Archives de l’auteur : Nicole Giroud

S’adapter, de Clara Dupont-Monod : conte et réalité cruels

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Si l’on commençait par l’histoire du cacatoès ?

Mon amie brésilienne se proposa pour garder pendant leur absence le cacatoès de compatriotes partis au pays. Ce bel oiseau blanc avait appris à siffler l’hymne brésilien, c’était un perroquet patriote qui adorait la vie en société. Pas de problème, il y a toujours de l’animation chez mon amie. Un jour elle oublia de fermer la cage et l’oiseau s’enfuit. Panique à bord, téléphones aux différentes associations de défense des oiseaux, rien pendant un temps qu’elle estima très long, d’autant plus que les amis devaient rentrer bientôt du Brésil.

C’est alors qu’il y eut une sorte de petit miracle : un particulier très investi dans le soin des animaux perdus avait récupéré un cacatoès à huppe jaune trois semaines plus tôt. Vite la cage et la voiture, mais arrivée dans l’arche de Noé, perplexité : il y avait trois cacatoès parfaitement identiques en face d’elle. Mon amie eut un éclair de génie : elle se mit à siffler l’hymne national brésilien et l’un des cacatoès devint complètement fou, s’agitant à se blesser dans sa cage. Aucun doute possible, c’était lui.

Je me suis envolée pareillement de la cage où, semaine après semaine depuis des années, je vous faisais part de mes enthousiasmes ou réticences face aux livres que j’avais lus. Cette pause m’a permis de me concentrer sur mes propres textes et sur ce qu’on appelle, faute de mieux, la vie. Et puis, comme le perroquet de mon amie, un livre bouleversant porté par une écriture magnifique me ramena à mon blog.  Il s’agit de S’adapter de Claire Dupont-Monod. Ce n’est pas une nouveauté, il a provoqué l’effervescence il y a un an et a été récompensé par de nombreux prix, en particulier le Goncourt des lycéens 2021, ce qui prouve que la jeunesse a du goût et du cœur.

Ce livre, j’ai mis du temps à le lire, aspirée par un maelstrom de sensations et le besoin d’aller happer une goulée d’air à l’extérieur tant le texte est juste et fort.
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S’adapter
Clara Dupont-Monod
Stock, août 2021, 200 p., 18,50€
ISBN : 978-2-234-08954-9

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Supercherie dans le salon de la Paix

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Dans son numéro 892 de juin 2021, en pages 78 à 81, Sciences et Avenir nous parle d’un programme de recherche destiné à comprendre et déterminer précisément l’origine et la fabrication d’objets de la collection d’objets d’Amérique du Nord du musée Quai-Branly-Jacques-Chirac.

Les résultats obtenus par les scientifiques sont stupéfiants, par exemple ils trouvent qu’un tomahawk des nations des plaines centrales était un cadeau diplomatique offert au roi Louis-Philippe, en 1845 offert par le guerrier Petit Loup qui tint ce discours au dernier monarque des Français :

J’ai entendu dire que la paix vaut mieux que la guerre, et j’enterre le tomahawk entre vos mains – je ne me bats plus.

L’article précise que la délégation indienne des guerriers iowa (des Ayouais ou Aiouez comme on les nommait en France, où on était un peu nostalgique du premier empire colonial du pays) avait apporté d’autres présents : un fouet, une pipe et une ficelle de wampum. Ce dernier objet, une sorte de broderie très fine de coquillages, était considéré comme précieux lorsqu’il était un collier ou une ceinture et servait de monnaie d’échange lors des rencontres diplomatiques. Dans le cas précis, il s’agissait d’une ficelle.

Le vieux roi des Français serra la main des fiers guerriers amérindiens et leur offrit à son tour, comme le voulait l’usage, des médailles d’or et d’argent ainsi qu’une somme d’argent.

Ce message de paix de guerriers venus d’Amérique rendre hommage à la nation qui avait conquis un temps leur territoire semblait très émouvant.

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Girl, d’Edna O’Brien, entre puissance de l’horreur et empathie

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Le roman d’Edna O’Brien s’inspire de l’enlèvement des lycéennes par la secte Boko Haram en 2014 et donne la parole à l’une d’elles, Maryam, qui réussira à s’échapper.

Voici pour le contexte de ce roman comme je crois n’en avoir jamais lu. Le petit fantôme d’une jeune fille à peine nubile me hantera longtemps.

J’étais une fille, autrefois, c’est fini. Je pue. Couverte de croûtes de sang, mon pagne en lambeaux. Mes entrailles, un bourbier. Emmenée en trombe à travers cette forêt que j’ai vue, cette première nuit d’effroi, quand mes amies et moi avons été arrachées à l’école.

