1Q84 de Murakami, un texte proustien japonais ?

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Cela tourne à l’obsession dans cette période proustienne, mais 1Q84 de Haruki Murakami ne serait-il pas une sorte de Recherche du temps perdu japonaise ?

Je me trouvais il y a peu en manque de romans, et avant les tremblements et sautes d’humeur associés à ce phénomène, mon regard fut attiré par les trois volumes parus chez Belfond dans ma bibliothèque. Je n’avais que de vagues réminiscences de l’intrigue, pour tout dire, mais, au fur et à mesure de l’avancée de ma lecture, les souvenirs remontaient, sans pourtant que je réussisse à faire un tableau de l’ensemble. Et vous, de votre côté, vous pourriez résumer cette œuvre foisonnante ?

Deux personnages se détachent, Tengo et Aomamé dont le nom signifie « haricots de soja verts », ce qui n’est pas facile à porter. À noter que Tengo est le prénom du héros, un beau jeune homme doué en toute matière depuis l’école primaire, alors que Aomamé est le patronyme de l’héroïne, professeure de musculation venue d’une famille de Témoins de Jéhovah qui a renié sa foi et n’a jamais revu sa famille depuis ses onze ans. Ce n’est pas innocent : Tengo pense que son père n’est pas son père biologique, Aomamé est écrasée par sa famille enracinée dans ses croyances depuis des générations.

Du classique ? Pas vraiment car Aomamé – tueuse à ses heures de maris violents – emprunte un escalier qui la fait basculer dans un monde parallèle qu’elle va nommer 1Q84 : Continuer la lecture

1Q84
Haruki Murakami
Belfond, novembre 2012, 70,50€
ISBN : 9782714454089

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L’ego des parents ou Les enfants sont rois ?

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Les parents qui projettent sur leurs enfants leurs ambitions déçues, cela ne date pas d’hier, mais ce qui est nouveau dans notre société, c’est que grâce aux chaînes YouTube, l’intrusion dans la vie des enfants est plus insidieuse, plus violente. Dans son roman Les enfants sont rois (quelle antiphrase !) Delphine de Vigan nous plonge dans la vie de ces enfants influenceurs qui nous viennent tout droit d’Amérique. La fortune générée par certains enfants commence à faire des émules en France.

Dans la plupart des cas, ce sont les parents qui filment leurs enfants et postent des vidéos plusieurs fois par semaine. Le phénomène a commencé aux États-Unis et s’est développé un peu partout ces trois dernières années parce que cela s’est révélé très, très lucratif. Cette année, le youtubeur qui a gagné le plus d’argent au monde est un petit Américain de huit ans. Il s’appelle Ryan et il est filmé par ses parents depuis ses quatre ans. Rien que pour 2019, le magazine Forbes a estimé ses revenus à vingt-six millions de dollars.

Être reconnu, quel qu’en soit le prix puisque c’est la seule manière de se sentir exister, tant le vide emplit son existence. Mélanie, recalée d’un obscur ersatz du mythique Loft, trouve des années plus tard le moyen de combler ses ambitions déçues grâce à ses enfants, Kimmy et Sammy. Les petits deviennent des enfants influenceurs, comme aux États-Unis, et reçoivent des cadeaux devant lesquels ils s’extasient. Tout s’enchaîne : le succès, l’argent, les heures durant lesquelles les enfants sont filmés par leurs parents pour la chaîne YouTube que ces derniers ont créée. Et puis la petite fille disparaît, nous entrons alors dans une sorte d’enquête policière. Personnellement je ne trouve pas que ce soit une réussite, le happy end est d’un rose bonbon artificiel. L’anticipation sur les adultes que sont devenus les ex-enfants influenceurs me semble plus judicieuse.

Delphine de Vigan possède un talent et une empathie extraordinaires pour décrire de l’intérieur le succès prison, le désarroi des enfants qui ne se retrouvent pas dans cette violation de leur vie privée. Le personnage central de la mère est d’une justesse incroyable, même si dans l’anticipation cette dernière devient presque caricaturale, mais qui sait ? L’avenir peut-être montrera que, dans un univers de coquilles vides où les relations humaines auront cédé la place au Métavers, de nombreuses Mélanie peupleront l’univers de leurs enfants.

Les enfants sont rois
Delphine de Vigan
Gallimard, août 2022, 368 p., 8,40€
ISBN : 9782072977374

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Racontars arctiques

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L’objet est impressionnant : 370 pages et un kg 700 gr. de ce que l’on ne peut pas considérer comme une bande dessinée mais comme une re-création de l’univers des trappeurs de Jørn Riel dont je vous ai déjà parlé, La vierge froide et autres racontars, complété par Un safari arctique et autres racontars qui développe l’histoire de certains personnages (dont la fameuse Vierge froide).

