La vierge froide et autres racontars, pour oublier le nombril éditorial

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N’est pas Annie Ernaux qui veut. La façon dont cette dernière atteint l’universel en utilisant le matériau biographique, dont elle épure son écriture, fouaille au fond de son vécu et traque toute facilité devrait retenir certain(e)s de se complaire dans la confidence. Impossible de vous parler de certains romans que j’ai lus, portée par les commentaires enthousiastes lus dans les journaux et sur les réseaux sociaux. Cette rentrée littéraire me semble plus portée encore que la précédente sur le déballage intime. Est-ce un travers typiquement français, raison pour laquelle nous nous reportons sur la littérature étrangère pour retrouver le souffle qui manque dans l’hexagone ?

Je vous propose de revenir dans le Grand Nord, celui De pierre et d’os, mais pour une immersion différente, pétrie d’humour et de férocité. Grâce au Danois Jørn Riel, nous voilà plongés dans l’univers des chasseurs du Groenland au début du XXe siècle. Il nous parle d’un monde qu’il a bien connu enfant, et des récits de ces chasseurs plongés dans la nuit polaire. La véracité ethnographique des dix courts récits qui constituent La vierge froide et autres racontars ajoute encore à l’intérêt du texte.

Comment survivre à l’immensité et la solitude, dans ce paysage de glace où l’on attend des mois les premiers signes du retour du soleil ? En se racontant des histoires arrosées de beaucoup d’alcool, parce que cela réchauffe et que, lorsqu’on est seul la plupart du temps, la langue sécherait vite. Continuer la lecture

La vierge froide et autres racontars
Jørn Riel
Susanne Juul et Bernard Saint Bonnet
Gaïa Éditions, mars 2011, 180 p., 19€
ISBN : 978-2-84720-198-7

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Adieu la morosité avec Loin d’Alexis Michalik

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Enfin un roman qui vous secoue de rire, qui vous tient en haleine pendant 750 pages, un texte qui cavale à toute allure, pas le temps de souffler pour ce pauvre Antoine embarqué dans un périple inattendu, et le lecteur en redemande, poussé par tant de vitalité, d’humour et de roublardise.

Si vous arrivez à répondre sans irritation à la personne de votre vie qui vous signale qu’il est déjà deux heures du matin et que vous travaillez dans quelques heures ou autres billevesées destinées à vous sortir de votre lecture, félicitations !

Par pure paresse, et parce que cela reflète fort bien l’argument, je vous livre la quatrième de couverture :

Tout commence par quelques mots au dos d’une carte postale : « Je pense à vous, je vous aime. » Ils sont signés de Charles, le père d’Antoine, disparu dix-sept années plus tôt sans laisser d’adresse. Avec son meilleur ami, Laurent, et sa jeune sœur, Anna, aussi instable qu’irrésistible, Antoine part donc, à vingt-six ans, sur les traces de ce père fantôme. L’affaire d’une semaine, pense-t-il… De l’ex-Allemagne de l’Est à la Turquie d’Atatürk, de la Géorgie de Staline à l’Autriche nazie, de rebondissements en coups de théâtre, les voici lancés dans un road movie généalogique.

Antoine est un jeune homme posé limite ennuyeux qui va se marier bientôt, le genre de garçon destiné à faire toute sa vie le même trajet jusqu’au travail, tout le contraire d’Anna, sa jeune sœur, incapable de faire autre chose dans sa vie que de séduire tout ce qui se trouve à sa portée, y compris Laurent, le meilleur ami de son frère. D’autres éléments se greffent dans la fratrie dont on comprendra très vite que, si elle ne paraît pas simple, elle va se compliquer encore. Continuer la lecture

Loin
Alexis Michalik
Le live de Poche, avril 2021, 768 p., 9,40€
ISBN : 978-2-253-10359-2

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L’immersion de Bérengère Cournut dans un monde De pierre et d’os

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Oubliez votre quotidien, votre confort et votre routine, vous allez accompagner Uqsuralik, et vous ne la quitterez que sonné, fasciné, à la fin de ce texte à nul autre pareil.

L’adolescente inuit sent couler quelque chose de chaud entre ses cuisses et sort de l’igloo familial dans la nuit polaire, juste avant que la banquise craque et la sépare de sa famille.

