Archives de l’auteur : Nicole Giroud

Le mystère Henri Pick et la satire réjouissante du monde éditorial

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David Foenkinos nous entraîne dans une balade autour de la littérature et du monde de l’édition, avec Le mystère Henri Pick. Nous apprenons un certain nombre d’éléments concernant les célèbres refusés des maisons d’édition – Proust bien sûr, mais aussi les Américains John Kennedy O’Toole et Richard Brautigan. Ce dernier imagina, dans L’Avortement publié en 1971, une bibliothèque conservant les manuscrits refusés par les éditeurs. Juste revanche de celui qui avait souffert de tant de refus avant de devenir un écrivain mythique et de se suicider, comme John Kennedy O’Toole. L’histoire ne s’arrête pas là :

En hommage, un lecteur passionné a créé « la bibliothèque des livres refusés ». C’est ainsi que la Brautigan Library, qui accueille les livres orphelins d’éditeur, a vu le jour aux États-Unis. La structure a aujourd’hui déménagé pour être hébergée à Vancouver au Canada. (p. 14)

Une note en bas de page nous précise l’adresse du site de la librairie. Parfait. Sauf que les notes en bas de page vont se multiplier, certaines intéressantes, la plupart commentant les états d’âme du personnage et autres billevesées. On comprend petit à petit que certains éléments sont là pour égarer le lecteur : vénérable grande maison d’édition et véritables membres du microcosme littéraire et éditorial (hilarante prestation de François Busnel dans une interview), copies conformes d’autres éléments, sans compter des vérités sur les écrivains. Continuer la lecture

Le mystère Henri Pick
David Foenkinos
Gallimard, avril 2016, 288 p., 20,50 €
ISBN : 978-2-07-017949-7

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Soudain, seuls: un sens de la survie qui laisse K.O.

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Un jeune couple part faire un tour du monde à bord d’un voilier ; Ludovic, grand jeune homme sûr de lui, est amoureux de Louise, petite femme passionnée de montagne. Au cours de leur périple à bord de leur bateau, Jason, ils décident d’aborder sur une île déserte interdite à la visite entre la Patagonie et le cap Horn. Et soudain le drame : leur bateau disparaît dans la tempête, les laissant seuls sur cette île peuplée de manchots, d’otaries, d’éléphants de mer et de rats.

Comment survivre ? Les jeunes gens investissent une ancienne base baleinière, fabriquent des outils, apprennent à tuer les animaux qu’ils défendaient autrefois par conviction écologique. Ils se transforment, évoluent vers une dureté qui leur aurait parue impossible autrefois. L’instinct de survie est décrit avec une acuité, une rudesse et une précision qui laisse le lecteur pantelant.

Une peur animale les envahit, une peur froide et dure qui les absorbe. Au début, ils essaient d’en parler, se murmurent des histoires d’avant, du temps où la vie était normale. Mais, rapidement, cela devient un trop grand effort, tant leur esprit n’est tourné que vers le vacarme du dehors. Ils sont là, prostrés comme des bêtes, les poings serrés, sursautant aux à-coups du vent. (p. 99)

Dès les premières pages on se laisse happer par cette histoire qui n’a rien d’une robinsonnade. Ici la nature n’est pas pourvoyeuse de fruits délicieux et de douceurs accessibles. Elle est violente, secoue les naufragés de spasmes de froid, de faim, de désespoir. Pas d’éclaircies dans ce ciel changeant, épreuve après épreuve les lecteurs participent au calvaire de ces trentenaires qui avaient juste voulu faire l’excursion de trop. Nous assistons aux violentes disputes et aux réconciliations du couple :  survivre impose peu à peu un retour à une sauvagerie qui exclut tout sentimentalisme. Continuer la lecture

Soudain, seuls
Isabelle Autissier
Le Livre de poche, novembre 2016, 224 p., 7,40 €
ISBN : 978-2-253-09899-7

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Quand tu écouteras cette chanson, le bouleversant memento mori de Lola Lafon

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« Le 18 août 2021, j’ai passé la nuit au Musée Anne Frank, dans l’Annexe. Anne Frank, que tout le monde connaît tellement qu’il n’en sait pas grand-chose. Comment l’appeler, son célèbre journal, que tous les écoliers ont lu et dont aucun adulte ne se souvient vraiment.
Est-ce un témoignage, un testament, une œuvre ?
Celle d’une jeune fille, qui n’aura pour tout voyage qu’un escalier à monter et à descendre, moins d’une quarantaine de mètres carrés à arpenter, sept cent soixante jours durant. La nuit, je l’imaginais semblable à un recueillement, à un silence. J’imaginais la nuit propice à accueillir l’absence d’Anne Frank. Mais je me suis trompée. La nuit s’est habitée, éclairée de reflets ; au cœur de l’Annexe, une urgence se tenait tapie encore, à retrouver. »

