Un petit garçon raconte l’histoire de ses parents, leur vie fantasque où les repères habituels ont disparu, comme si rien n’existait à part le plaisir, la surprise, la danse et les inventions toutes plus surprenantes les unes que les autres :
Je n’ai jamais bien compris pourquoi, mais mon père n’appelait jamais ma mère plus de deux jours de suite par le même prénom. Même si certains prénoms la lassaient plus vite que d’autres, ma mère aimait beaucoup cette habitude et, chaque matin dans la cuisine, je la voyais observer mon père, le suivre d’un regard rieur, le nez dans son bol, ou le menton dans les mains, en attendant le verdict. (…)
Un jour par an seulement, ma mère possédait un prénom fixe. Le 15 février elle s’appelait Georgette. Ce n’était pas son vrai prénom, mais la Sainte-Georgette avait lieu le lendemain de la Saint-Valentin. Mes parents trouvaient tellement peu romantique de s’attabler dans un restaurant entourés d’amours forcés, en service commandé. Alors chaque année, ils fêtaient la Sainte-Georgette en profitant d’un restaurant désert et d’un service à leur seule disposition.
Ces parents hors du commun vivent une passion folle, dans tous les sens du terme. Très vite le travail du père disparaît, et c’est la fête perpétuelle, les réceptions, le château en Espagne, un vrai château où la mère donne toute sa démesure. On danse et on boit beaucoup sous le regard de Mademoiselle Superfétatoire, l’oiseau africain et celui de l’Ordure, l’ami sénateur du père. Le petit garçon joint ses mensonges à ceux de ses parents et quitte très vite l’école où la fantaisie n’est pas vraiment de mise. Cela donne beaucoup de scènes très drôles, et puis l’ambiance s’obscurcit quand la fantaisie de la mère devient dangereuse et révèle de graves problèmes psychiatriques…
C’est une histoire qui ressemble très fort à la chanson qui donne le titre du livre :
Maman me racontait souvent l’histoire de Mister Bojangles. Son histoire était comme sa musique : belle, dansante et mélancolique. C’est pour ça que mes parents aimaient les slows avec Monsieur Bojangles, c’était une musique pour les sentiments. Il vivait à la Nouvelle-Orléans, même si c’était il y a longtemps, dans le vieux temps, il n’y avait rien de nouveau là-dedans. Au début, il voyageait avec son chien et ses vieux vêtements, dans le sud d’un autre continent. Puis son chien était mort, et plus rien n’avait été comme avant. Alors il allait danser dans les bars, toujours avec ses vieux vêtements. Il dansait Monsieur Bojangles, il dansait vraiment tout le temps, comme mes parents. Pour qu’il danse, les gens lui payaient des bières, alors il dansait dans son pantalon trop grand, il sautait très haut et retombait tout doucement. Maman me disait qu’il dansait pour faire revenir son chien, elle le savait de source sûre. Et elle, elle dansait pour faire revenir Monsieur Bojangles. C’est pour ça qu’elle dansait tout le temps. Pour qu’il revienne, tout simplement.
Celle qui n’a jamais le même prénom danse et boit, pour que les fantômes qui la hantent s’éloignent, pour que revienne le temps du bonheur, tout simplement.
Ce premier roman touche par ses maladresses-même. Cette façon de mettre en italique les carnets du père intercalés dans l’histoire comme un éclairage un peu superflu, la fin attendue, la naïveté convenue du petit garçon… Il y dans ce texte une petite musique proche de F. Scott Fitzgerald : tendre est la fête, tendre est le tête-à-tête avec la folie quand on aime plus que tout. Et un soupçon d’amertume devant la fragilité de l’instant présent. Et la voix mélancolique de Nina Simone nous emporte : Monsieur Bojangles danse.
Olivier Bourdeaut
Finitude, janvier 2016, 160 p., 15,50 €
ISBN : 978-2-36339-063-9

« Pour la première fois, en 2013, m’a été révélé le sens de mon prénom d’origine : Laurence ; qui signifie “ l’or en soi ” dans la langue des oiseaux. Prénom dont je décide de signer mes livres à venir. Je ne savais pas alors à quel point nous sommes constitués des lettres qui nous désignent. Ni quels jardins d’ombre recouvrent les pseudonymes avec lesquels nous avançons dans le monde. A quoi m’aura servi ce prénom de Lorette que j’ai porté tant d’années, jusque sur la couverture de mes livres, sans pourtant qu’il fût mien ?
Jacques Cœur, grand argentier du roi de France Charles VII, a fui la haine de celui-ci et se retrouve sur l’île grecque de Chio. Très vite il comprend qu’il n’échappera pas à ses poursuivants et entreprend d’écrire ses mémoires :
Cette Noce du poète (La boda del poeta), qui a obtenu le prix Medicis étranger en 2001 l’année de sa parution en français aux éditions Grasset, n’a rien d’une fête éthérée, et je ne peux reproduire ici la description de la danse de la turumba,
Il a fallu presque huit cents pages et dix ans de sa vie à Bob Shacochis, journaliste et ancien correspondant de guerre, pour dresser dans le désordre une fresque de notre monde issu de la seconde guerre mondiale. Œuvre ambitieuse et plutôt réussie, à quelques réserves près.