Alerté par le bruit, son père parvient à lui lancer un harpon, quelques maigres provisions, et une dent d’ours, amulette magique qui devrait la protéger. Elle va devoir se débrouiller toute seule, et nous avançons avec elle dans le chaos de glace. Le froid, le danger, la faim. Omniprésents. Mâcher ses chaussures, lutter contre les chiens attirés par l’odeur du sang. Elle ne désespère pas puisque les esprits l’accompagnent de leur chant, tout comme les éléments, car cet univers si dur est traversé de poésie. Uqsuralik n’est pas seule, les chants des divinités et des hommes disparus l’accompagnent :

« Chant du vent et de l’orage
Nous sommes l’été
Nous sommes le Nord et le Sud
Nous sommes les vents violents
Qui soulèvent la terre et l’eau
Nous sommes la chaleur et la fièvre
Nous sommes l’air vibrant dans la lumière
Nous sommes le sang qui coule
Dans tes veines et sous ta peau
[…]
Notre présence va tout emporter
Tout bouleverser
Nous allons briser les pierres
Transformer ta chair
Faire de toi un chemin
D’étoiles et de poussière
[…]
»

La jeune fille devient femme au fil des rencontres, bonnes ou mauvaises, avec les hommes, les esprits et les animaux. Elle avance dans son périple et dans sa vie, et nous avec elle, plongés dans ce monde si étranger au nôtre que nous progressons dans le texte, envoûtés, stupéfiés. Continuer la lecture

De pierre et d’os
Bérengère Cornut
Le Tripode, Août 2019, 240 p., 19€
ISBN : 9782370552129

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S’adapter, de Clara Dupont-Monod : conte et réalité cruels

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Si l’on commençait par l’histoire du cacatoès ?

Mon amie brésilienne se proposa pour garder pendant leur absence le cacatoès de compatriotes partis au pays. Ce bel oiseau blanc avait appris à siffler l’hymne brésilien, c’était un perroquet patriote qui adorait la vie en société. Pas de problème, il y a toujours de l’animation chez mon amie. Un jour elle oublia de fermer la cage et l’oiseau s’enfuit. Panique à bord, téléphones aux différentes associations de défense des oiseaux, rien pendant un temps qu’elle estima très long, d’autant plus que les amis devaient rentrer bientôt du Brésil.

C’est alors qu’il y eut une sorte de petit miracle : un particulier très investi dans le soin des animaux perdus avait récupéré un cacatoès à huppe jaune trois semaines plus tôt. Vite la cage et la voiture, mais arrivée dans l’arche de Noé, perplexité : il y avait trois cacatoès parfaitement identiques en face d’elle. Mon amie eut un éclair de génie : elle se mit à siffler l’hymne national brésilien et l’un des cacatoès devint complètement fou, s’agitant à se blesser dans sa cage. Aucun doute possible, c’était lui.

Je me suis envolée pareillement de la cage où, semaine après semaine depuis des années, je vous faisais part de mes enthousiasmes ou réticences face aux livres que j’avais lus. Cette pause m’a permis de me concentrer sur mes propres textes et sur ce qu’on appelle, faute de mieux, la vie. Et puis, comme le perroquet de mon amie, un livre bouleversant porté par une écriture magnifique me ramena à mon blog.  Il s’agit de S’adapter de Claire Dupont-Monod. Ce n’est pas une nouveauté, il a provoqué l’effervescence il y a un an et a été récompensé par de nombreux prix, en particulier le Goncourt des lycéens 2021, ce qui prouve que la jeunesse a du goût et du cœur.

Ce livre, j’ai mis du temps à le lire, aspirée par un maelstrom de sensations et le besoin d’aller happer une goulée d’air à l’extérieur tant le texte est juste et fort.
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S’adapter
Clara Dupont-Monod
Stock, août 2021, 200 p., 18,50€
ISBN : 978-2-234-08954-9

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Supercherie dans le salon de la Paix

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Dans son numéro 892 de juin 2021, en pages 78 à 81, Sciences et Avenir nous parle d’un programme de recherche destiné à comprendre et déterminer précisément l’origine et la fabrication d’objets de la collection d’objets d’Amérique du Nord du musée Quai-Branly-Jacques-Chirac.

Les résultats obtenus par les scientifiques sont stupéfiants, par exemple ils trouvent qu’un tomahawk des nations des plaines centrales était un cadeau diplomatique offert au roi Louis-Philippe, en 1845 offert par le guerrier Petit Loup qui tint ce discours au dernier monarque des Français :

J’ai entendu dire que la paix vaut mieux que la guerre, et j’enterre le tomahawk entre vos mains – je ne me bats plus.

L’article précise que la délégation indienne des guerriers iowa (des Ayouais ou Aiouez comme on les nommait en France, où on était un peu nostalgique du premier empire colonial du pays) avait apporté d’autres présents : un fouet, une pipe et une ficelle de wampum. Ce dernier objet, une sorte de broderie très fine de coquillages, était considéré comme précieux lorsqu’il était un collier ou une ceinture et servait de monnaie d’échange lors des rencontres diplomatiques. Dans le cas précis, il s’agissait d’une ficelle.

Le vieux roi des Français serra la main des fiers guerriers amérindiens et leur offrit à son tour, comme le voulait l’usage, des médailles d’or et d’argent ainsi qu’une somme d’argent.

Ce message de paix de guerriers venus d’Amérique rendre hommage à la nation qui avait conquis un temps leur territoire semblait très émouvant.

Mais… Continuer la lecture

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