Ainsi commence le roman coup de poing d’une écrivaine irlandaise de 88 ans qui se plonge dans la tête et la chair d’une adolescente nigériane.

L’identification à l’héroïne fonctionne aussitôt. Et l’horreur. Et le cauchemar éveillé de ces gamines chosifiées, incisées, violées, torturées, forcées d’apprendre des versets du Coran qu’elles ne comprennent pas. La forêt, l’environnement hostile, la présence d’autres jeunes filles qui ont rendu les armes et perdu toute étincelle d’espoir. Viols répétitifs, travail d’esclave avec la peur et la faim qui tenaille. Continuer la lecture

Girl
Edna O’Brien
traduit de l’anglais (Irlande) par Aude de Saint-Loup et Pierre-Emmanuel Dauzat
Sabine Wespieser, septembre 2019, 256 p., 21 €
ISBN : 978-2-84805-330-1

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L’ultime robot consolateur

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Brève vertigineuse

Nous connaissons tous Paro, le craquant petit robot japonais qui fait fondre les pensionnaires des maisons de retraite, avec ses yeux immenses et sa fourrure toute douce de bébé phoque. Il pousse de petits cris, bouge ses nageoires, suscite tant de sympathie que même les résidents les plus perdus ressentent de l’affection pour lui.

Paro, l’ami de nos vieux jours, peut-être.

Nao, lui, mesure une cinquantaine de centimètres, une sorte de R2D2 aminci, avec un physique plus humanoïde, danse et parle comme un enfant. Il est français, peut-être un peu moins touchant que Paro, mais il sort les résidents de leur nuit, lui aussi. Une aide précieuse pour les médecins et les soignants. Les patients atteints de la maladie d’Alzeimer sont plus calmes. Nao aide également les enfants hospitalisés ou autistes, sa grande force est d’être polyvalent.

Ces robots sont précieux pour tous les soignants, pour les malades et leurs familles, une réussite de la robotique, lorsqu’il y a de moins en moins de personnel soignant pour prendre en charge l’angoisse des malades.

 Cette pénurie de soignants empathiques conduit cependant à d’étranges recherches. Au Japon toujours, on a inventé une sorte de main robotisée reproduisant les sensations d’une main humaine pleine de douceur et de tendresse. Elle est destinée en priorité aux hommes esseulés mais peut être employée dans les maisons de retraite.

Et que penser de ce prototype américain qui travaille sur un robot spécialisé dans la fin de vie : il caresse le bras du mourant et ce dernier entend un discours rassurant, du type « Je suis avec toi, je t’accompagne, n’aie pas peur »…

Où se trouve notre humanité si nous déléguons aux machines les derniers moments de la vie de ceux qui nous l’ont transmise, ceux qui nous ont aimés, consolés de leurs bras aimants ?

« Je suis avec toi, je t’accompagne, n’aie pas peur »… Des bras pleins de douceur et d’amour, la chaleur d’un parent plein de sollicitude, et au bout du chemin cet ersatz  de présence humaine au moment du grand passage.

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Ne t’arrête pas de courir de Mathieu Palain : course à la résolution d’une énigme

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Toumany Coulibaly, quelques heures après être devenu champion de France du 400 mètres en 2015, part cambrioler une boutique de téléphones avec des complices. Il a déjà passé du temps en prison et y retournera très vite. Comment peut-on gâcher sa vie et ses dons d’une pareille manière  ?

En reprenant les dates, celles qui correspondent à ses cambriolages, celles de ses victoires sur la piste, j’ai l’impression de retracer le parcours d’un champion schizophrène : vainqueur le jour, voleur la nuit. C’est une forme de suicide, en fait. (p. 147)

Dès les premières lignes de Ne t’arrête pas de courir le lecteur est immergé dans la réalité du parloir d’une prison. Le journaliste Mathieu Palain rend visite à Toumany Coulibaly, comme chaque mercredi pendant deux ans.

C’est l’histoire de deux êtres qui n’auraient jamais dû se rencontrer, jumeaux par l’âge et l’enfance dans la même banlieue, l’histoire d’une amitié improbable entre un taulard et un journaliste dont la carrière est en pleine ascension. Tous deux partagent un rêve sportif avorté : Mathieu aurait aimé faire carrière dans le foot, Toumaly voit la sienne brisée par son comportement. Ces éléments donnent beaucoup de profondeur au livre qui ne serait, sans celle-ci, qu’une biographie partielle d’un étrange champion. Continuer la lecture

Ne t’arrête pas de courir
Mathieu Palain
L’Iconoclaste, Juin 2021, 452 p., 19€
ISBN : 978-2-37880-239-4

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