Archives de l’auteur : Nicole Giroud

Comment attirer les lecteurs dans un salon du livre?

Shares

 

Cela faisait longtemps que je n’avais pas assisté à un salon du livre traditionnel, Covid oblige. Renouer avec cette ambiance si particulière fut un plaisir, surtout que le salon du livre – joliment intitulé Escale du livre – à Échenevex, petite commune proche de Gex dans l’Ain, était plein de chaleur. Je ne parle pas des radiateurs qui soufflaient par intermittence de l’air frais aux malheureux auteurs installés près des grandes baies vitrées, mais de la chaleur humaine. Tout le monde s’était impliqué à fond dans cet événement local, depuis celui qui remplissait les estomacs des auteurs et qui s’était levé à trois heures du matin, les bénévoles et les organisateurs qui, j’espère, avaient dormi un peu plus. La salle bruissait de sollicitations : un croissant ? un café ? un thé ? Continuer la lecture

Shares

Rentrée littéraire et broyage médiatique

Shares

Chaque année c’est le même ballet : les libraires attendent les prix et remplissent leurs gondoles de valeurs sûres, Amélie Nothomb revient en ritournelle, entourée des fidèles qui assurent chaque année la rente des bandeaux rouges : le dernier ****.

Regardez les magazines dits culturels : « les incontournables de la rentrée, les romans qu’il faut absolument avoir lu, les coups de cœur recommandés, à ne pas manquer », etc. Une injonction pour ne pas mourir idiot dans les dîners, puisque ceux-ci reprennent ou un laminoir à idées ?

La semaine passée, j’ai visionné un redoutable critique littéraire qui venait de commettre un opus sur la critique (au moins il connaissait son sujet). Il était confronté à une sympathique libraire et à une écrivaine tout aussi sympathique.

Je vous passe les amabilités d’usage, les sourires face au bougon personnage qui lui, vu son statut, n’avait pas besoin de faire assaut de séduction.

Il faut reconnaître que j’ai bien reconnu le milieu éditorial dans son discours, et lorsqu’il a expliqué que les éditeurs ne veulent pas de progressions régulières mais une grosse vente tout de suite, impossible de ne pas acquiescer. Les chiffres plutôt que le suivi d’un auteur, le marché est difficile, et il y a beaucoup de personnel dont il faut assurer le salaire.

Arrive le moment où on lui demande comment il choisit les romans qu’il va lire. Sourire de l’écrivaine et poncif bien connu :

— Vous lisez la première et la dernière page ?

— Non, j’ouvre le livre au milieu.

— Et vous lisez la page ?

— Non, un paragraphe, ça suffit vous savez pour reconnaître le style, il n’y en a pas tant que ça.

Silence de l’auteure qui encaisse. Son sourire s’est un peu figé. Peut-être pense-t-elle à tous ces auteurs dont le destin se joue sur un paragraphe pris au hasard. Peut-être pense-t-elle à ses propres romans, à l’attachée de presse qui fait des pieds et des mains pour faire lire les textes qu’elle doit défendre à un critique qui se prend pour Dieu et décide du destin d’un ouvrage d’une pichenette. Pire que le marché : je prends ce fruit bien brillant, je laisse l’autre qui a peut-être plus de goût. Trop de livres, trop d’auteurs, et la pression de la rédaction, celle des lecteurs qui veulent un article bien saignant qui donnera plus de relief au suivant, laudatif bien sûr. Éternelle balance pour satisfaire tout le monde, « Rien n’a changé depuis Balzac », assure le critique. En effet. Sauf qu’il y avait moins de livres, pas de traitement de texte et pas de photocopieuse.

Combien de centaines d’ouvrages submergent le lecteur, déjà, à la rentrée littéraire de septembre, et autant à celle de janvier ? Une question : les éditeurs croient-ils en tous les livres qu’ils publient ou savent-ils dès le départ que moins de dix pour cent trouveront leurs lecteurs ? Comment se sentent-ils, face aux auteurs naïfs et pleins d’espoir ? Devant ceux à qui ils ferment définitivement la porte parce qu’ils n’ont pas assez gonflé les caisses ?

Cette année on met en valeur beaucoup de premiers romans de jeunes femmes en général très photogéniques. De la chair fraîche pour alimenter la machine. Mais combien d’entre elles reverra-t-on dans les palmarès des années futures ?

Allons, les prix littéraires vont très bientôt exciter la machine, les gondoles vont se remplir de bandeaux avec le prix en question, cela fait vendre, le bandeau. Parfois le livre est excellent. Ne comptez pas sur moi pour entrer dans cette logique, il arrive que certaines de mes critiques concernent les livres primés, mais c’est un pur hasard. Ne comptez pas sur moi pour alimenter la machine, je ne vous parle que de livres que j’aime ou d’autres, plus anciens, qui ne méritent pas à mon avis leur réputation flatteuse.

Un écrivain met tant de lui-même dans ce qu’il écrit ! Les phrases peaufinées, lues à haute-voix, tant de fois reprises jusqu’à ce qu’elles sonnent juste, qu’elles correspondent exactement à ce que l’auteur voulait dire ou donner à éprouver au lecteur !

Certains livres merveilleux ne trouveront jamais leur public parce qu’on ignore leur existence. Le temps disponible pour qu’un roman se fasse une place est très court : trois mois maximum. Après direction le pilon, souvent. Qui ne broie pas seulement du papier, mais le cœur de celui qui l’a écrit.