Le texte de Lola Lafon ci-dessus qui figure sur la quatrième de couverture décrit toute l’ambivalence et la richesse de cette nuit dans le musée dédié à Anne Frank. Que faire toute une nuit dans un musée vide où le sentiment d’absence creuse la solitude et incite à l’introspection ?  Un musée où l’auteure n’aura le droit ni de boire, ni de manger, lointain écho de la façon dont vivaient les huit reclus,

Ainsi, jusqu’à midi et demie, « pas une seule goutte d’eau, pas de chasse d’eau, pas une seule foulée, un silence absolu, » écrit Anne Frank. […] À 13h 30 il fallait retourner à l’immobilité. (p. 35-36)

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Quand tu écouteras cette chanson
Lola Lafon
Stock, août 2022, 180 p., 19,50 €
ISBN : 9782234092471

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La Sonate à Bridgetower d’Emmanuel Dongala : surabondance de notes

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« N’en déplaise à l’ingrate postérité, la célèbre Sonate à Kreutzer n’a pas été composée pour le violoniste Rodolphe Kreutzer, qui d’ailleurs ne l’a jamais interprétée, mais pour un jeune musicien tombé dans l’oubli. Comment celui-ci est devenu l’ami auquel Beethoven a dédié l’un de ses morceaux les plus virtuoses, voilà l’histoire qui est ici racontée.
Au début de l’année 1789 débarquent à Paris le violoniste prodige George Bridgetower, neuf ans, et son père, un Noir de la Barbade qui se fait passer pour un prince d’Abyssinie. Arrivant d’Autriche, où George a suivi l’enseignement de Haydn, ils sont venus chercher l’or et la gloire que devrait leur assurer le talent du garçon…
De Paris à Londres, puis Vienne, ce récit d’apprentissage aussi vivant qu’érudit confronte aux bouleversements politiques et sociaux – notamment la mise en cause de l’esclavage aux colonies et l’évolution de la condition des Noirs en Europe – les transformations majeures que vit le monde des idées, de la musique et des sciences, pour éclairer les paradoxes et les accomplissements du Siècle des lumières. »

La quatrième de couverture ci-dessus est très fidèle au contenu du roman d’Emmanuel Dongala. Nous nous retrouvons plongés dans le foisonnement des idées qui précèdent tout juste la révolution française, mais aussi dans la façon dont le talent des très jeunes musiciens était exploité par leur père, Wolfgang Amadeus Mozart étant le parfait représentant de cette réalité. En l’occurrence il s’agit de George Bridgetower, et nous allons le suivre à travers l’Europe, le regarder grandir depuis son départ d’Eisenstadt en Autriche. L’enfant joue divinement du violon à l’âge de neuf ans, mais ils sont un certain nombre à pouvoir être exhibés ainsi par leur paternel ; George possède quelque chose que les autres prodiges n’ont pas : il est métis, et il est très beau. L’exotisme fait vendre, et l’auteur décrit avec beaucoup de subtilité le racisme qui peut devenir un avantage lorsqu’on sait l’exploiter. Frederick de Augustus, le père de George, les met tous les deux en scène avec de somptueux habits exotiques, l’originalité flamboyante magnifiant le talent du fils. Continuer la lecture

La sonate à Bridgetower
Emmanuel Dongala
Actes Sud, janvier 2017, 336 p., 22,50 €
ISBN : 978-2-330-07280-3

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Les « sensitivity readers » infiltrent l’édition française

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Connaissez-vous les sensitivity readers, ce fléau insidieux du conformisme mou et de la peur des procès qui sévit aux États-Unis ?

Je vous ai parlé de la cascade d’ennuis (c’est un euphémisme) qu’a subie la malheureuse autrice d’American Dirt. Les sensivity readers avaient mal fait leur travail, eux qui doivent lire les manuscrits à paraître un stylo rouge à la main pour débusquer tout ce qui pourrait offenser des groupes de lecteurs et provoquer un scandale et surtout des procès.

Il ne faut blesser personne : gare aux minorités sexuelles prêtes à montrer les dents, les immigrés de tout bord (mais essentiellement intellectuels, capables de traquer l’adjectif coupable ou l’idée sous-jacente que l’auteur n’avait pas vue), tout ce qui pourrait laisser supposer un quelconque sexisme, et cela peut aller très loin. Voilà l’auteur traqué dans les recoins de son subconscient, de ses idées délétères et de son vocabulaire fautif.

Il y avait déjà le service juridique, il y a désormais les sensitivity readers ces relecteurs de la susceptibilité universelle.

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