer une goulée d’air à l’extérieur tant le texte est juste et fort.
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S’adapter
Clara Dupont-Monod
Stock, août 2021, 200 p., 18,50€
ISBN : 978-2-234-08954-9

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Le livre de ma mère d’Albert Cohen, un texte complaisant

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En ce moment, je pratique cette opération cruelle que les bibliothécaires appellent le désherbage. Pour faire de la place sur les rayonnages, les livres qui ne sont pas sortis depuis longtemps finissent sur les étagères Servez-vous.

Hier c’était au tour d’Albert Cohen et de son texte Le livre de ma mère, présenté comme « le chant d’amour le plus émouvant, le plus délicat, Un des plus beaux romans d’amour, Livre déchirant » et j’en passe. Comme les sensibilités ont changé !

Pour ma part, j’ajouterai : livre irritant, où l’auteur imbu de lui-même s’affirme avec une naïveté complaisante et emberlificotée.

Rien n’est plus cruel que le vieillissement d’un style, et ce texte paru en 1954 en est la preuve :

Allongée et grandement solitaire, toute morte, l’active d’autrefois, celle qui soigna tant son mari et son fils, la sainte Maman qui infatigablement proposait des ventouses et des compresses et d’inutiles et rassurantes tisanes, ankylosée, celle qui porta tant de plateaux à ses deux malades, allongée et aveugle, l’ancienne naïve aux yeux vifs qui croyait aux annonces des spécialités pharmaceutiques, allongée, désœuvrée, celle qui infatigablement réconfortait.

Cette mère en adoration devant son fils, est morte toute seule en 1943 pendant que son fils se trouvait à Londres. Continuer la lecture

Le livre de ma mère
Albert Cohen
Gallimard, avril 1974, 192 p., 6,30 €
ISBN : 978-2070365616

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L’anomalie du train 006 de Pascal Fioretto : un pastiche réjouissant

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Comment devient-on un excellent pasticheur ? En étant un grand lecteur, pour commencer, capable de repérer les thèmes récurrents de l’écrivain qu’il a pris pour cible, ses tics d’écriture et sa façon de penser. Dans L’Anomalie du train 006, Pascal Fioretto fait soliloquer ses victimes qui sont immédiatement identifiables par ses lecteurs. Ses victimes ? Oui, parce qu’un bon pasticheur doit saupoudrer son texte de méchanceté qui agit comme un acide sur une plaque de métal et la rend plus brillante.

Pascal Fioretto adore surfer sur la vague et parodier des auteurs au style extrêmement varié, choisissant à chaque fois l’ouvrage auquel personne n’a pu échapper en son temps : Sérotonine de Michel Houellebecq devint Mélatonine, L’Élégance du hérisson de Muriel Barbery se transforma en L’Élégance du maigrichon, quant à Marc Lévy, son célébrissime Et si c’était vrai vira en Si c’était niais. Redoutable.

Autant dire que, avec son million d’exemplaires vendus pour L’Anomalie, prix Goncourt 2020, Hervé Le Tellier ne pouvait lui échapper. Continuer la lecture

L’Anomalie du train 006
Pascal Fioretto
Éditions Herodios, juin 2021, 144 p., 16€
ISBN : 978-2-940-66629-4

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Sorj Chalandon, Profession du père : destructeur d’enfance

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Comment réussir à dominer une enfance traumatisante, la mettre à distance tout en lui rendant sa force de destruction ? En la racontant, au plus près du souvenir, de sa réalité qui revient en force avec les mots. Sorj Chalandon a tourné autour pendant des années, mais il lui a fallu attendre la mort de son père pour rendre à cette période une vie qui a conditionné la sienne. Enfin les mots allaient mettre à distance les maux, empêcher leur nuisance de continuer à empoisonner son existence.

Il nous rend avec Profession du père une plongée hallucinante dans un huis-clos familial dominé par la toute-puissante folie paternelle.

Mon père a été chanteur, footballeur, professeur de judo, parachutiste, espion, pasteur d’une Église pentecôtiste américaine et conseiller personnel du général de Gaulle jusqu’en 1958. Un jour, il m’a dit que le Général l’avait trahi. Son meilleur ami était devenu son pire ennemi. Alors mon père m’a annoncé qu’il allait tuer de Gaulle. Et il m’a demandé de l’aider.

Je n’avais pas le choix.

C’était un ordre.

J’étais fier.

Mais j’avais peur aussi…

À 13 ans, c’est drôlement lourd un pistolet.

Émile a douze ans quand commence le roman. Il ne sait jamais quoi écrire à la rubrique « profession du père », celui-ci en a eu tellement !

Profession du père ? Ma mère n’avait pas osé remplir le formulaire. Mon père avait grondé.
— Écris la vérité : « Agent secret ». Ce sera dit. Et je les emmerde.

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Profession du père
Sorj Chalandon
Grasset, août 2015, 320 p., 19 €
ISBN : 9782246857136

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Le neveu d’Anchise : lumière et sensualité de Maryline Desbiolles

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Dans les romans de Maryline Desbiolles, personnages et lieux sont récurrents, tant son œuvre est ancrée dans un territoire. Les personnages se retrouvent, se croisent, se répondent en échos au fil du temps, comme dans la vie. Publié il y a plus de vingt ans aux éditions du Seuil, Anchise avait reçu le prix Fémina. Le Neveu d’Anchise reprend l’histoire après la mort du vieil homme et nous conte un moment crucial de la vie de son petit-neveu, Aubin.

Je ne l’ai pas connu […] ce vieux con de boiteux, ce vieux fou, mon grand-oncle Anchise, l’apiculteur qui peu de temps après s’immola dans sa voiture à laquelle il avait mis le feu sur un chemin blanc de la colline. (p. 7-8)

Inutile d’avoir lu le roman précédent, même si une furieuse envie de retrouver Blanche et Anchise vous viendra à la lecture de celui-ci. Le personnage est restitué à touches impressionnistes, et son amour fou pour celle dont on avait oublié le prénom et qu’on surnommait Blanche,

le surnom qui disait bien plus l’extraordinaire de sa blondeur

serre le cœur. Continuer la lecture

Le Neveu d’Anchise
Maryline Desbiolles
Seuil, janvier 2021, 144 p., 16€
ISBN : 978-2-02-146517-4

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