Bientôt le moment excitant de la révélation des principaux lauréats agitera public et librairies, le grand cirque automnal battra son plein. Profitez de ce moment tellement français, mais n’oubliez pas s’il vous plaît les romans qui pourraient vous faire pénétrer dans un univers où vous serez chez vous, apaisé, heureux.  N’est-ce pas un des buts de la lecture, finalement ?

Shares

Le livre de ma mère d’Albert Cohen, un texte complaisant

Shares

En ce moment, je pratique cette opération cruelle que les bibliothécaires appellent le désherbage. Pour faire de la place sur les rayonnages, les livres qui ne sont pas sortis depuis longtemps finissent sur les étagères Servez-vous.

Hier c’était au tour d’Albert Cohen et de son texte Le livre de ma mère, présenté comme « le chant d’amour le plus émouvant, le plus délicat, Un des plus beaux romans d’amour, Livre déchirant » et j’en passe. Comme les sensibilités ont changé !

Pour ma part, j’ajouterai : livre irritant, où l’auteur imbu de lui-même s’affirme avec une naïveté complaisante et emberlificotée.

Rien n’est plus cruel que le vieillissement d’un style, et ce texte paru en 1954 en est la preuve :

Allongée et grandement solitaire, toute morte, l’active d’autrefois, celle qui soigna tant son mari et son fils, la sainte Maman qui infatigablement proposait des ventouses et des compresses et d’inutiles et rassurantes tisanes, ankylosée, celle qui porta tant de plateaux à ses deux malades, allongée et aveugle, l’ancienne naïve aux yeux vifs qui croyait aux annonces des spécialités pharmaceutiques, allongée, désœuvrée, celle qui infatigablement réconfortait.

Cette mère en adoration devant son fils, est morte toute seule en 1943 pendant que son fils se trouvait à Londres. Continuer la lecture

Le livre de ma mère
Albert Cohen
Gallimard, avril 1974, 192 p., 6,30 €
ISBN : 978-2070365616

Shares

L’anomalie du train 006 de Pascal Fioretto : un pastiche réjouissant

Shares

Comment devient-on un excellent pasticheur ? En étant un grand lecteur, pour commencer, capable de repérer les thèmes récurrents de l’écrivain qu’il a pris pour cible, ses tics d’écriture et sa façon de penser. Dans L’Anomalie du train 006, Pascal Fioretto fait soliloquer ses victimes qui sont immédiatement identifiables par ses lecteurs. Ses victimes ? Oui, parce qu’un bon pasticheur doit saupoudrer son texte de méchanceté qui agit comme un acide sur une plaque de métal et la rend plus brillante.

Pascal Fioretto adore surfer sur la vague et parodier des auteurs au style extrêmement varié, choisissant à chaque fois l’ouvrage auquel personne n’a pu échapper en son temps : Sérotonine de Michel Houellebecq devint Mélatonine, L’Élégance du hérisson de Muriel Barbery se transforma en L’Élégance du maigrichon, quant à Marc Lévy, son célébrissime Et si c’était vrai vira en Si c’était niais. Redoutable.

Autant dire que, avec son million d’exemplaires vendus pour L’Anomalie, prix Goncourt 2020, Hervé Le Tellier ne pouvait lui échapper. Continuer la lecture

L’Anomalie du train 006
Pascal Fioretto
Éditions Herodios, juin 2021, 144 p., 16€
ISBN : 978-2-940-66629-4

Shares

Betty, les douleurs et la lucidité de la petite Indienne de Tiffany McDaniel

Shares

Devenir femme, c’est affronter le couteau. C’est apprendre à supporter le tranchant de la lame et les blessures. Apprendre à saigner. Et malgré les cicatrices, faire en sorte de rester belle et d’avoir les genoux assez solides pour passer la serpillière tous les samedis. Ou bien on se perd, ou bien on se trouve.

Betty la petite Indienne se trouvera au bout d’un long chemin dans sa famille pleine de chaos, de drames et d’étrangeté.

Le roman de Tiffany McDaniel est inspiré de la vie de sa mère et celle de sa famille.

Alka Lark s’est donnée un peu par hasard à un Indien Cherokee, né pour être père, Landon Carpenter. De cette union naîtront de nombreux enfants à la couleur variée. Betty est la plus sombre, la plus Indienne. Toujours maquillée, un peu indifférente au monde qui l’entoure, dépressive, Alka laisse la maisonnée aux soins de Landon le rêveur. La famille déménage beaucoup au rythme du travail que trouve un Indien dans les années quarante à soixante dans une Amérique raciste et violente. La famille finit par revenir s’installer à l’endroit d’où elle était partie, en Ohio.

Le lien profond entre tous ces enfants si différents, c’est leur père et ses magnifiques histoires. Malgré le baume au cœur que ces dernières mettent sur ses blessures, Betty souffre du racisme et de toutes les vexations qu’elle subit à l’école. Une de ses sœurs lui demande de ne pas se mettre à côté d’elle dans le car scolaire : elle est blanche et ne veut rien avoir de commun avec la petite Indienne en dehors du cercle familial. Exclusion, humiliations, Betty découvre que le monde des Blancs est très éloigné de la philosophie et de la poésie cherokee de son père. La petite fille aimerait pouvoir blanchir sa peau. Continuer la lecture

Betty
Tiffany McDaniel
traduit de l’américain par François Happe
Gallmeister, août 2020, 720 p., 26,40 €
ISBN : 978-2-35178-245-3

Shares