L’avant-propos de Jørn Riel devant une telle réussite est éloquent :

Ouvrir ce livre est comme ouvrir la porte du monde arctique tel que je l’ai connu il y a tant d’années. Les trappeurs de ces dessins sont exactement comme je les ai découverts jadis, et de les retrouver ainsi a été une surprise et la source d’une grande joie.

Je remercie de tout cœur les auteurs et l’éditeur. Les peuples du nord-est du Groenland sont ressuscités.

Jørn Riel

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Racontars arctiques, L’intégrale
Jørn Riel/Gwen de Bonneval/Hervé Tanquerelle
Éditions Sarbacane, novembre 2019, 384 p., 29,90€
ISBN : 978-2-37731-324-2

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La vierge froide et autres racontars, pour oublier le nombril éditorial

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N’est pas Annie Ernaux qui veut. La façon dont cette dernière atteint l’universel en utilisant le matériau biographique, dont elle épure son écriture, fouaille au fond de son vécu et traque toute facilité devrait retenir certain(e)s de se complaire dans la confidence. Impossible de vous parler de certains romans que j’ai lus, portée par les commentaires enthousiastes lus dans les journaux et sur les réseaux sociaux. Cette rentrée littéraire me semble plus portée encore que la précédente sur le déballage intime. Est-ce un travers typiquement français, raison pour laquelle nous nous reportons sur la littérature étrangère pour retrouver le souffle qui manque dans l’hexagone ?

Je vous propose de revenir dans le Grand Nord, celui De pierre et d’os, mais pour une immersion différente, pétrie d’humour et de férocité. Grâce au Danois Jørn Riel, nous voilà plongés dans l’univers des chasseurs du Groenland au début du XXe siècle. Il nous parle d’un monde qu’il a bien connu enfant, et des récits de ces chasseurs plongés dans la nuit polaire. La véracité ethnographique des dix courts récits qui constituent La vierge froide et autres racontars ajoute encore à l’intérêt du texte.

Comment survivre à l’immensité et la solitude, dans ce paysage de glace où l’on attend des mois les premiers signes du retour du soleil ? En se racontant des histoires arrosées de beaucoup d’alcool, parce que cela réchauffe et que, lorsqu’on est seul la plupart du temps, la langue sécherait vite. Continuer la lecture

La vierge froide et autres racontars
Jørn Riel
Susanne Juul et Bernard Saint Bonnet
Gaïa Éditions, mars 2011, 180 p., 19€
ISBN : 978-2-84720-198-7

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Adieu la morosité avec Loin d’Alexis Michalik

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Enfin un roman qui vous secoue de rire, qui vous tient en haleine pendant 750 pages, un texte qui cavale à toute allure, pas le temps de souffler pour ce pauvre Antoine embarqué dans un périple inattendu, et le lecteur en redemande, poussé par tant de vitalité, d’humour et de roublardise.

Si vous arrivez à répondre sans irritation à la personne de votre vie qui vous signale qu’il est déjà deux heures du matin et que vous travaillez dans quelques heures ou autres billevesées destinées à vous sortir de votre lecture, félicitations !

Par pure paresse, et parce que cela reflète fort bien l’argument, je vous livre la quatrième de couverture :

Tout commence par quelques mots au dos d’une carte postale : « Je pense à vous, je vous aime. » Ils sont signés de Charles, le père d’Antoine, disparu dix-sept années plus tôt sans laisser d’adresse. Avec son meilleur ami, Laurent, et sa jeune sœur, Anna, aussi instable qu’irrésistible, Antoine part donc, à vingt-six ans, sur les traces de ce père fantôme. L’affaire d’une semaine, pense-t-il… De l’ex-Allemagne de l’Est à la Turquie d’Atatürk, de la Géorgie de Staline à l’Autriche nazie, de rebondissements en coups de théâtre, les voici lancés dans un road movie généalogique.

Antoine est un jeune homme posé limite ennuyeux qui va se marier bientôt, le genre de garçon destiné à faire toute sa vie le même trajet jusqu’au travail, tout le contraire d’Anna, sa jeune sœur, incapable de faire autre chose dans sa vie que de séduire tout ce qui se trouve à sa portée, y compris Laurent, le meilleur ami de son frère. D’autres éléments se greffent dans la fratrie dont on comprendra très vite que, si elle ne paraît pas simple, elle va se compliquer encore. Continuer la lecture

Loin
Alexis Michalik
Le live de Poche, avril 2021, 768 p., 9,40€
ISBN : 978-2-253-10359-2

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